Survie

Un réveillon à la prison de Mpimba

(mis en ligne le 1er janvier 2009) - Isabelle Méricourt

L’irruption du journaliste Alexis Sinduhije sur la scène politique burundaise a eu pour effet d’inquiéter les vieilles figures politiques alors que se profilent les présidentielles de 2010. Sa popularité l’a conduit, le 3 novembre dernier, dans les geôles du régime.

Alexis Sinduhije s’apprêtait à diriger une réunion de son mouvement pour la démocratie et la sécurité (MSD), au centre de Bujumbura, lorsque la police l’interpella avec quelques autres militants. Aussitôt incarcéré, pendant une dizaine de jours au commissariat central, avant d’être transféré dans la sinistre prison de Mpimba, la justice Burundaise fit preuve de célérité, puisque sous le chef d’accusation de « réunion irrégulière et outrage au chef de l’Etat », son procès débuta dès le début du mois de décembre. Brièvement certes, Alexis récusant lui-même ses « juges », de jeunes stagiaires en droit sans aucune formation. De retour dans sa prison, il y attend désormais la reprise des audiences, sans que sa situation ne suscite de grandes réactions des partenaires internationaux du Burundi du président Pierre Nkurunziza. Pourtant, l’enjeu politique de cette arrestation est majeur pour le pays dans son entier, car Alexis, sur la base d’une immense popularité, entretenait de très sérieuses chances de victoire aux élections présidentielles de 2010. Mais dans un paysage politique aux figures immuables, son irruption sur la scène nationale a de quoi en inquiéter plus d’un, voire de bousculer certains des tragiques pactes régionaux.

Un journaliste brillant

Issu de la radio publique burundaise, Alexis Sinduhije fonde, en 2001, sa propre station, la Radio publique africaine (RPA) à Bujumbura. Aussitôt, la tonalité éditoriale de l’antenne étonne. Il faut dire qu’au Burundi, ravagé par une interminable guerre civile aux relents ethniques, sa liberté de parole, la hauteur de ses opinions et sa dénonciation du processus politique à l’origine de la guerre lui ont valu rapidement une immense notoriété et beaucoup de respect. Une reconnaissance consacrée par le prestigieux prix de « la liberté de la presse », attribué en 2003 par le Comité international de protection des journalistes à New York. En quelque sorte protégé par le processus de sortie de crise d’Arusha (2000) et les gouvernements mixtes de transition, c’est paradoxalement après l’apparente réussite des élections de 2005 et la victoire de Pierre Nkurunziza que ses ennuis s’aggravèrent. Arrestations des journalistes de la radio, interdictions régulières d’émettre, contraintes diverses et variées : de toute évidence les critiques d’Alexis sur l’action gouvernementale pouvaient déranger, mais bien plus encore, car c’est d’une vision politique sur l’avenir du Burundi dont il s’agissait. Alexis franchit le Rubicon en décembre 2007 en créant son propre parti, le MSD, prônant une vision politique anti-ethnique, arc-boutée sur la paix et le développement du Burundi hors de toute tutelle étrangère, une doctrine placée dans la lignée de Louis Rwagasore, « père de la Nation » assassiné en 1961. Mais le gouvernement se refusa jusqu’à maintenant d’octroyer au MSD un agrément officiel, un refus à l’origine ce cette accusation de « réunion irrégulière » qui pourrait bien coûter jusqu’à 10 ans de prison à Alexis et quasi certainement sa participation aux élections de 2010.

Paradoxalement, le Burundi a disparu de la une des grands journaux depuis le succès démocratique des élections de 2005 et la signature régulière d’accords de paix avec la dernière rébellion en activité (Palipehutu FNL). C’est un fait : le pays s’est sécurisé, avec une tendance « policière » certaine, tant l’intégration des rebelles FDD dans la nouvelle police fut pléthorique. Mais la stagnation économique et le recul des libertés politiques consacré par de multiples arrestations arbitraires, sont de vraies sources de préoccupation pour l’avenir. Car depuis 3 ans la pauvreté a encore progressé et en certaines régions la situation humanitaire reste critique, si bien que beaucoup mettent en question les compétences mêmes de l’actuel président. Pourtant celui-ci a su gagner des alliances notables, comme avec le Rwanda de Paul Kagamé, (un rapprochement concrétisé par la visite de Paul Kagamé à Bujumbura en août dernier et la récente signature de la construction d’une route express Kigali-Bujumbura financée par la Banque africaine de développement). Cet axe politique pèse déjà dans l’équilibre de la sous-région.

Mais Pierre Nkurunziza a su retrouver la confiance d’autres protecteurs, ainsi l’aide internationale s’est accrue par un retour des financements français, à travers la signature en 2006 du Document cadre de partenariat France Burundi (DCPFD), conditionnant pour 4 ans une aide financière articulée autour de la restauration de l’état sur le territoire Burundais. Ainsi Paris est-il devenu l’un des principaux bailleurs de fond bilatéraux du pays (avec la Belgique), sous forme de prêts et d’aides à des projets de développement, assujettis aux efforts de gouvernance du pays.

Dans ce contexte, on imagine le poids que pourrait représenter une vraie pression diplomatique du quai d’Orsay pour la libération d’Alexis Sinduhije et son intégration dans le paysage politique Burundais. Mais oubliant les exigences de respect des libertés fondamentales formulées dans le DCPFD, la France ne semble pas gênée outre mesure par la dérive autoritaire du régime… Hélas, il faut redouter que - comme certains de ses glorieux prédécesseurs des Grands Lacs (Louis Rwagasore/ Patrice Lumumba - la philosophie panafricaine d’Alexis Sinduhije ne soit pas programmée dans l’avenir que les gouvernants régionaux et occidentaux actuels destinent à la sous-région.

Isabelle Méricourt

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 176 - Janvier 2009
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