Survie

Mayotte : Wuambushu - Malgré un court répit, 
la violence demeure

rédigé le 25 avril 2023 (mis en ligne le 30 août 2023) - Nicolas Butor

Depuis son lancement, l’opération « Wuambushu » a fait face à plusieurs déconvenues qui ont ralenti sa marche, sans pour autant changer la politique mortifère de l’État français ni la complicité du pouvoir comorien.

Officiellement lancée le 24 avril, l’opération « Wuambushu » aura connu en guise de prologue un véritable déchaînement de violence coloniale : dès le dimanche 23 avril, face à une centaine d’assaillants armés de machettes, les policiers dépêchés sur place (notamment ceux de la tristement célèbre CRS 8) ont utilisé pas moins de 650 grenades lacrymogènes, 85 grenades de désencerclement, 60 tirs de LBD et même des tirs à balles réelles vers le sol et dans les airs.
Cette brutalité manifeste est à l’image de l’opération dans son ensemble, infâme démonstration de force qui prétend régler les problèmes de pauvreté et de violence qui touchent Mayotte à coup de pelleteuses, d’opérations policières et d’expulsions massives. Mais le scandale humain qu’est « Wuambushu » a subi dès ses premières semaines plusieurs revers qui l’ont fait tourner à l’imbroglio diplomatique et judiciaire.


Expulsions empêchées

Première embûche : le refus apparent des Comores de coopérer avec le pouvoir français. Dès le 10 avril, Moroni avait demandé à la France de renoncer à l’opération. Devant le refus de cette dernière, les autorités de l’archipel ont décidé le 24 avril de fermer le port de Mutsamudu (île d’Anjouan), où devaient débarquer les premier.e.s expulsé.e.s de l’opération à bord du Maria Galanta. Le bateau a été contraint de faire demi-tour.
Pour Fakridine Mahamoud, le ministre comorien de l’Intérieur, « tant que la partie française décidera de faire des choses de façon unilatérale, nous prendrons nos responsabilités. Aucun expulsé ne rentrera dans un port sous souveraineté comorienne » (AFP, 24/04/23) - faisant ainsi mentir Gérald Darmanin, qui assurait quelques heures plus tôt à la télévision que la coopération se déroulait à merveille.
Suite à cet incident, le préfet de Mayotte, Thierry Suquet, déclarait que les expulsions de Comorien.ne.s en situation irrégulière n’étaient pas remises en cause, et qu’il espérait que les rotations de bateaux vers Anjouan reprendraient rapidement. Mais si, le 27 avril, les Comores ont de nouveau autorisé les bateaux français à accoster, le directeur des autorités portuaires du pays Mohamed Salim Dahalani a précisé que « ne débarqueront demain (vendredi [28 avril]) que des passagers (comoriens) qui seront pourvus de leur carte d’identité nationale » (AFP, 27/04/23).
Face à ces déconvenues et sous la menace d’un retrait de sa licence par le pouvoir comorien, l’entreprise SGTM, propriétaire du Maria Galanta, a annoncé le même jour suspendre jusqu’à nouvel ordre ses activités. Les autorités françaises se sont donc rabattues sur les migrants d’autres nationalités : trois Sri Lankais et sept Malgaches ont déjà été reconduits à la frontière fin avril. Les rotations ont finalement repris courant mai.


Double jeu

Mais cette opposition de façade du pouvoir comorien cache en réalité un jeu diplomatique complexe au cœur duquel manœuvre Azali Assoumani, le président des Comores. D’une part, face à la colère de l’opposition et de la société civile comoriennes en pleine année électorale, il joue la fermeté face à la France. Dans un entretien accordé au Monde, il rappelait notamment que, selon la Constitution comorienne, Mayotte appartient à l’archipel - ce qui est d’ailleurs aussi l’avis des Nations Unies. Il exhortait ainsi l’Etat français à lever les visas pour Mayotte, sans hésiter à dire qu’Emmanuel Macron n’oserait s’y résoudre car « il a peur de l’extrême-droite » (Le Monde, 8/05/23).
Pourtant, il ne rechigne pas par ailleurs à serrer la main tendue par un Elysée en quête d’apaisement. Le 8 mai, le président français recevait en toute discrétion son homologue comorien, et le lendemain, les gouvernements des deux pays se rencontraient et se fendaient d’un communiqué commun où ils rappelaient leur volonté de « lutter contre les trafics et contre les passeurs ». Cette position n’a rien d’étonnant de la part d’Assoumani, lui qui signait avec Macron en juillet 2019 un accord-cadre visant à stopper les flux migratoires vers Mayotte en échange d’un plan de développement de 150 millions d’euros. Il semblerait que le président comorien soit prêt à se compromettre pour ne pas mettre en péril ce plan, et le soutien de la France dans son accession à la présidence de l’Union africaine en début d’année aide sans doute à faire passer la pilule.

Une trêve de courte durée

Un autre élément est temporairement venu compliquer la marche de « Wuambushu ». Le 24 avril, le tribunal judiciaire de Mamoudzou suspendait la destruction du bidonville Talus 2 à Majicavo, prévue pour le lendemain matin. La justice avait été saisie par une vingtaine d’habitants représentés par un collectif d’une dizaine d’avocats. Dans son ordonnance, la juge des référés Catherine Vannier a en effet estimé que cette destruction pourrait avoir un « impact certain sur la sûreté » des habitant.es. Las, dès le matin du 25 avril, Thierry Suquet annonçait que l’Etat faisait appel de cette décision, et le tribunal administratif autorisait finalement la démolition de Talus 2 le 13 mai. Une dizaine de jours plus tard, le 22 mai, la destruction des maisons a commencé.
Ainsi, ces complications ponctuelles ne règlent pas le fond du problème, et « Wuambushu » ne constitue en fin de compte que la partie émergée de l’iceberg néocolonial qu’est la politique française à Mayotte. Chaque année, environ 20 000 personnes sont expulsées vers Anjouan, et l’opération et les discours officiels n’ont fait qu’exacerber l’hostilité d’une bonne partie de la population mahoraise à l’égard des Comoriens et Comoriennes de Mayotte.

Nicolas Butor

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 328 - mai 2023
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