Survie

Happy birthday, la « rupture » !

(mis en ligne le 1er mars 2009) - Victor Sègre

Un an après le discours du Cap, où en sont les changements annoncés par Nicolas Sarkozy en matière militaire dans la politique de la France en Afrique ?

Le président avait promis la renégociation
dans la transparence des
accords de défense, lesquels illustrent
le mieux le pacte néocolonial passé
avec les régimes inféodés à la France depuis
les indépendances, mais qui, au nombre
de huit, ne constituent qu’une minorité
des accords militaires secrets existant.
Pour l’heure, c’est plutôt le brouillard que
la transparence. Ils devraient être remplacés
par des accords de « partenariat ».
Voilà pour l’étiquette. Quant au contenu,
il est préparé dans le plus grand secret et à
l’abri des regards indiscrets, du parlement
notamment, que Sarkozy avait pourtant
promis d’associer « étroitement (…) aux
grandes orientations de la politique de la
France en Afrique »
. La promesse de publier
intégralement les accords de défense
rendus caducs reste, pour l’instant, lettre
morte, et il y a fort à craindre que les nouveaux
accords soient aussi secrets que les
anciens…

Contrôle parlementaire

Après le vote prolongeant la participation
française à la guerre en Afghanistan
intervenu le 22 septembre, les
deux assemblées françaises se sont
prononcées, le 28 janvier dernier, sur
six autres opérations extérieures, dont
quatre en Afrique : Épervier au Tchad,
Boali en Centrafrique, Licorne en Côte d’Ivoire
et Eufor au Tchad et en Centrafrique.
Conformément à l’article
35 de la Constitution amendée cet été,
n’est soumise à l’autorisation du parlement
que la prolongation des opérations
excédant quatre mois. Le Premier ministre,
dans son discours introductif, a
également confirmé ce dont on se doutait
 : les opérations militaires menées
par les forces spéciales ou les services
de renseignement restent exclues de
tout contrôle. L’usage discrétionnaire
de la garde prétorienne de l’Élysée est
donc sauf. Et, dans les faits, le très faible
contrôle parlementaire ne semble
concerner que les plus grosses opérations
extérieures, puisqu’il en existe officiellement aujourd’hui trente-trois
en cours, et que seules cinq ont été soumises
au débat.

Un débat de façade

Un débat qui est, par ailleurs, resté très
superficiel. Les députés socialistes, plutôt
portés au consensus sur les questions de
défense, comme on a pu le voir au moment
du vote de la loi de programmation
militaire par exemple, ont boycotté
le vote. Il s’agissait davantage pour eux
d’une prolongation de la bataille engagée
sur la question des pouvoirs du parlement
en matière d’amendement. Mais les arguments
qu’ils ont avancés à cette occasion
pour justifier leur refus de siéger méritent
attention même s’ils portent davantage
sur la forme que sur le fond (la légitimité
des interventions extérieures n’est pas remise
en cause). Ni le contenu du discours
du Premier ministre, ni un récapitulatif
sur les causes, les enjeux, les mandats,
les modalités, les évolutions et les bilans
des interventions militaires n’ont été
communiqués préalablement aux députés,
pas plus qu’un état des lieux des accords
militaires auxquels certaines d’entre elles
sont liées. Ni le ministre des Affaires
étrangères ni celui de la Défense n’ont été
entendu par les commissions parlementaires
correspondantes, qui n’ont pas été réunies.
Enfin il s’est agi d’un débat unique,
alors qu’il aurait été nécessaire de mener
un débat différent pour chaque intervention
spécifique. Il s’agissait donc d’avantage
d’obtenir un chèque en blanc que
d’associer réellement les parlementaires à
la politique militaire de la France, et il est
un peu tôt pour écrire, comme le fait un
éditorial du Monde, en écho au discours
de Fillon, que la « prérogative régalienne
par excellence est désormais partagée,
comme dans toutes les autres grandes démocraties
 »
(30 janvier 2009).

Bases militaires

Ce vote coïncidait avec l’annonce du retrait
de 2 100 soldats d’Afrique, ce qui
nous a valu une nouvelle salve d’articles
sur le thème du désengagement de la
France en Afrique. Ce retrait ne correspond
pourtant qu’à la réduction de l’opération
Licorne et à la fin programmée de
l’opération européenne Eufor-Tchad,
déployée pour un an, sans d’ailleurs que
soit opéré le moindre bilan sur les points
qui rendaient, paraît-il, son déploiement
si urgent l’année dernière. Sauf nouvelle intervention militaire en Afrique, les effectifs
devraient revenir aux alentours de
10 000 hommes. Concernant l’éventualité
de la fermeture d’une nouvelle base militaire
(après celle de Côte-d’Ivoire, transformée
en opération extérieure intégrée à
Licorne) envisagée par le Livre blanc de la
Défense, le développement des moyens de
projection la rendant inutilement coûteuse,
rien n’a été officiellement annoncé à ce
jour. Enfin la forte présence militaire au
Tchad, qui constitue, de fait, une base militaire
sous couvert d’une opération militaire
provisoire qui dure depuis vingt-trois ans,
ne sera pas diminuée car elle « représente
un facteur de sécurité dans la région depuis
1986 », selon le général Georgelin,
chef d’état-major des armées (La Croix,
2 février 2009). Ni les innombrables victimes
d’Hissen Habré et d’Idriss Déby, ni
le peuple tchadien qui subit une situation
de crise politico-militaire sans fin, ne s’en
étaient rendu compte. Heureusement que
les militaires français sont là pour le leur
rappeler.

Victor Sègre

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 178 - Mars 2009
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