Survie

Espoirs et incertitudes de la transition

(mis en ligne le 1er avril 2009) - Sissulu Mandjou Sory

Après trois mois de gestion du CNDD, l’horizon politique de la Guinée semble dégagé alors que le nouveau pouvoir est toujours aussi populaire.

Taciturne et peu friand des bains de foule, feu Lassana Conté aura dirigé
d’une main de fer pendant vingt
ans son pays, souvent retranché dans son
palais présidentiel ou à Moussayah, son
village natal. L’arrivée du capitaine Dadis
Camara à la tête de la Guinée semble
annoncer l’avènement d’une nouvelle ère.
En trois mois de gestion du pouvoir, le
Conseil National pour la Démocratie et le
Développement (CNDD) et son chef ont
modifié de fond en comble la figure et la
pratique présidentielle.
Longtemps sevrés de parole présidentielle,
surtout dans les dernières années
du règne du dictateur Conté, les Guinéens
sont désormais branchés en direct, par la
radio et la télévision, aux moindres faits
et propos de Dadis Camara. C’est l’ère
du « Dadis Show ». S’agit-il d’une simple
rupture de style dans la gestion du pouvoir
ou assiste-t-on à un bouleversement
en profondeur de la société guinéenne ?
Une fois les scènes de liesse populaire
passées saluant la prise de pouvoir par
le CNDD, les Guinéens ont vite renoué
avec leur quotidien fait de privations et de
violation constante de leurs droits les plus
élémentaires.
Le passif laissé par Conté est en effet
très lourd : les crimes économiques et de
sang du vieux dictateur se comptent par
centaines. La pauvreté est endémique.
Les fléaux sociaux (drogue, prostitution,
grand banditisme, etc) tenaillent toutes les
couches de la société guinéenne.
Par où commencer ? Dadis et le CNDD décident
d’engager, sans véritable réflexion
préalable, des batailles sur tous ces fronts
à la fois. Première erreur stratégique que
ne manquent pas de leur signifier la classe
politique et la société civile guinéenne,
de même que l’Union Africaine (UA) et
la communauté internationale. Après ce
faux pas, la junte guinéenne et son chef
vont mettre en place une deuxième stratégie
bâtie sur quatre grands principes.
D’abord, une fermeté sans faille vis-à-vis
des membres du CNDD et des dignitaires
du nouveau régime afin d’envoyer à
l’opinion nationale et internationale un
message clair traduisant la fin du règne
de l’arbitraire et de l’impunité au sommet
de l’Etat. Ensuite, une grande sévérité à
l’encontre des délinquants, des trafiquants
et des détourneurs des deniers publics afin
de moraliser la chose publique et de restaurer
l’autorité de l’Etat. Troisième principe
 : une écoute permanente et une prise
en compte des aspirations des Guinéens.
Enfin, une offensive diplomatique visant
à rassurer l’UA et les membres du Groupe
de contact sur la volonté de la junte militaire
de respecter les échéances et les
missions de la transition exprimées par
différents émissaires internationaux.

Un vent de moralisation

Cette nouvelle approche de la gestion des
affaires publiques rencontre très vite un
fort assentissement de la majorité des Guinéens
qui sont admiratifs du volontarisme
politique et de la probité morale qu’affiche
Dadis Camara. Ainsi, tout Conakry
parle encore de sa récente colère quand il
découvre qu’un de ses ministres a tenté de
favoriser un proche. Le ministre indélicat
a dû faire des excuses publiques à la télévision
sous peine de se voir poursuivi.
Dadis invente la démocratie télévisée à la
sauce guinéenne !
Dans le même temps, une lutte sans merci
est lancée par la junte militaire contre les
trafiquants de drogue et les grand bandits
qui sévissaient en toute impunité à
Conakry et dans l’arrière-pays sous l’ère
Conté. Dans sa lutte contre les auteurs des
biens mal acquis, le nouveau leader guinéen
ne se contente pas du menu fretin.
Alors qu’on le soupçonnait d’avoir passé
un deal avec le président défunt pour accéder
au pouvoir, les interpellations d’anciens
hauts dignitaires, « protégés » et
membres de la famille de l’ancien président
va très vite dissiper les doutes.
Cette croisade éthique de Dadis Camara
bien que légitime et salvatrice reste cependant
entâchée de nombreux dérapages.
Les fréquentes interpellations extrajudiciaires
de présumés délinquants et
voleurs de fonds publics, suivies de leurs
auditions fortement médiatisées à la télévision
publique du pays sous la conduite
de Dadis en personne ou les perquisitions
sans mandat en témoignent.
Il n’en demeure pas moins que de nombreux
Guinéens, sans nier les zones d’ombre et les
motifs d’inquiétude qui persistent, préfèrent
parier sur le succès de l’oeuvre de reconstruction
nationale entreprise par le capitaine
Dadis Camara et son équipe. C’est cette
bienveillance populaire qui a rendu possible
l’adoption unanime d’un plan de transition,
le 12 mars dernier, à Conakry.
Ce document a reçu le plein accord de
Dadis Camara et l’appui sans réserve du
Groupe international de contact sur la
Guinée.
Cette feuille de route conscensuelle fixe
les prérogatives et les missions des différents
organes devant préparer les prochaines
élections. Elle prévoit la mise en place
d’un Conseil national de la transition pour
fin mars, composé majoritairement de représentants
des forces vives guinéennes. La
fin de l’enrôlement des électeurs est fixée
en avril. La publication du fichier électoral
est attendue en juin. La distribution des
cartes électorales devra être terminée en fin
août. Le référendum pour l’adoption de la
Loi Fondamentale révisée est programmé
en septembre. Enfin, les élections législatives
devraient se tenir en novembre, suivies
des présidentielles en décembre 2009.
Ce plan d’action n’oublie pas une question
cruciale dont la résolution s’avère indispensable
pour une véritable sortie de crise.
La Commission chargée d’enquêter en
toute indépendance sur la répression du
soulèvement populaire de janvier et février
2007 sera réhabilitée et dotée de moyens
suffisants pour mener à bien sa tâche.
Malgré cette notable avancée dans la lutte
contre l’impunité, un bémol subsiste : sur
ce difficile chantier du devoir de mémoire
et de justice à faire pour les nombreuses
victimes de la dictature, il semble que les
acteurs de la transition cherchent à renvoyer
à plus tard la gestion du douloureux
chapitre du camp Boiro.
Après trois mois de gestion du CNDD,
l’horizon politique de la Guinée semble dégagé.
Il revient à présent à toutes les parties
prenantes du processus de sortie de l’ère
Conté de tenir tous leurs engagements.
Les conditions posées par la communauté
internationale pour une rapide et positive
transition en Guinée étant désormais réunies,
le Secrétaire d’Etat à la Coopération,
Alain Joyandet n’oubliera sans doute pas
les promesses qu’il a faites le quatre janvier
dernier, à l’issue de sa rencontre avec
la junte militaire.
La principale de ses promesses concerne le
soutien de la France aux autorités guinéennes
dans leur recherche de fonds internationaux
pour financer la transition.
Le plus dur commence !

Sissulu Mandjou Sory

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 179 - Avril 2009
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