Le journaliste tchadien Samy Passalet raconte de l’intérieur, la passation de pouvoir mouvementée entre Hissène Habré et Idriss Déby. Il étudie les exactions et fraudes en tout genre commises par les pouvoirs en place de 1986 à 2008.
Menaces, assassinats, épuration ethnique, corruptions, détournement de fonds public, impunité, fraudes électorales, interventions militaires dans les deux Congo, au Togo pour prêter main-forte successivement à Kabila, Sassou NGuesso et Eyadema, sont autant de faits que Samy Passalet recense et verse au compte d’Idriss Déby. À cela s’ajoute les morts dont il serait responsable, plus de 40 000 entre 1982 et 1990 quand il était chef de la sécurité sous Hissène Habré et presque autant durant ses dix-huit années de règne sans partage. Mais jusque là, rien de nouveau tant ces faits n’ont cessé d’être dénoncés par l’opposition tchadienne, civile et politique et les associations comme Survie ou Agir ici.
L’intérêt du livre réside ailleurs même si sa rédaction manque parfois de rigueur. Journaliste à la radio nationale tchadienne (RNT), Samy Passalet a été membre du MPS, le parti créé par Déby, chargé de la communication et de l’organisation dans le 7e arrondissement de N’Djaména. Il a accompagné le président dans ses nombreux déplacements en province. À ce titre, il a entretenu des relations privilégiées avec les principaux acteurs formant le cercle très fermé d’Idriss Déby. Cette position en fait l’un des hommes les mieux informés du Tchad, bien au fait des sulfureuses petites histoires du clan.
P_ assalet analyse avec soin la stratégie mise au point par Idriss Déby pour assurer son maintien au pouvoir. Des affidés sont nommés à des postes stratégiques, dans la communication et la justice. Le verrouillage de l’information apparaît alors comme l’un des facteurs déterminants de la réussite des fraudes électorales. Passalet décrit par le menu le bidouillage des résultats, recopiés et signés par une équipe de faussaires. Les originaux sont ensuite brûlés et lorsque les candidats floués de l’opposition déposent des recours auprès de la Cour suprême, les magistrats leur opposent une fin de non recevoir. Et Passalet de noter avec amertume que le président gabonais Omar Bongo et son homologue français sont toujours les premiers à adresser leurs félicitations à leur collègue tchadien : « Nous avons également écouté sans sourire que Idriss Déby avait été élu légalement. »
Le cas de l’opposant fédéraliste Yorongar Ngarléjy est emblématique. Celuici avait recueilli, au premier tour des élections présidentielles de 2001, plus de 40% des suffrages exprimés contre 15% à Idriss Déby. C’est Passalet luimême qui fut chargé de rectifier l’interview donnée sur la chaîne nationale par Yokabdjim Nandigui, président de la CENI, qui avait annoncé fort prématurément et imprudemment un second tour de scrutin mettant en rivalité Idriss Déby avec le seul opposant reconnu : Yorongar.
Il ressort de cette lecture édifiante qu’aucune alternative politique n’est possible au Tchad par la voie des urnes. Déby a pris le pouvoir par les armes et tient à le conserver, pour lui et son clan, la fin justifiant tous les moyens.
Passalet livre aussi certains secrets qui ont une relation directe avec le conflit actuel du Darfour. Dans la soirée du 9 juin 2001, rendu euphorique par quelques verres de Chivas, Idriss Déby n’hésite pas à confier à son entourage ses grands projets dont voici quelques extraits : « Le pays est à nous, pas seulement pour moi qui dirige le Tchad. C’est vrai que nous sommes très peu pour cette grande ambition consistant à instaurer un royaume Zaghawa ... Après moi, c’est toujours un autre Zaghawa qui doit diriger le Tchad…(…) nous allons faire des partenaires à partir de la République centrafricaine et du Soudan avec nos frères qui combattent Al- Bachir …la conquête du Soudan, puis, après, celle de la RCA pour introniser Bozizé…l’offensive va être lancée dans un bref délai… » (p. 96 et 97). Pour réaliser ce projet, il affirme en avoir les moyens avec « les revenus pétroliers et la subvention que le gouvernement de Taïwan versera sans tarder au trésor du Tchad. »
Depuis, le Darfour est meurtri, l’Est du Tchad en feu, la sous-région déstabilisée et une lutte à mort s’est engagé entre Déby et Al Béchir. L’ancien courtisan journaliste estime que le président tchadien devrait être poursuivi par la Cour pénale internationale au même titre que le président soudanais. Alors comment ramener la paix dans l’Est du Tchad ? L’auteur suggère qu’il est encore possible de le faire à la condition que la France, au nom de la communauté internationale, fasse pression sur Idriss Déby pour l’amener à la tenue d’un forum inclusif au cours duquel seraient débattus tous les problèmes qui minent ce pays depuis plusieurs décennies.
Et chacun sait qu’au Tchad, le président tchadien s’est toujours radicalement opposé à l’organisation d’un tel forum. Par toutes ses révélations, le livre de Samy Passalet ne manque pas d’intérêt. Il est dans l’ensemble suffisamment documenté pour aider à mieux comprendre le système de gouvernance adopté par Déby au profit de son clan, ses ambitions, son ingérence dans la sous-région et les origines des conflits au Darfour.
Antoine Bangui