Alors que la junte mène son agenda de manière unilatérale, les soupçons que nous nourrissions à l’égard de la bienveillance française envers les putschistes mauritaniens se confirment.
Le 6 août dernier, le général Abdel Aziz à la tête d’une junte militaire, le Haut Conseil d’État, renverse le président élu Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Malgré cet acte fondateur anti-constitutionnel, les putschistes arguent d’un retour à un fonctionnement constitutionnel normal pour organiser une élection présidentielle, fixée aux 29 mai et 6 juin prochain.
Les opposants au putsch, regroupés au sein d’un Front national pour la défense de la démocratie (FNDD) ainsi que le principal parti au parlement mauritanien, le Rassemblement des forces démocratiques (RFD), ont annoncé qu’ils boycotteraient un scrutin légitimant le coup d’état. Selon eux, Abdel Aziz veut l’onction des urnes (qu’il arrachera à tout prix) pour légitimer sa prise de pouvoir. Alors qu’il mène une politique populiste (rupture des relations diplomatiques avec Israël, mises en oeuvre de chantiers décidés sous l’ancien président dans les quartiers populaires de la capitale, nominations clientélistes et tribales au sein de l’appareil d’État, faveurs économiques à ses laudateurs…), son Premier ministre vient de « superviser une formation » des membres de la commission électorale indépendante… Selon un de nos informateurs, les hommes d’affaires sont également « fermement incités » à financer la campagne électorale du général. Le site d’informations Taqadoumy a aussi révélé que l’état-civil aurait été mis à disposition de la tribu d’Abdel Aziz (les Oulad Bousba) et que des versements d’argent auraient été faits aux autres candidats…
Parmi ces trois candidats que beaucoup présentent comme des faire-valoir, on compte deux anciens opposants au dictateur Taya : Ibrahima Sarr, président d’un parti communautaire (l’AJD/MR), Kane Hamidou Baba, qui vient de quitter le RFD, et Sghair Ould M’Barek, ancien Premier ministre du despote Taya.
Face à cette institutionnalisation du fait accompli (la gazra mauritanienne), la communauté internationale tergiverse. Seuls les États-Unis refusent clairement de légitimer la junte. L’Union africaine (UA), malgré des propos fermes, n’a toujours pas publié la liste des Mauritaniens qu’elle sanctionne. Elle a envoyé son président, Kadhafi, pour une médiation qui a lamentablement échoué du fait de son soutien aux putschistes depuis le coup de force. Le Sénégal s’essaie à son tour comme médiateur, mais le président Wade a lui aussi légitimé la junte depuis le début. Quant à l’Algérie, sa position s’assouplit et l’Iran voit d’un bon oeil un pays qui a rompu avec Israël.
Alors que l’Union européenne (UE) vient de confirmer le gel de ses 156 millions d’euros d’aide sur cinq ans, la France multiplie les signes en faveur de la junte. Dans une interview à Jeune Afrique (22 mars), Bernard Kouchner a affirmé que « le général […] Abdel Aziz doit démissionner au moins 45jours avant l’élection présidentielle s’il souhaite s’y présenter ». Une phrase lourde de sens validant le principe d’une élection présidentielle alors qu’auparavant les diplomates réclamaient l’assentiment de l’opposition au putsch… Toujours est-il qu’à la mi-avril, le général Abdel Aziz a démissionné de la tête de la junte et s’est porté candidat à la présidentielle.
Le 27 mars dernier à Niamey, le président Sarkozy affirmait, sur RFI, que seule la France avait protesté face au putsch et que « lorsque le président démocratiquement désigné [sic] a été retenu, moi-même je l’ai appelé, moimême j’ai exigé qu’il soit libéré ,mais enfin, force est de constater qu’il n’y a pas eu un député ou un parlementaire qui a protesté et qu’il n’y a pas eu de manifestations ». Outre le fait que Nicolas Sarkozy n’a jamais appelé le président renversé, ces affirmations sont mensongères alors qu’après le coup d’état, la France se contentait seulement de faire part de ses préoccupations et affirmait suivre avec attention l’évolution de la situation. En revanche, les États-Unis, l’UE et l’UA condamnaient. Des propos présidentiels qui annonçait, en tous cas, l’abandon des démocrates à leur sort. Quant aux parlementaires, entre un tiers et la moitié d’entre eux a dénoncé le coup d’état. Le président de l’Assemblée nationale mauritanienne fut même reçu à ce propos par son homologue français, Bernard Accoyer (UMP) et par la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, ainsi qu’à l’Élysée. En fait, Paris est accusé de défendre ses intérêts en Mauritanie. Ainsi le site d’informations Taqadoumy révélait que des militaires français débarquaient fin mars en Mauritanie pour des repérages afin d’établir une base militaire dans le nord-est du pays, qui, plutôt qu’une base française, sera sans doute destinée à une force mauritanienne dite anti-terroriste, armée et encadrée toutefois, par l’armée tricolore (Billets d’Afrique n°178, mars 2009). Elle sécurisera des intérêts économiques (explorations prometteuses menées par Total et GDF dans la zone) et stratégiques (contrôle de cette vaste zone de non-droit où circulent trafiquants, terroristes, clandestins, rebelles touaregs et du Polisario, agents marocains, algériens et maliens).
Le premier secrétaire de l’ambassade française à Nouakchott (poste habituellement réservé au chef des services secrets), Jean-Michel Antona, est aussi accusé par divers observateurs, informateurs et opposants au putsch d’être le conseiller occulte du général Abdel Aziz. Selon Taqadoumy, il aurait même participé à une réunion très françafricaine regroupant Karim Wade, fils, très apprécié à Paris, du président Wade, Robert Bourgi, intermédiaire très influent entre l’Elysée et nombre de présidents africains, Bouamatou, le plus riche homme d’affaires de Mauritanie et cousin du chef putschiste, et le général Abdel Aziz, alors tout juste démissionnaire et en campagne électorale…
Face à ces défaites diplomatiques, l’opposition au putsch (FNDD, RFD et société civile crédible) n’a plus guère de choix que de porter le combat dans la rue où les différentes manifestations et sit-in qu’elle organise sont violemment réprimés, des parlementaires étant même hospitalisés. En l’état actuel des choses, et à plus forte raison si la situation venait à dégénérer comme cela se dessine, les autorités françaises devront rendre des comptes sur leurs positions consistant à légitimer, une fois de plus, un coup d’État.
Issa Bâ