Survie

De la colonisation à la néocolonisation, trois siècles de domination économique

(mis en ligne le 1er juin 2009) - Odile Tobner

Depuis le début de la colonisation, il y a eu association étroite entre la haute administration française et l’oligarchie financière. C’est plus que jamais ce schéma qui gouverne la politique de la France.

Le commerce avec l’Afrique a été parfaitement défini en 1728 dans la Relation de l’Afrique occidentale du père Labat, rédigée à partir des Mémoires de M. de Brüe, directeur général de la Compagnie du Sénégal de 1697 à 1720. Chargé de gérer les comptoirs commerciaux de traite d’esclaves et de marchandises, ce dernier recommande une colonisation territoriale pour exploiter « les richesses immenses qui sont renfermées dans ce pays et qui demeurent presque inutiles dans les mains de ses habitants ».
Il pose le programme de l’impérialisme économique, recommandant de ne pas transformer sur place les matières premières, mais au contraire d’introduire des objets fabriqués, qui deviendront indispensables et feront passer à la compagnie tout le bénéfice du travail des habitants.
Cette structure des échanges avec l’Afrique s’est réalisée tout au long du XXe siècle et est toujours en vigueur aujourd’hui. Les matières premières sont produites et achetées à vil prix, un prix fixé par l’acheteur. Le travail local, notamment sur les plantations que possèdent les sociétés étrangères, est rémunéré au minimum. Les produits industriels sont vendus au prix maximum.
Tout le bénéfice et l’argent disponibles reviennent donc au pays développé.
Il s’est trouvé cependant des gens pour affirmer que les investissements dans les infrastructures en Afrique et les subventions aux productions agricoles des colonies ont coûté plus cher que ce que les colonies ont rapporté à la métropole. C’est la thèse de Jacques Marseille : Empire colonial et capitalisme français. Histoire d’un divorce (Albin Michel, 1984), qui est largement répandue dans l’opinion par les débats médiatiques.
Cette thèse a été magistralement réfutée par Jean Suret-Canale dans Peuples Noirs Peuples Africains, n° 79, janvier-février 1991, L’impérialisme français a-t-il vécu ? La thèse de Suret-Canale Afrique et capitaux (L’Harmattan 1986) démontre l’ampleur de l’exploitation des colonies par les sociétés françaises. Les colonies constituaient essentiellement un réservoir de matières premières pour les industries métropolitaines, et des débouchés pour les biens et services fabriqués en métropole.
Cette fonction a été amplement remplie jusque au-delà de la période coloniale, puisque l’Afrique dite du « précarré français » demeure encore l’une de ses principales sources d’approvisionnement en matières premières, notamment en vertu d’accords économiques, financiers et monétaires conclus à la veille des indépendances : café, cacao, pétrole, arachide, coton, bois, uranium, bauxite, phosphate, etc.

90 % de bénéfices les bonnes années

Quant aux investissements financiers de la Métropole dans ses colonies, les principaux destinataires et bénéficiaires de ces transferts financiers étaient les compagnies métropolitaines spécialisées dans l’exploitation économique des colonies.
Les commandes d’infrastructures étaient toujours faites à des sociétés de travaux publics françaises – les infrastructures étant essentiellement destinées à l’acheminement des matières premières vers les ports – tandis que les subventions aux productions agricoles enrichissaient la CFSO (Compagnie forestière Sanga-Oubangui), la CFAO (Compagnie financière de l’Afrique occidentale), la CICA (Compagnie industrielle et commerciale africaine) ou encore la SCOA (Société commerciale de l’Ouest africain) ; lesquelles compagnies rapatriaient leurs profits en Métropole. « On dit que la SCOA et la CFAO faisaient un bénéfice allant jusqu’à 90% les bonnes années, et 25% les mauvaises » (Walter Rodney, Et l’Europe sous-développa l’Afrique). Dans les années 1990, à la faveur des plans d’ajustement imposés par la Banque mondiale aux pays africains surendettés, les privatisations ont profité en priorité à la France dans les pays de la zone franc.

La jack-pot des privatisations

L’exemple de la Côte d’Ivoire est édifiant. Les sociétés françaises ont investi d’abord dans le secteur des télécommunications, de l’énergie, des transports et de l’agro-industrie. Au cours de la période 1996-2000, les capitaux français représentaient 23 % des demandes d’agrément à l’investissement derrière les capitaux ivoiriens (52 %), et près de 50 % de l’ensemble de demande d’agrément étrangères. Bouygues est actionnaire de la Compagnie ivoirienne d’électricité et la Société des eaux de Côte d’Ivoire.
Les banques françaises (Société générale, Crédit lyonnais, BNP Paribas) sont dominantes sur le marché avec leurs filiales. Total possède 25 % de la Société ivoirienne de raffinage. France Télécom est devenue, avec le rachat de Citelcom et la création de la Société ivoirienne de mobiles, l’opérateur majeur en télécommunications de la république de Côte d’Ivoire.
Au Togo, les multinationales françaises sont bien implantées. Certaines ont largement bénéficié de la vague de privatisation de la fin des années quatre-vingt-dix pour rafler des secteurs économiques. Quelques exemples : en 2000, la Lyonnaise des eaux, en alliance avec une société canadienne, a pris le contrôle de la Compagnie d’eau et d’électricité togolaise ; depuis 2001, BNP Paribas possède 53 % de la Banque togolaise pour le commerce international. Au Cameroun, Bolloré a acquis, dans des conditions contestables, le trafic portuaire de Douala et l’exploitation du chemin de fer. On pourrait allonger la liste des pays.

L’assujettissement par la monnaie

Même si les capitaux français participent à la ruée sur les pays qui décollent, Angola, Nigeria, Afrique du Sud, ils tiennent à préserver leurs bastions traditionnels. Ainsi, un autre mode de domination, par la prise de contrôle directe des infrastructures économiques vient se superposer, parfois partiellement supplanter, les autres modes de domination classiques de l’impérialisme : le contrôle direct militaire et administratif par la colonisation, la vente d’armes et les alliances avec des régimes corrompus, l’échange inégal, l’arme de la dette et le diktat imposé par les institutions financières internationales.

« La France n’a pas besoin de l’Afrique »

En outre, l’assujettissement de la monnaie crée l’impossibilité pour les pays africains intéressés de s’approvisionner hors de la zone franc, sinon dans la limite des contingents de devises parcimonieusement accordés par les autorités de la zone franc (c’est-àdire la Banque de France et le gouvernement français) et oblige ces pays à importer à des prix qui demeurent très supérieurs aux cours mondiaux.
Depuis le début de la colonisation, il y a eu association étroite entre la haute administration française et l’oligarchie financière. C’est plus que jamais ce schéma qui gouverne la politique de la France.
Après que, depuis le début de la colonisation, on a voulu faire croire que la France n’était en Afrique que par philanthropie – voir la réflexion de Sarkozy au Mali en 2007 « La France n’a pas besoin de l’Afrique » – on constate aujourd’hui, devant la concurrence internationale, une offensive politique et économique pour maintenir les « liens privilégiés » avec des régimes prédateurs et non démocratiques, en échange de la perpétuation d’une position également privilégiée des sociétés françaises.
Ce pacte néocolonial ne sert ni l’indépendance économique des pays africains, maintenus dans une économie de traite, ni l’amélioration des conditions de vie de la masse des populations.

Odile Tobner

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