Guéant, Balkany, Bourgi, comment la Françafrique version Sarkozy prépare en coulisses la légitimation dans les urnes du putschiste Abdel Aziz.
Depuis deux mois, la joute entre les putschistes et leurs opposants se poursuit. À chaque semaine son incident. Pourtant début juin, les négociations de Dakar aboutissaient à un report, au 18 juillet, de l’élection présidentielle initialement prévue le 6 juin. Côté jour, la junte militaire et les opposants au putsch (FNDD et RFD) sont tombés d’accord avec les bons offices du président sénégalais Abdoulaye Wade et du Groupe de Contact international (GCI). Côté obscur, ce sont les cercles françafricains en cour à l’Élysée, qui ont poussé le putschiste et candidat à la présidentielle, Abdel Aziz, a accepter le report de l’élection.
Mais cet accord de Dakar vaut légitimation et signifie surtout la non-condamnation des putschistes. Pis, ils se présenteront à l’élection présidentielle avec quelques bons atouts en mains. Ils ont ainsi imposé un report de seulement quarante cinq jours, alors qu’eux-mêmes étaient en campagne depuis plusieurs mois déjà, qu’ils piochent allégrement dans les caisses publiques et utilisent les moyens de l’État pour faire campagne. Cela continue d’ailleurs : même s’il a officiellement démissionné de l’armée, Abdel Aziz utilise la flotte aérienne militaire à des fins électorales. Par ailleurs, aucune nomination faite par la junte n’a été annulée, ni aucun militaire putschiste démis de son poste de commandement...
Dans le gouvernement d’union nationale (GUN), le camp d’Abdel Aziz a aussi la part belle : le poste de Premier ministre et la moitié des fauteuils ministériels lui reviennent, ainsi qu’un tiers des sièges de la Commission électorale nationale indépendante (CENI).
Pourtant, les putschistes font tout pour perturber cette période de transition. Une vraie guerre d’intoxication : ils ont tergiversé pour la signature finale de l’accord, gagnant ainsi quelques jours, puis ils sont revenus sur la mise sous tutelle du Haut Conseil d’État, le HCE (instance décisionnelle de la junte), grappillant à nouveau deux semaines.
Pendant ce temps, les listes électorales ne sont pas révisées, alors que seuls les proputschistes s’étaient inscrits pour le 6 juin, comme sans doute, nombre d’électeurs fictifs ou capables de voter à plusieurs endroits... De la même façon, le personnel qui devra s’occuper de tout le processus électoral n’est ni recruté, ni formé.
Face à de tels retards et des délais aussi courts, les opposants au putsch estiment désormais qu’il est impossible d’organiser un scrutin dans des conditions satisfaisantes. Alors que le tout nouveau gouvernement d’union nationale n’avait rien décidé, le Premier ministre a tout de même signé et a fait circuler dans les médias d’État un décret « convoquant le collège électoral pour l’élection du président de la République prévue le 18 juillet 2009 », obligeant le FNDD et le RFD à en appeler au conseil constitutionnel !
Le but de ces manoeuvres n’est pas de bloquer l’élection, mais de gêner suffisamment sa préparation. La junte pourra ainsi rester sur les bases qu’elle avait posées pour le 6 juin... la fraude n’en sera alors que plus facile.
Or la junte bénéficie d’un allié de poids, la Françafrique. Tout d’abord, l’ambassade de France à Nouakchott n’a pas démenti les multiples accusations faites à son Premier secrétaire, Jean-Michel Antona, pour son rôle de conseil auprès d’Abdel Aziz. Ensuite, lors d’un voyage privé à Paris, le 12 juin, ce dernier a même reçu, dans son hôtel, le chef des renseignements extérieurs français (DGSE), Philippe Erard Corbin de Mangoux, puis un très proche de Nicolas Sarkozy, Patrick Balkany, qui servirait également d’intermédiaire entre un homme d’affaire kazakh et la junte.
Le lendemain, ce fut le tour de Claude Guéant, secrétaire général de l’Élysée, de Robert Bourgi, qui fait partie de ces « émissaires officieux qui n’ont d’autre mandat que celui qu’ils s’inventent » et le très riche et influent Mohamed Bouamatou.
Tous auraient assuré de leur soutien l’ex-général avec le message qu’une élection dans des conditions « passables » serait acceptée à Paris... les hautes autorités hexagonales assurant ensuite une reconnaissance internationale au putschiste « élu ».
La semaine suivante, le général Ghazouani, son bras droit, débarquait à Paris pour assister au salon du Bourget et y acheter quelque matériel militaire, français sans aucun doute...
Plus grand monde n’est dupe du manège des responsables français, ainsi à l’Assemblée nationale française, le député UMP, François Grosdidier, a été très critique. Le député PS, François Loncle a enfonçé le clou, indexant nommément les Claude Guéant, Patrick Balkany, Robert Bourgi, les « barbouzes » et les « services », comme les instigateurs du soutien élyséen aux putschistes mauritaniens...
Malgré tout, le jeu politique mauritanien est loin de se décanter. Ely ould Mohamed Vall s’est déclaré candidat, il devrait prendre des voix à son cousin, Abdel Aziz, parmi les notables tribaux traditionnels et leur clientèle. Vall est souvent présenté comme pro-français et paraît plus politiquement correct : après avoir été à la tête du putsch de 2005, il a cédé le pouvoir aux civils. Il fut pourtant le numéro 2 du dictateur Taya pour lequel il dirigeait les renseignements et la police et est donc, à ce titre, coresponsable des crimes du régime.
En plus des trois candidatures bidon qui s’étaient déclarées pour le 6 juin, nombre de candidats sont sans envergure. Seuls trois sont significatifs. Tout d’abord, Ahmed ould Daddah, leader du RFD, mais qui devrait payer son inconsistance en ayant d’abord soutenu le putsch avant de finir dans le camp de ses opposants. Jemil ould Mansour, ensuite, tête de liste des islamistes modérés et opposant, dès le début, au coup de force. Enfin, le candidat unique du FNDD, hors les islamistes, Messaoud ould Boulkheir. C’est le véritable poids lourd des démocrates : actuel président de l’Assemblée nationale mauritanienne, chef de file du parti APP, opposant historique au régime Taya (son parti fut interdit deux fois) et leader de la communauté des anciens esclaves (Haratin). Il a également su se poser, face au putsch, en homme d’État responsable.
Toutefois, l’assassinat d’un Américain travaillant pour une ONG et revendiqué par Al Qaeda embrouille encore davantage la situation. Car de deux choses l’une, ou bien les militaires et leur junte sont incapables d’assurer la sécurité du pays, ou bien cet assassinat arrive, à nouveau, à point nommé pour faire comprendre à la communauté internationale que seul un pouvoir fort saura contenir la menace terroriste. Tout en mettant un petit coup de pression sur les États-Unis jugés trop rétifs aux putschistes.
Pour l’instant tout est suspendu au report ou non du scrutin et si celui-ci a lieu, à l’ampleur de la fraude et aux réactions des uns et des autres. Il y a tout de même fort à parier que l’opposition ne se laissera pas faire...