Survie

Enterrement en Françafrique

(mis en ligne le 1er juillet 2009) - Odile Tobner

Chacun sait qu’il ne faut pas parler de corde dans la maison d’un pendu, on comprend mieux aujourd’hui pourquoi Jean-Marie Bockel, en parlant d’enterrer la Françafrique, a déchaîné contre lui les foudres des pouvoirs françafricains, séniles mais plus offensifs que jamais. En fait d’enterrer la Françafrique, c’est Omar Bongo qu’on a enterré. La Françafrique lui survivra. Elle s’est même manifestée dans toute sa splendeur lors de cette disparition, combien emblématique.

D’abord un Président de la Françafrique est tellement étranger à son pays qu’il n’y meurt jamais. Senghor, Houphouët-Boigny sont morts en France. Eyadéma est mort dans l’avion qui l’emportait en Egypte paraît-il, Bongo est allé mourir en Espagne. Au moment ultime ils vont chercher assistance loin du pays où ils n’ont même pas, pendant leurs longues années de pouvoir – record battu par Bongo avec 42 ans – construit un seul hôpital digne de ce nom.

Ils délocalisent leur mort, comme ils ont délocalisé leur patrimoine. La famille Bongo possède 39 résidences et 70 comptes bancaires en France seulement.

Pendant ce temps l’espérance de vie des Gabonais, qui doivent vivre et mourir sans soins, est de 54 ans, dépassant à peine celle des pays les plus déshérités sous ce rapport, tous en Afrique, tandis qu’aux Emirats Arabes Unis, pour comparer avec un pays pétrolier comme est le Gabon avec son million et demi d’habitants, elle est de 79 ans. Cette triste performance est due, comme l’a rappelé opportunément Eva Joly, au taux très élevé, 95 pour mille, de mortalité infantile, taux qui stagne au Gabon depuis des décennies alors que c’est sur ce point que les pays même très pauvres font le plus facilement des progrès spectaculaires. Il suffit d’une volonté gouvernementale de se consacrer prioritairement à la protection maternelle et infantile.

Ces chiffres suffiraient à condamner l’ère Bongo comme celle d’un autocrate sans conscience et sans scrupule. Pourtant en France, où l’on ne se prive pas de stigmatiser avec sévérité maint chef d’Etat, on a entendu un concert d’éloges indécents dans la bouche des principaux hommes politiques. Il est vrai que Bongo leur consacrait plus d’attention qu’aux enfants de son pays. On a pu rappeler en effet les liens qui les unissaient à celui qui finançait généreusement leurs campagnes électorales. Les présidents Sarkozy et Chirac ont été les seuls présidents non africains à se rendre aux obsèques de Omar Bongo et, parmi les présidents africains, il n’y avait que ceux de l’Afrique francophone. L’aura de Bongo est en effet réduite à ce cercle restreint comme parrain de la Françafrique.

Les couronnes déposées par les multinationales françaises, Total, Bouygues, Bolloré, témoignaient de la gratitude du petit cercle des amis reconnaissants du Président gabonais. On a été étonné en revanche de découvrir, parmi les admirateurs du disparu, un intellectuel comme Elikia Mbokolo, qu’on pensait tant soit peu critique. Son intervention sur France Culture, dans le pur style sophistique de l’intellectuel stipendié, a chanté la gloire de Bongo, dont l’enrichissement personnel poserait les fondements d’une accumulation primitive du capital aux mains d’une classe dirigeante autochtone. Quand le simple bon sens force à constater que Bongo s’est inscrit dans la pure dilapidation et n’a justement rien construit dans son pays, même pas, répétons-le, un hôpital où mourir, un tel argument paraît assez tiré par les cheveux.

Et quand le même Elikia Mbokolo affirme qu’il met la morale d’un côté, la recherche scientifique de l’autre, on doit hélas lui opposer qu’il méprise l’une et l’autre. L’histoire sera certainement plus sévère que le scribe accroupi chargé de l’oraison funèbre du prince.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 182 - Juillet 2009
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