Survie

Tandja, Sarko, jeux de dupes à Niamey

(mis en ligne le 1er septembre 2009) - Danyel Dubreuil, Juliette Poirson

Après le putsch institutionnel de cet été, la diplomatie française fait mine de s’inquiéter. Pourtant, en mars dernier, alors que Tandja ne cachait déjà pas vouloir se maintenir au pouvoir, Sarkozy avait salué à Niamey celui qui avait « redonné à la démocratie ses lettres de noblesse ». Des louanges hypocrites qui valaient évidemment approbation en échange du gisement d’Imouraren attribué à Areva.

Le référendum proposant la modification de la Constitution du Niger a été soumis au vote des citoyens nigériens le 4 août 2009. Malgré le concert croissant de critiques au Niger et dans le monde, le président Tandja, qui s’était arrogé les pleins pouvoirs le 26 juin, a décidé de maintenir la consultation populaire visant à lui offrir une prolongation immédiate de son mandat présidentiel puis la possibilité de se représenter indéfiniment. Cela a été, une fois de plus, l’occasion de constater le peu de cas que fait la France de la démocratie en Afrique.
Elle est restée longtemps silencieuse après que Sarkozy ait clairement soutenu Tandja lors de son voyage à Niamey le 28 mars et éludé toute prise de position claire sur la question. Début juin, le ministère des Affaires Etrangères français se contente de déclarations laconiques. Fin juin, alors que Tandja s’arroge les pleins pouvoirs, le Quai d’Orsay se force presque : « La France rappelle l’importance qu’elle attache au cadre constitutionnel du Niger, à la préservation de l’acquis démocratique de ce pays et à sa stabilité » ; le 5 juillet, un message de Sarkozy sur la situation nigérienne « inquiétante et décevante » est transmis à l’occasion de la 35e session de l’assemblée parlementaire de la Francophonie. Sarko rajoute « Elles [les institutions] sont aujourd’hui directement menacées par un dévoiement de certaines dispositions constitutionnelles au service d’intérêts particuliers et non de l’intérêt général. (…) ». Certains journalistes ont salué la clarté et la fermeté d’un discours en rupture avec tradition françafricaine comme si Sarko découvrait les intentions de Tandja.
Grâce aux pleins pouvoirs dont celui-ci dispose, il modifie le code électoral sans respect des délais légaux, refuse les avis de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) dont les membres démissionnent alors en nombre et les remplace par de fidèles soutiens. Il interdit les grèves et manifestations prévues en juillet par la société civile et l’opposition et va même jusqu’à faire interpeller militants et responsables politiques. Il demande la fermeture de journaux et de la télévision privée Dounia. Le 1er août, il fait arrêter Abdoulaye Tièmogo directeur de l’hebdomadaire privé satirique nigérien Le Canard déchaîné, ainsi que huit autres directeurs d’hebdomadaires privés qui avaient osé rapporter les soupçons de corruption pesant sur son fils. Par ailleurs, Tandja protège sa place : le 30 juillet, il lance un mandat d’arrêt international contre son ancien Premier ministre et candidat déclaré à sa succession, Hama Amadou.

Un référendum « ridicule » et « grossier »

De son côté, l’Union européenne (UE) a tapé du poing sur la table plus tôt : le 11 juillet, Louis Michel, commissaire au développement, a annoncé le blocage d’une aide au budget de plus de 102 millions d’euros en rappelant les critères en termes de démocratie et de droits humains contenus dans l’accord de Cotonou signé, en 2000, entre l’UE et les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique). La France est alors obligée de s’aligner sur cette position à la mi-juillet par la voix du porte-parole du quai d’Orsay, Eric Chevallier : « Les décisions récentes du président Tandja constituent des atteintes répétées à la démocratie. Elles se situent en dehors du cadre constitutionnel et menacent de fragiliser durablement les institutions du Niger… Les événements politiques récents au Niger sont en contradiction avec les principes essentiels de l’Accord de Cotonou et font donc nécessairement courir le risque de la suspension de la coopération communautaire (…) » Mais qu’en est-il de l’aide bilatérale ? Ensuite ? Plus rien, aucune déclaration ni des uns ni des autres jusqu’à la proclamation des résultats officiels du référendum le 10 août : 92,5 % de oui et une participation officielle de 68,3 %.
Sur la scène politique nigérienne, on se désole. Hassoumi Massaoudou, deuxième secrétaire général adjoint du PNDS Tarayya (parti socialiste nigérien, qui fait partie de l’opposition), exprime sa désolation face à l’image « ridicule » et « grossière » que le score de 92,50% du « oui » donne du Niger. « Nous pensions que toutes ces choses-là étaient derrière nous et voilà qu’on nous ramène en arrière avec des leaders bien-aimés et bien entretenus avec des scores de 90% et des taux de participation fictif. Donc malheureusement c’est très grave, c’est l’achèvement de tout un processus, le référendum, par conséquent, n’a aucune crédibilité, ni nationale ni internationale. Ces gens ont beaucoup de mépris pour le peuple nigérien, beaucoup de mépris pour la Nation nigérienne. ». La société civile aussi conteste les chiffres : les leaders du Fusad (Front uni pour la sauvegarde des acquis démocratique) estiment que la participation a été comprise entre 5 et 7%. Des propos qui dérangent d’autant que les organisation de la société civile se coordonnent au sein d’une coalition plurielle, appelée FDD puis CFDR (Coalition des forces démocratiques pour la République), qui demande le retour à la Constitution de 1999. Marou Amadou, son leader et l’ancien représentant des sociétés civiles à la CENI, est interpellé et jeté en prison ainsi qu’au moins 55 militants de la FUSAD.

Les déclarations ambiguës de la France

Du côté européen, les positions se font plus fermes : John Clancy, porte-parole de la Commission européenne déclare que « la tenue de ce référendum met clairement en danger notre coopération et ce processus peut éventuellement amener à une situation où il y a une suspension de notre aide au développement ». Le Danemark suspend sa coopération bilatérale et déclare « nous considérons le revers démocratique dans nos pays partenaires avec une grande inquiétude… ». La France, elle, renoue avec son apathie bienveillante et fait une déclaration ambiguë à la suite de la proclamation des résultats du référendum : « Avec la communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest et l’Union européenne, la France a toujours marqué son attachement au respect des acquis démocratiques et du cadre constitutionnel. Nous appelons le président Tandja à renouer le dialogue avec l’ensemble des forces politiques et à prendre tous les engagements nécessaires pour que le Niger retrouve rapidement un cadre constitutionnel et démocratique. Nous serons très attentifs à l’organisation prochaine d’élections législatives qui doivent être transparentes, justes et démocratiques ». Elle ne précise évidemment pas si le « cadre constitutionnel et démocratique » est celui de la Constitution de 1999 car pour elle, visiblement, le passé est le passé et il vaut mieux se tourner vers l’avenir.
Il n’est aucunement question de remettre en cause les relations économiques et l’aide bilatérale. L’organisation d’élections législatives serait le meilleur moyen d’entériner les changements constitutionnels de Tandja, et la participation de toutes les forces politiques donnerait validité et légitimité à cette nouvelle constitution. Mais l’opposition nigérienne n’a pas l’air décidée à aller docilement aux élections et appelle au boycott du scrutin prévu pour le 20 octobre.

Le Niger sous une chape de plomb

Cette position française condamne les opposants à capituler devant le nouveau régime ou à s’exposer aux foudres de Tandja. La nouvelle constitution lui donne la totalité du pouvoir exécutif et le président n’hésite pas à s’en servir pour mater toute opposition. Cela n’a d’ailleurs pas tardé. Le 18 août, le journaliste Aboulaye Tièmogo est condamné à trois mois de prison ferme pour propagation de fausses nouvelles. Le préavis de grève de 72 heures déposé par les sept plus importantes centrales syndicales du pays le 20 est jugé illégal et le pouvoir annonce que les manifestations seront réprimées. Le 24 août, Wada Maman, secrétaire général de l’Association nigérienne de lutte contre la corruption (ANLC), membre actif de la coalition Publiez-Ce-Que-Vous-Payez-au- Niger, connue sous le nom de ROTAB au Niger, est arrêté sans motif et détenu depuis sans inculpation. Marou Amadou est toujours en prison pour un délit fictif. Au même moment que Tandja promulguait sa constitution, au Bénin, la gestion du port autonome de Cotonou revenait au groupe Bolloré. Ce dernier clamant haut et fort sa joie de pouvoir transporter dans un proche avenir les milliers de tonnes d’uranium nigérien, produit par Areva. Bien sûr, lui non plus n’envisage pas que les soubresauts politiques du Niger entravent en quoi que soit le développement des intérêts économiques français dans cette région.

Danyel Dubreuil, Juliette Poirson

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 183 - Septembre 2009
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