Survie

Enterrement en Françafrique

(mis en ligne le 1er octobre 2009) - Odile Tobner

Il y a plus de dix ans, en 1996, dans son livre La Françafrique, François-Xavier Verschave, avait mis en lumière les relations singulières autant qu’occultes que le pouvoir politique français entretenait avec les dirigeants de l’Afrique francophone, sujet largement ignoré par l’information en France. Cela engendra ensuite un certain nombre de publications pour persuader l’opinion que cette Françafrique, qui n’avait jamais existé, n’existait plus désormais [1], la politique française ayant bradé son influence en Afrique, faute de moyens.

La nouvelle de cette mort semblait cependant exagérée, à tel point que, lorsque Jean-Marie Bockel, en charge du secrétariat d’Etat à la Coopération, parla, en janvier 2008, d’enterrer la supposée défunte, cela ne provoqua pas un simple sourire amusé, à l’adresse quelqu’un qui n’est manifestement pas au courant, mais une véritable tempête, à l’égard de quelqu’un qui commet un sacrilège en violant un tabou. La réaction fut en effet vigoureusement françafricaine. La morte se portait très bien et avait même toutes ses dents pour se défendre. Jean-Marie Bockel en fit l’amère expérience.

Bongo, tombeur de Bockel, disparu, l’épisode suivant du feuilleton, avec sa succession – ne parlons pas en effet d’élection, ce serait aussi très largement exagéré – dévolue à son fils Ali, vient d’apporter son lot de rebondissements. D’abord une incroyable prestation de l’inénarrable Robert Bourgi, sur RTL le 9 septembre 2009 [2]. Impensable ailleurs qu’en France cette pantalonnade restera dans les annales. On y entend, entre autres, un récit, en pur style françafricain, de l’éviction de Bockel qui démontre à quel degré de ridicule sont assujetties les relations diplomatiques entre la France et l’Afrique. Dire, comme on l’a entendu, que ce style de relation est inévitable c’est avouer que croire à une réelle démocratie, c’est bon pour les gogos. Jamais l’aspect mafieux de la politique africaine de la France ne s’était exhibé avec une telle suffisance. Les très molles réactions de l’entourage de Sarkozy et du gouvernement sont inquiétantes. On est obligé de poser la question.

Que doivent-ils donc à Robert Bourgi ? Ce personnage ne brille ni par son intelligence ni par son sens politique. Il perpétue caricaturalement un foccartisme paternaliste et raciste, dans la mesure où ce serait ce type de relation qui conviendrait en Afrique. En réalité ce qui est aveuglant dans cette prestation c’est que la France n’a aucun rapport avec ceux qui seraient les représentants des peuples africains, ce qui supposerait une certaine dignité, mais seulement avec les despotes ubuesques qui se maintiennent au pouvoir avec son assentiment et je ne sais quel échange honteux de complaisances mutuelles. Bourgi est sans doute la pincette qu’il faut prendre pour serrer certaines mains.

Ensuite et surtout, ce qui a été enterré à nouveau au Gabon par la force, après l’avoir été au Congo Brazza, au Niger, en Mauritanie, au Cameroun, pour ne parler que des cas tout récents, c’est l’aspiration au changement de la masse de la population africaine, écrasée dans l’oeuf comme d’habitude. Il faut que l’inexpugnable système françafricain soit bien férocement vivant et agressif pour que les vagues de contestation dont il est l’objet viennent régulièrement se briser sur son impavide réalité. On peut certes prophétiser son inéluctable démantèlement mais on ne cesse d’être stupéfait de sa résistance et de sa pérennité. Dans son blog La pompe à phynances, Frédéric Lordon affirme : « De quoi Ubu est-il fondamentalement la figure ? Du despote parasitaire ». Cette figure monstrueuse d’un pouvoir qui prend tout, ne donne rien et tire sa force herculéenne de cette spoliation radicale et cynique devait s’incarner en Afrique.

[1Par exemple : Comment la France a perdu l’Afrique, Glaser et Smith, Hachette 2006

[2Voir Le cas Bourgi, page 11

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 184 - Octobre 2009
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