Survie

La République tremble à nouveau

(mis en ligne le 1er novembre 2009) - Alice Primo

Charles Pasqua a perdu son masque débonnaire après sa condamnation à un an de prison ferme. L’homme des coups les plus tordus de la Ve République, ancien membre de la milice gaulliste, le SAC, montre les crocs.

L’Angolagate n’a pas fini de nous dévoiler ses secrets. L’instruction avait permis de comprendre la façon dont Arcadi Gaydamak et Pierre Falcone s’étaient enrichis par des ventes illégales d’armes à l’Angola, alors en guerre civile, et avaient mis la main sur une partie de son pétrole, avec, selon les cas, la bienveillance ou la complicité active de nombreux acteurs politiques français de premier plan. L’approche du procès avait contraint les responsables politiques français à assumer au grand jour leurs multiples pressions sur la justice : visite de Nicolas Sarkozy en Angola en mai 2008 afin de dissiper les « malentendus du passé » (sic) ; courrier au tribunal d’Hervé Morin, ministre de la Défense, en juillet 2008, afin de tenter -vainement- de dicter aux juges que le trafic n’avait pas d’existence juridique puisque les armes n’avaient pas transité physiquement par la France. Le procès et les auditions des prévenus et des témoins ont montré la profonde collusion entre nombre de personnalités politiques et les différents réseaux affairistes impliqués, notamment ceux de Charles Pasqua et ceux de Jean-Christophe Mitterrand.

Mais le clou du spectacle restait à venir. Pasqua, trempé jusqu’au cou dans cette énième affaire, n’a cette fois pas réussi à s’en sortir indemne : alors que le Parquet n’avait pas requis contre lui de prison ferme (trois ans avec sursis et 150 000 euros d’amende), ce doyen de la Françafrique a écopé d’un an de prison ferme (et 100 000 euros d’amende). Outre que, sans surprise, il compte faire appel, ce « parrain » se fait menaçant. D’abord sur France 2, le soir même, en annonçant vouloir faire « une très grande mise au point » : « sur ces affaires de ventes d’armes, il faut que les choses soient clarifiées. Le président de la République était au courant de l’affaire de ventes d’armes à l’Angola, le Premier ministre était au courant, la plupart des ministres aussi ». Et d’enchaîner sur une revendication chère à Survie : « je demande au Président de la République de lever le secret défense sur toutes les ventes d’armes, sur toutes ces opérations qui ont été réalisées à l’étranger afin que l’on sache s’il y a eu des retours de commissions en France et qui en a bénéficié ». Bien qu’il « ne pense à personne », il prévient : « j’en ai vu d’autres, et je ne me laisserai pas abattre ». Mais ce coup de semonce n’est pas suffisant. Pasqua élargit donc le tir dès le lendemain. A la journaliste de la chaîne câblée Public Sénat qui demande si cela concerne également d’autres dossiers sensibles (Clearstream, l’attentat de Karachi, les frégates de Taïwan, …), Pasqua lâche « Il faut tout lever ! Les Français ont besoin de le savoir ». Enfin, sur Canal +, Pasqua nous fait du Alfred Sirven dans le texte : « Ça fera trembler un certain nombre de personnages de la République ».

A ce stade, il est nécessaire de rappeler ce qu’écrivait François-Xavier Verschave dans la revue Mouvements de mai-juin 2002 : « Quand « l’honorable correspondant  » Sirven, jongleur de milliards, se vantait d’avoir vingt fois de quoi faire sauter la classe politique, il résumait malheureusement l’inversion des pouvoirs : la Françafrique prônait la raison d’État avec des méthodes de voyous, ceux qui les ont appliquées sont devenus des voyous qui font chanter la République. » Pasqua, en se donnant des airs de maître-chanteur, endosse parfaitement le costume. L’ironie de cette histoire françafricaine, c’est bien de voir le « terrible monsieur Pasqua » réclamer une vertueuse levée du secretdéfense sur les ventes d’armes, emboîté par des parlementaires socialistes et François Bayrou qui ont signé une pétition en ce sens. Afin de continuer à faire la lumière sur « le plus long scandale de la République », nous en sommes réduits à espérer la généralisation de cette guerre fratricide entre certains réseaux françafricains, qui entraîne depuis plusieurs semaines la distillation d’informations explosives (et de pas mal d’intox aussi) sur les attentats de Karachi, l’assassinat des moines de Tibehirine et... peut-être bientôt l’Angolagate.

Alice Primo

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 185 - Novembre 2009
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