Si le concept de Françafrique est aujourd’hui très largement évoqué, c’est en grande partie grâce à l’action continue de citoyens rassemblés au sein d’une association, Survie, dont l’histoire interne est étroitement liée à la découverte du néocolonialisme français en Afrique. Alors que la diplomatie française, à l’occasion du cinquantenaire des indépendances, s’apprête à célébrer pendant plusieurs mois l’année 2010 comme “année de l’Afrique”, Survie franchit en cette fin d’année 2009, le cap des 25 ans d’existence.
Survie est souvent perçue comme une association pointue dans ses analyses, radicale dans ses prises de position qu’elle exprime sans compromissions et sans complaisance, « agressive et caricaturale » diront certains à la marge.
Pour certains Survie est avant tout une association de spécialistes, l’oeuvre colossale de François-Xavier Verschave en étant la plus visible des vitrines. Pour d’autres, Survie est avant tout une association de militants, une connotation péjorative dans la bouche de certains, journalistes, chercheurs et autres « spécialistes », parfois autoproclamés de l’Afrique, qui ont pourtant souvent eu recours aux écrits de Survie. Entre ces deux lectures, on peut affirmer que Survie est une association de militants devenus, pour la plupart d’entre eux, de bons connaisseurs des rouages de la Françafrique et pour un nombre croissant d’entre eux des spécialistes, en toute modestie. Grâce à leur travail d’enquête, de synthèse et de rédaction,Survie est, depuis ses débuts, une association à l’activité éditoriale particulièrement riche, sans équivalent dans le milieu français de la solidarité internationale.
A côté des grands classiques que sont devenus les ouvrages de référence de François-Xavier Verschave, les 23 Dossiers Noirs, les ouvrages sur le Rwanda, les biens publics, les brochures de sensibilisation, les 186 numéros de Billets d’Afrique ont constitué l’activité éditoriale la plus prolifique et la plus stable de l’association. La publication chaque mois depuis seize ans de Billets d’Afrique, journalmilitant sans aucun moyen technique et financier constitue un des principaux leviers d’action et un de ces « petits miracles » de l’association.
François-Xavier Verschave a fondé Billets d’Afrique en 1993, en supplément puis en substitution du bulletin Le Point sur la loi, comme pour marquer la transition entre les dix premières années de l’association, consacrées à l’adoption d’une loi destinée à lutter contre l’extrême misère dans le monde qui ne sera jamais votée, et la découverte des horreurs de la Françafrique, à commencer par le génocide alors en préparation au Rwanda. Billets d’Afrique a été pendant dix ans un bulletin quasi exclusivement rédigé et mis en page par François-Xavier Verschave.
Cette parution était chaque mois le fruit d’un travail colossal de revue de presse, de compte-rendus d’entretiens, de recoupements et en dernier lieu d’écriture (souvent les trois jours précédents le bouclage, à raison d’une quinzaine d’heure de travail par jour). Diffusés aux abonnés payants mais aussi à de nombreux destinataires ciblés (cabinets ministériels, députés, militants africains, etc.) Rendus accessibles au public dans leur intégralité dès le développement de l’outil internet, les archives de Billets servent encore de références documentaires à nombre de journalistes, chercheurs et étudiants. Que saurions-nous aujourd’hui de la carrière françafricaine de Jacques Toubon au sein du Club 89, quelle analyse aurions-nous de l’évolution de la Françafrique pendant la cohabitation Jospin/Chirac, comment pourrions nous retrouver les traces de tel parrain corse, de tel marchand d’arme, mercenaire, de tel opposant réprimé sans la base de données (refondée en 2007 par des militants passionnés) de Billets d’Afrique ?
Bien avant sa maladie, François-XavierVerschave avait compris qu’il fallaitouvrir Billets à davantage de contributeurs et créer un comité de rédaction. En 2004 il confia la responsabilité de coordinateurs de la publication à deux militants, tout en conservant une forte activité éditoriale. Pierre Caminade, militant lyonnais, auteur de deux Dossiers Noirs, conserva pendant trois ans la lourde fonction de rédacteur en chef, notamment dans la période qui suivit le décès de François-Xavier Verschave en juin 2005.
Billets d’Afrique avait déjà commencé une longue mutation, dont la concrétisation la plus visible fut l’adoption d’une nouvelle maquette en 2007 et le passage en imprimerie professionnelle, sous l’impulsion du nouveau rédacteur en chef, Raphaël De Benito et d’une secrétaire de rédaction, Janine Sfiligoï.
Tout en conservant ses plumes les plus fidèles, celles d’Odile Tobner, Sharon Courtoux, Pierre Caminade ou Victor Sègre, Billets d’Afrique ouvre aujourd’hui ses colonnes à des contributeurs qui atteste d’un renouvellement générationnel et de ses relations avec les mouvements africains.
En effet, aux côtés du comité de rédaction régulier, de plus en plus nombreux sont les représentants d’organisations amies, françaises ou africaines, des journalistes africains, des « plumes »comme les écrivains Patrice Nganang et Jean-Luc Raharimanana, à participer au journal. Format récent dans Billets, les interviews permettent de recueillir des témoignages et des informations de première main auprès de militants persécutés du Congo-Brazza, du Gabon, du Tchad, du Togo ou du Niger.
Fabrice Tarrit, Raphaël De Benito