Survie

One Forest Summit : brasser du vent

rédigé le 10 mars 2023 (mis en ligne le 31 juillet 2023) - Jérôme Lasagno

Le sommet sur la forêt tropicale tenu au Gabon début mars, dans une ambiance de gros sous et de jeux politico-diplomatiques, a permis beaucoup de communication consensuelle (greenwashing) et n’a apporté aucun résultat concret pour l’environnement.

Les 1er et 2 mars 2023 se tenait à Libreville le One Forest Summit, réuni sous l’égide de MM Emmanuel Macron et Ali Bongo. Le One Forest Summit prétend avoir pour ambition de protéger les forêts tropicales du bassin du Congo, mais Macron n’oublie pas l’essentiel : « des hydrocarbures aux infrastructures, la présence de nos entreprises [..] est absolument clé » (discours aux ressortissants français, le 1/03). D’ailleurs, la délégation qui accompagnait le chef de l’État français comprenait de nombreux industriels, dont Thierry Déau, le PDG de Meridiam (fonds d’investissement qui « maximise les avantages économiques, environnementaux et sociaux à long terme » en construisant notamment des autoroutes et des data-centers, voir son site internet), Christel Bories, la patronne du groupe Eramet (premier acteur minier du Gabon), Pierre Soler-My, le PDG du producteur de charbon de bois Carbonex. Quelle émotion de voir réunis tous ces spécialistes sachant faire de l’argent mais de façon durable et responsable !

Protégeons la forêt tropicale !

Le Gabon est couvert en grande partie d’une forêt tropicale qui reste bien préservée. Peut-être grâce à la faible densité de population du pays (un peu plus de 2 millions d’habitants sur un pays grand comme la moitié de la France), peut-être aussi parce que la rente pétrolière de cet « émirat tropical » a assuré pendant des décennies des revenus confortables à la classe dirigeante. Comment peut-on protéger cette précieuse forêt tropicale ? En revenant aux modes traditionnels d’usage, respectueux de la faune et de la flore ? Vous n’y pensez pas, ça serait tellement rétrograde ! Les meilleurs scientifiques vont définir des modalités d’observation des forêts tropicales à l’aide de satellites et de bases de données (One Forest Vision, volet scientifique du "Plan de Libreville’ annoncé à l’issue du sommet), voilà qui est résolument moderne ! Un autre moyen de protéger la forêt serait-il de vendre 220000 hectares de forêt à GSEZ, filiale d’un groupe singapourien, comme l’a fait le ministre gabonais des forêts Lee White en 2020 en violation du code forestier, selon le syndicat Synapef (RFI, 20/02/23) ? En envisageant de transporter les grumes par ballon dirigeable, comme annoncé par le groupe forestier Rougier et la société Flying Whales le 2 mars 2023 dans la foulée du sommet ? On l’aura compris, l’objectif n’est pas vraiment de protéger la forêt des tronçonneuses mais plutôt de générer de l’argent grâce à la forêt.

Usine à gaz

A la tête d’un pays comptant des millions d’hectares de forêt tropicale, Bongo se dit qu’il doit absolument convertir ce trésor en monnaie sonnante et trébuchante grâce aux crédits carbone. Mais les dispositifs existants ne sont pas adaptés au cas du Gabon, comme l’explique l’économiste Alain Karsenty interrogé par Libération (01/03 /23). Il existe deux dispositifs principaux de crédits carbone. Le premier est le marché de conformité, régi par un certain nombre de règles qui sont en cours de finalisation depuis la COP 26 de 2021. Dans le cadre des forêts, le marché de conformité est régi par un processus qui s’appelle REDD + (Réduction des émissions de gaz à effet de serre dues à la déforestation et à la dégradation des forêts) et qui vise à limiter la déforestation. Le deuxième est le marché volontaire, où se mêlent de la communication et de réels engagements pour le climat. Sur ce marché, on peut acheter des crédits carbone correspondant à des projets précis de conservation ou de plantation, ce qui permet à l’acquéreur d’afficher une neutralité carbone. C’est sur ce marché que le Gabon souhaite se positionner, mais en vendant des crédits à l’échelle du pays au lieu d’associer chaque tonne à un projet précisément défini et localisé. Bongo souhaite proposer une nouvelle variété de crédits carbone, qui auraient plus naturellement leur place dans le marché de conformité mais les procédures y sont trop longues. C’est pour cette raison qu’il a proposé un montage atypique, nommé pompeusement « crédits carbone à très haute intégrité environnementale ». On se demande jusqu’où les superlatifs peuvent aller sans tomber dans le ridicule : on trouve même sur la page consacrée au Plan de Libreville sur le site internet de l’Élysée la formule « crédits carbone à très haute qualité environnementale et sociale ». Qui dit mieux ? En tout état de cause, après plusieurs mois de promotion, les crédits carbone innovants de Bongo n’ont pas trouvé preneur à la fin du sommet. Le marché est au ralenti (Le Monde, 03/03/23) depuis la publication en janvier par le Guardian d’une enquête pointant les mirages du marché volontaire et parlant de « crédits fantômes » à propos de la réduction de la déforestation (The Guardian, 18/01/23).

Une initiative pour du vent

Rien de fondamentalement nouveau donc depuis l’engagement de la Norvège en 2019 de verser au Gabon jusqu’à 150 millions d’euros sur 10 ans en échange de la préservation de la forêt, dans le cadre de l’initiative Central African Forest Initiative (CAFI) sous l’égide des Nations Unies. A l’occasion du One Forest Summit, une nouvelle initiative a été lancée - les « Partenariats de Coopération Positive » (PCP) - dans le cadre du Plan de Libreville, abondée à hauteur de 100 millions d’euros par la France, la fondation Walton et Conservation International. Cette initiative PCP reste néanmoins floue car « l’objectif sera de préciser les contours de ce nouvel outil de financement innovant » (site internet de l’Elysée). On a donc mis beaucoup d’argent sur la table mais on ne sait pas encore ce que l’on va en faire ni sur quel critère on va le dépenser. Ce qui est clair, c’est qu’il fallait communiquer à la fin du sommet. L’annonce de cette initiative a permis d’épaissir un peu la sauce. Quitte à annoncer un dispositif qui fait doublon avec la CAFI et dont apparemment personne ne peut détailler les objectifs et modalités.

Paris courtise Libreville 

On peut risquer un autre point de vue sur le One Forest Summit, et soulever quelques questions. À l’occasion du sommet, le chef de l’État français s’est déplacé au Gabon, ce qui est un signe clair de réchauffement des relations. Bongo a été critiqué par l’Union Européenne, notamment suite à son élection frauduleuse de 2016 suivie par une répression sanguinaire, et aucun président français ne s’était rendu au Gabon depuis Nicolas Sarkozy en 2010. Bongo avait-il besoin d’une nouvelle légitimation avant l’élection présidentielle prévue pour août 2023 ? C’est certain qu’Ali Bongo estime qu’une photo de lui en train de recevoir le président de la France n’a rien pour dégrader son image. Et Macron n’a rencontré aucun des autres candidats, même si des membres de la délégation française ont rencontré certains candidats et des représentants de la société civile (Jeune Afrique, 02/03/23). Les intérêts économiques de la France sont importants au Gabon, entre les sociétés forestières (Rougier), pétrolières (Perenco – Billets n°325, février 2023 –, Total, Maurel & Prom) et minières (Eramet). La société de logistique de Bolloré contrôlant le trafic maritime du pays a été cédée fin 2022 au groupe MSC, l’armateur qui appartient aux cousins d’Alexis Kohler, le bras droit de Macron. La société pétrolière Perenco a annoncé en février 2023 sa décision d’investir dans une unité de production de gaz naturel liquéfié à Port Gentil (site lngprime.com, 20/02/23). Raison de plus pour que Macron chouchoute le président du pays qui exportera un combustible stratégique pour la France depuis la rupture des approvisionnements russes. Y a-t-il d’autres raisons à la câlinothérapie prodiguée par Macron envers Bongo ? Le fait que le Gabon a rejoint le Commonwealth en juin 2022 est-il un signe de perte d’influence de la France ? La présidence française est inquiète de voir plusieurs pays (Centrafrique, Mali, Burkina-Faso) tomber dans la sphère d’influence russe, et se soucie de limiter la contagion. Cette crainte a été baptisée « complexe de Bangui » (Afrique XXI, février 2023). L’abstention du Gabon à l’ONU lors du vote en février d’une résolution demandant le retrait des troupes russes d’Ukraine révèle-t-elle un souci de Bongo de ménager la chèvre et le chou ou une mise de pression ferme sur son parrain français ? Questionné sur cette abstention lors d’une visite officielle en France, le Premier ministre gabonais Alain-Claude Bilie-By-Nze se dit très étonné qu’on demande aux Africains « de justifier leur choix » (France 24, 21/03/03). L’assurance avec laquelle les autorités gabonaises ont refusé la présence d’observateurs de l’Union européenne pour l’élection présidentielle à venir révèle un autre aspect du rapport de force.

Le décompte des points

Osons compter les points à l’issue du One Forest Summit, comme à la fin de tout bon match. Bongo a clairement marqué un point pour son image de chef d’État en recevant le président français. Macron a gagné également un point en venant soutenir les entreprises françaises au Gabon, même s’il est dans la position de celui qui est contraint de courtiser son partenaire. Par contre la forêt tropicale ne marque malheureusement aucun point, et son exploitation risque de continuer de plus belle. Au sens propre (coupe d’arbres) comme au figuré (communication et greenwashing).

Jérôme Lasagno

En 2010 déjà...

Le président Nicolas Sarkozy s’est rendu au Gabon en février 2010, pour rendre visite à Ali Bongo suite au coup d’état électoral de 2009, à la mort de son père. Les ambitions du président français de l’époque étaient déjà tournées vers la forêt (déclaration du 24/02/2010) : « quand le Gabon gère de façon durable sa forêt, le Gabon rend service à la planète toute entière. Il doit donc être aidé financièrement pour le service qu’il rend [...] je compte sur le soutien du Gabon pour que nous puissions créer avec les autres pays forestiers, le mécanisme REDD+ qui assurera la rémunération du service que le Gabon rend à la planète ». A cette occasion, un grand projet scientifique était annoncé : « une station satellitaire, implantée au Gabon, qui permettra [...] l’évaluation périodique du stockage de carbone. » A croire que la communication bégaye, puisque ce sont les mêmes annonces en substance qui ont été faites 13 ans plus tard. Les annonces de Sarkozy en 2010 n’ont-elles pas tenu leurs promesses ? Rendez-vous dans 13 ans pour voir à quel point celles de Macron ont été suivies d’effets.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 327 - avril 2023
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