Survie

La Françafrique dans l’ombre d’Andry Rajoelina

(mis en ligne le 1er janvier 2010) - Raphaël de Benito

C’est le pire scénario qui se dessine à Madagascar après
le coup d’Etat, le 17 mars, d’Andry Rajoelina. En décembre,
la tension est montée d’un cran après le torpillage des
pourparlers inter-malgaches. Doit-on s’en étonner à l’heure
où le pays est au bord de l’explosion ?

Andry Rajoelina,
« TGV », ancien disc
jockey, ancien maire
d’Antananarivo et
nouvel homme fort de
Madagascar en
compagnie de
l’ambassadeur de
France, Jean-Marc
Chataignier

Après plusieurs mois de troubles,
des négociations avaient
débuté au mois d’août à Maputo
(Mozambique). Ces pourparlers
réunissaient les chefs de quatre principaux
partis, dont Rajoelina et le président
déchu. Après plusieurs rounds de
négociations sous l’égide du Groupe
international de contact (GIC) Billets
d’Afrique
(n°187, octobre 2009) avait
estimé que les perspectives de sortie de
crise étaient minces, polluées par les
efforts de la diplomatie française pour
légitimer le putschiste Andry Rajoelina
à la tête d’une Haute autorité de transition.
Comment, en effet, régler, une
crise majeure sur une base de travail
aussi peu crédible que celle de proposer
la présidence du gouvernement de transition
à un putschiste ? Comment peuton
condamner le putsch sans condamner
les putschistes ?

Un accord « bancal »

C’est exactement l’avis des médiateurs
africains après quatre jours de négociations
tumultueuses, début novembre,
à Addis Abeba. Les quatre principaux
dirigeants politiques malgaches -Andry
Rajoelina, Marc Ravalomanana, et les
anciens présidents Didier Ratsiraka et
Albert Zafy – y avaient paraphé un « acte
additionnel » aux accords de Maputo signés
le 9 août.

Ce texte confirmait Rajoelina
comme président de transition,
mais flanqué de deux « coprésidents »
issus des mouvances Ravalomanana et
Zafy, la mouvance de Didier Ratsiraka
conservant le poste de Premier ministre,
confié à Eugène Mangalaza.

Au-delà de l’optimisme de façade, les
doutes se sont donc clairement exprimés
sur la capacité à fonctionner
«  d’une telle usine à gaz », selon les
termes d’un diplomate de l’Union africaine
(UA). Le médiateur de l’organisation
internationale de la Francophonie,
Edem Kodjo, cherchait, lui aussi, à se
rassurer en qualifiant l’accord de « bancal
 » : « Cette architecture du pouvoir
correspond parfaitement à la conception
de la vie en société du peuple malgache
 : on se retrouve ensemble sur un
minimum commun
 » (sic !). Quant au
Commissaire paix et sécurité de l’UA,
Ramtane Lamamra, il usait de la méthode
Coué : « Même une monstruosité
juridique peut représenter une sortie de
crise.
 »

Les accords de Maputo à la poubelle

Il n’y avait que Kouchner pour se féliciter,
toujours lyrique, d’un accord qui
augurait d’une «  sortie de crise pacifique
 », « du sens des responsabilités des
responsables malgaches
 » et appeler
« toutes les forces malgaches, à faire
preuve du même sens de l’intérêt national
durant la période de transition qui
s’ouvre
 ». L’ambassadeur de France,
Jean-Marc Chataignier, pouvait donc
présenter ses lettres de créance à Andry
Rajoelina.

La déclaration de Kouchner s’est révélée
être de pure forme alors que Rajoelina
refusait de participer, début décembre,
à une rencontre - la troisième
à Maputo depuis le mois d’août - où
chaque mouvance présentait la liste
de ses candidats au gouvernement de
transition, conformément à l’accord
d’Addis Abeba. Tandis qu’un « collectif
de jeunes officiers » issus du
Corps des Personnels et des Services
Administratifs et Techniques (CAPSAT),
des conseillers à la présidence,
conduits par deux faucons, les lieutenants-
colonels Charles Randrianasoavina
et René Lylison faisaient monter
la pression pour exiger que les ministères
régaliens reviennent à la mouvance
Rajoelina, celui-ci a prétexté de
ne pas vouloir négocier à l’étranger la
composition du futur gouvernement
d’union. Randrianasoavina et Lylison,
bien connus pour leurs méthodes musclées,
ont joué un rôle clé dans le coup
d’Etat du 17 mars. De source bien
informée, ils sont, l’un ou l’autre, de
tous les voyages à l’étranger de Rajoelina.
Pour l’escorter ou le contrôler ?

La diplomatie française comme tuteur

Quant à la diplomatie française, qui
pourtant appelait au sens des responsabilités,
elle trouvait le moyen
d’appuyer implicitement Rajoelina
en regrettant, dès le lendemain de la
consultation de Maputo « que les résolutions
signées le 8 décembre par
les trois chefs de file malgaches présents
à Maputo s’écartent du cadre
consensuel prévu par ces accords
 ».
Un feu vert pour Rajoelina qui, criant
au coup d’Etat, estimait, six jours plus
tard, qu’une cohabitation avec ces
trois mouvances était désormais « impossible
 » tout en leur interdisant un
retour à Madagascar.

Le 16 décembre, il annonçait unilatéralement
la tenue de législatives le 20
mars et le 20 décembre, il nommait,
un nouveau Premier ministre, Cécile
Manorohanta, aussitôt remplacée par
le colonel Albert Camille Vital. Par
ailleurs, les journaux malgaches ont
mentionné l’arrivée d’un nouveau
conseiller technique français pour
le partage des postes ministériels et
le voyage en France d’un proche de
Rajoelina, Robert Ratsirahaona, qui
aurait rencontré des autorités françaises
à l’Elysée. Claude Guéant ?

« Rajoelina otage de son clan »

Tandis que la France invitait mollement
à une reprise du dialogue et à des
élections transparentes, la déclaration
de la Commission parlementaire paritaire
ACP-UE réunie à Luanda (Angola),
début décembre, n’avait rien de
diplomatique. Elle fustigeait, en effet,
« l’intransigeance » de Rajoelina,
« autoproclamé » président de la République
«  lequel apparaît comme l’otage
de son clan
 », « la répression par les
forces militaires des nombreuses manifestations
de protestation populaire
 » et
exigeait « le rétablissement immédiat
du parlement malgache
 », «  l’ouverture
d’une enquête internationale indépendante
chargée de faire la lumière
sur les violations des droits humains et
les répressions répétées contre la population

 », «  la libération immédiate
de tous les prisonniers politiques et
l’annulation des procédures judiciaires
contre ceux-ci
 ». Enfin la commission
demandait «  à tout gouvernement intérimaire
de Madagascar de ne conclure
aucun accord ou contrat avec d’autres
pays ou entreprises portant sur les richesses
naturelles et le patrimoine
national, avant (…) que la population
malgache n’octroie un mandat légitime
à un nouveau gouvernement.
 »

Alain Joyandet,
le secrétaire d’Etat
français à la
Coopération au côté
du putschiste Andry
Rajoelina lors d’un
point presse

Conséquence du coup de force de Rajoelina,
l’Union européenne menace d’annuler
son aide, actuellement bloquée,
d’un montant de 580 millions d’euros.
Les Etats-Unis ont également pris des
sanctions. Seule la France poursuit sa
coopération bilatérale.

Il semblerait, en fait, que la France ne voulait
pas d’un nouveau Maputo. L’ambassadeur
de France, Jean-Marc Chataignier,
si bavard jusque là et très actif dans les négociations
a été plus que discret au mois
de décembre. Aurait-il perdu son rôle de
chef de file de l’Union européenne à Madagascar
comme il aimait à se présenter,
au profit de l’ambassadeur d’Allemagne
comme le pense la presse malgache ?

De là à torpiller les accords de Maputo, il
n’y a qu’un pas à franchir.

Areva dans l’ombre de Total

Comme trop souvent, l’action de la
France est motivée par la seule défense
de ses intérêts économiques.

Dans un billet du 25 mars, Le Canard
Enchaîné
expliquait l’aversion qu’inspirait
Ravalomanana à la France et soulignait
que sa chute ne désespérait pas
vraiment l’ancienne puissance coloniale,
celle-ci jugeant le coup d’Etat « de
changement de pouvoir hors norme
 ».
Le contentieux datait de 2002 où Paris
avait mis cinq mois pour reconnaître son
élection. Ravalomanana lui avait ensuite
rendu la monnaie de sa pièce en mettant
les entreprises françaises en concurrence
avec les entreprises chinoises, américaines
ou canadiennes. Le groupe Bolloré avait
été écarté de l’appel d’offre pour la gestion
du port de Toamasina. « Quant au groupe
Total, il ne devra qu’à l’intervention personnelle
de Sarko d’arracher, en 2008,
(…) un permis de prospection terrestre
 ».
Areva s’est également invité dans la danse,
officiellement dans l’appui logistique à
…Total à la prospection des sables bitumineux
de Bemolanga. Curieux hasard, il
y a aussi de l’uranium dans la même zone
comme dans d’autres régions de Madagascar.
Areva a-t-elle normalement des activités
d’appui logistique dans la prospection
pétrolière ? Il serait intéressant d’avoir la
réponse…

Raphaël De Benito

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 187 - Janvier 2010
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