Le coût des opérations extérieures (opex) de l’armée française relève depuis longtemps du flou artistique savamment entretenu. Ça ne s’arrange pas…
En fait de coût, c’est le surcoût des opérations (soldes majorées, frais de transport, etc.) qui est traditionnellement évalué, par comparaison avec les dépenses ordinaires des armées restant à domicile. Dans la mesure où l’armée française dans son ensemble, et non plus simplement quelques troupes d’élite, a désormais une vocation expéditionnaire et que son organisation est pensée en fonction de cet objectif, le mode de calcul actuel est très contestable et sous-estime le coût véritable des opérations extérieures. Par ailleurs, le coût des opex n’a, pendant longtemps, fait l’objet d’aucune budgétisation prévisionnelle. Ce n’est qu’en 2003 qu’une somme de 24 millions d’euros a été provisionnée dans le budget, pour des opérations dont le surcoût atteindra finalement… 630 millions. Le budget prévisionnel des opex est depuis traditionnellement fortement sous-évalué : 375 millions prévus en 2007 pour 685 millions réellement dépensés, 475 pour 852 millions en 2008 et 525 pour 900 millions à un milliard d’euros vraisemblablement en 2009. En proportion, l’écart entre les prévisions et la réalité se réduit d’année en année, mais le coût des opex, lui, ne cesse d’augmenter…
Dans un rapport d’information sur le coût des opex, présenté au nom de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, Louis Giscard d’Estaing (UMP) et Françoise Olivier-Coupeau (PS), ont, au début de l’été dernier, à nouveau déploré ce manque de transparence. Sans remettre en cause le moins du monde la logique néocoloniale des interventions militaires françaises, ils formulaient aussi un certain nombre de propositions permettant la traçabilité des dépenses. Dans un nouveau rapport sur le budget opérationnel de la défense publié en octobre dernier, Louis Giscard d’Estaing rapportait : « Depuis qu’il rapporte sur le budget de la mission Défense, le Rapporteur obtenir les effectifs et le coût des personnels déployés en opérations extérieures. (…) Or, le ministère de la Défense a décidé de classifier cette année la réponse à l’unique question du questionnaire budgétaire portant sur ce thème. À son grand regret, le rapporteur spécial ne pourra donc publier cette année aucune information ni sur les effectifs présents dans les différentes opérations extérieures, ni sur le coût de ces dernières “sous peine de contrevenir aux règles en vigueur en matière de protection du secret de la défense nationale. »
L’opacité entretenue autour de l’activité de nos militaires suscite évidemment des interrogations. En période de crise, s’agit-il du montant astronomique des interventions qu’on préfère faire oublier, en grande partie dû à la présence de nos militaires en Afghanistan, mais aussi au Tchad ? Ou bien s’agit-il de garder secrète la présence ou le volume de nos troupes dans quelque endroit non encore divulgué ? C’est en tout cas une nouvelle démonstration du mépris dans lequel l’Elysée et le ministère de la Défense tiennent les députés, pour ne pas parler des simples citoyens, quant aux questions militaires. Louis Giscard d’Estaing rapporte encore, en caractères gras dans son rapport : « Le Rapporteur spécial s’interroge sur les retombées des travaux parlementaires à l’égard des personnels civils et militaires du ministère. (…) Régulièrement des rapports parlementaires de l’Assemblée nationale comme du Sénat sont publiés sur des thèmes d’actualité intéressant directement les armées. Or, les retombées dans les revues spécialisées sont quasiment nulles. À titre d’exemple, le rapport (…) que le Rapporteur spécial a publié en juillet 2 009 (…) contient des propositions très concrètes à l’égard de la communauté militaire et ne semble avoir fait l’objet d’aucun développement dans la presse institutionnelle du ministère (…) » Pas sûr que cette nouvelle protestation feutrée suffise à ébranler l’indifférence de l’exécutif et des militaires, ou même simplement à réveiller les confrères parlementaires…
Raphaël Granvaud
Des accords de défense déjà vus !
Alain Joyandet, secrétaire d’Etat à la Coopération s’est rendu à la fin du mois de décembre en Centrafrique pour signer, après le Togo et le Cameroun, un accord de défense « nouvelle formule » (AFP, 13 décembre). Les cinq autres accords de défense restant (Comores, Gabon, Côte d’Ivoire, Djibouti, Sénégal) auraient également dû être renégociés avant la fin de l’année. Il faut croire que ça patine… A nouveau interrogé sur leur teneur, Joyandet a réitéré une promesse de « transparence totale, (...) les accords de défense ne seront plus secrets, ils passeront devant le parlement ». Lequel sera donc mis devant le fait accompli, une fois que tout sera bouclé… Remarquable transparence ! « Et on souhaite une réorientation vers une coopération technique, matérielle, vraiment beaucoup de formation à destination des Africains », a ajouté Joyandet. Ah bon ? Ce n’était pas déjà le cas ? Depuis le temps qu’on nous serine ce refrain… Cerise sur le gâteau, Joyandet affirme : « On est beaucoup moins sur des interventions systématiques en cas de troubles intérieurs, c’est à dire qu’il n’y a plus cette automaticité d’intervention. » Beaucoup moins ? Ce n’est donc pas exclu, alors ? Quant à l’automaticité, elle n’a jamais existé : les interventions militaires, liées aux accords de défense ou non, sont toujours restées à la discrétion de l’Elysée. Quand tout change pour que rien ne change…
L’opération Atalante au rapport
Chantal Poiret, diplomate française nommée ambassadrice chargée de la coordination de la lutte internationale contre la piraterie maritime faisait le bilan de l’opération européenne Atalante (Le Monde, 28 décembre) : « C’est un succès. En 2008, 40 % des attaques menées par les pirates dans l’océan Indien étaient réussies. En 2009, ce pourcentage est inférieur à 19 %. Ce sont de bons résultats, compte tenu de la difficulté de la tâche. Prévenir la piraterie maritime dans cet océan immense, c’est comme si vous assuriez la lutte contre la criminalité en France avec un hélicoptère et deux voitures roulant à 40 km/h ! »
Mais ce qu’elle oubliait de préciser, c’est que si le pourcentage de réussite des attaques a baissé, leur nombre a quasiment doublé, passant de 111 en 2008 à au moins 209 depuis le début de l’année, selon le Bureau maritime international ; et le nombre de bateaux détournés est passé lui de 42 en 2008 à 43 en 2009. Un « succès » !
« Ça ne va pas se résoudre en sillonnant l’océan Indien avec des navires de guerre et en capturant des pirates », concédait le contre-amiral Peter Hudson, qui commande Atalante. « La solution à long terme se trouve bien sûr à terre, sur les rivages de la Somalie » (AP, 27 décembre).