Deux ans durant, une
commission de sept
personnes dirigée par Jean
Mutzinzi, ancien président de
la Cour suprême du Rwanda,
a enquêté sur l’attentat
contre l’avion du président
rwandais Habyarimana,
le 6 avril 1994, prélude au
génocide des tutsi.
Le rapport de la commission
Mutzinzi désigne clairement le
clan des extrémistes hutus, dont
certains officiers des ex-Forces armées
rwandaise (FAR), comme étant à
l’origine de l’attentat. Ceux-ci considérant
que le président Habyarimana
avait « trahi leur cause ». En décembre
dernier, le magazine Continental
avait, pour la première fois, divulgué
des extraits de ce rapport. Outre l’accès
aux documents du Tribunal pénal
international pour le Rwanda (TPIR),
les comptes rendus des tribunaux
rwandais et de la justice belge, la commission
Mutzinzi a auditionné 557 témoins,
notamment d’anciens militaires
des ex-Forces armées rwandaises
(FAR) ou membres de la garde présidentielle
présents autour de l’aéroport
de Kigali, le 6 avril 1994. Le rapport
du comité d’experts rwandais conclut
que « l’avion Falcon 50 du président
Habyarimana a été abattu à partir du
domaine militaire de Kanombe [ndlr :
fief de la garde présidentielle] par des
éléments des Forces armées rwandaises
(FAR) qui contrôlaient cette
zone ». C’est ce qu’expliquent d’anciens
membres des FAR, des techniciens
et des employés de l’aéroport
ainsi que des militaires de la Mission
des Nations unies pour l’assistance au
Rwanda (MINUAR) et de la coopération
technique militaire belge.
L’enquête du juge Bruguière avait
conclu à la responsabilité du Front patriotique
rwandais (FPR) dans l’attentat.
Une « enquête » partiale, qualifiée,
dans nos colonnes (Billets d’Afrique
n°183, septembre 2009), de manipulation
par Jean-François Dupaquier,
historien et témoin-expert auprès du
Tribunal pénal international pour le
Rwanda (TPIR).
Mehdi Ba est rédacteur en chef-adjoint
de Continental Mag. Il est l’auteur de
Rwanda. Un Génocide français (L’Esprit
frappeur, 1997). Il répond aux
questions de Billets d’Afrique.
Billets d’Afrique : Comment le rapport
Mutzinzi été perçu en France ?
Mehdi Ba : Il a été accueilli plutôt favorablement,
comme une contribution
intéressante si on en juge par les articles
de presse parus sur le sujet. Ce que
l’on peut regretter, c’est qu’ils soient
un peu « passifs ». On n’a pas vraiment
senti que les journalistes allaient
s’emparer des conclusions du rapport
pour enquêter, vérifier et valider par
eux-mêmes les témoignages puisque,
du côté des détracteurs, on invoque
un rapport partisan commandé par le
pouvoir rwandais.
Est-ce qu’il a été possible à l’Etat
rwandais de susciter le témoignage ou
de manipuler les 557 témoins figurant
dans le rapport ? Il suffirait de se rendre
au Rwanda et de recouper les éléments
les plus importants du rapport.
Avec ce rapport très documenté,
l’enquête du juge Bruguière n’apparaît-
elle pas encore plus comme une
opération politique ?
Mehdi Ba : Ce qui est certain, c’est
que du point de vue judiciaire, il est
difficile d’envisager la fin de l’instruction.
Si l’on se réfère aux conclusions
du juge Bruguière dans son ordonnance
de novembre 2006, les éléments
révélés par le rapport Mutzinzi n’ont
manifestement pas été pris en compte.
Il serait donc naturel que le juge Trévidic,
qui a pris la suite de Bruguière,
se déplace au Rwanda, interroge les
témoins, tente de faire parler les débris
de l’avion et recoupe un certain
nombre d’éléments figurant tant le
dossier Bruguière que dans le rapport
Mutzinzi.
Et notamment la faisabilité de l’attentat
tel qu’il est décrit chez Bruguière,
c’est-à-dire un commando du FPR qui
aurait fait le trajet en voiture depuis
le Conseil national de développement
(CND) jusqu’à la colline de Masaka
(et retour) avec des missiles sol-air. A
défaut, les conclusions de Bruguière
ne peuvent passer aujourd’hui que
pour des conclusions très intermédiaires
et très partielles.
La conclusion générale du rapport
est sévère : « L’ordonnance du juge
Bruguière, engagée à l’initiative d’un
mercenaire au service de la famille
Habyarimana a participé à une propagande
constamment répétée avec
le relais de puissants relais négationnistes
». De quel mercenaire s’agit-il ? Paul Barril ?
Mehdi Ba : On parle bien de Paul
Barril. Car il faut revenir au départ de
l’instruction. C’est la famille Habyarimana
qui souhaitait, la première, se
constituer partie civile.
Elle était défendue par maître Hélène
Clamagirand, par ailleurs avocate
historique de Barril. Or, cette demande
avait été rejetée par la justice
française. Fin 1997, quand la fille de
Jean-Pierre Minaberry, un des pilotes
français tués dans l’attentat du Falcon
présidentiel, se constitue partie civile,
elle le fait avec la même avocate. Dans
les premières pièces versées en procédures,
il y a une série de témoignages
qui sont, en fait, les témoignages de
la famille Habyarimana et notamment
celui du fils cadet, Jean-Luc, témoin
oculaire de l’attentat selon lui.
D’après moi, ce sont ces éléments qui
sous-tendent la conclusion dont vous
faites référence.
L’autre élément que l’on peut donner,
c’est que Barril a été entendu, au moins
à deux reprises par le juge Bruguière
et que ces auditions ont été très conciliantes.
D’une part, il se contredit totalement
sur certains points d’une audition
à l’autre et cela n’est pas relevé
par le magistrat. D’autre part, il y a la
question de son rôle controversé, certains
le suspectant d’avoir participé à
l’attentat, lui-même se vantant d’avoir
été présent à Kigali à cette époque.
On n’a pas été très soucieux de le
confronter à des questions gênantes.
En revanche, on a pris pour argent
comptant ce qu’il pouvait indiquer au
sujet de l’attentat.
Curieusement, la Mission d’information
parlementaire de 1998 ne l’a pas
entendu !
Mehdi Ba : Oui, clairement. Certains
parlementaires se sont défaussés,
d’abord en faisant mine de le prendre
pour un rigolo, ensuite, devant les pressions,
la mission a décidé de l’auditionner…
quelques jours seulement avant la
publication de son rapport. Paul Barril
avait eu beau jeu de prétendre réserver
son témoignage justement pour l’information
judiciaire que venait d’ouvrir,
en mars 98, le juge Bruguière.
D’après Patrick de Saint-Exupéry, « il
est le pivot d’une toile d’araignée entre
l’Elysée de Mitterrand et les extrémistes
qui commettront le génocide ». Sera-til
de nouveau entendu par le nouveau
juge en charge du dossier, Marc Trévidic
?
Mehdi Ba : Personne ne peut le dire. Sachant
que c’est un dossier énorme, on ne
peut pas considérer que mécaniquement,
il doive être réentendu. On peut toutefois
avoir quelques raisons à le faire. Ce serait,
d’une part, le fait qu’il se contredise
sur un point important : a-t-il vu, oui ou
non, le tube lance-missiles, prétendument
retrouvé à Masaka ?
Il faut cerner cette contradiction puisque
c’est quand même une des pièces à conviction
invoquées par Bruguière. Enfin, on
pourrait lui demander dans quel contexte
précis, il affirme être allé récupérer, de
lui-même, des pièces à conviction qu’il
aurait retrouvé à l’aéroport. Mais ce qui
manque à l’enquête Bruguière, c’est tous
ceux qui n’ont pas été entendus comme le
chercheur Gérard Prunier par exemple !
Il a quand même laissé entendre, devant
la mission Quilès, que Paul Barril pourrait
connaître des personnes impliquées
dans l’attentat, qu’il pourrait en dire plus
mais qu’il craint pour sa vie.
S’il était entendu, comme d’autres, dans
l’instruction, on ne peut pas écarter
l’hypothèse que d’autres informations
concernant Paul Barril soient divulguées.
Ce qui impliquerait de nouvelles auditions.
Quelles suites peut-on attendre de la
publication du rapport Mutzinzi ?
Mehdi Ba : Que le rapport Mutzinzi soit
pris en compte dans l’instruction par le
juge Trévidic. La première conséquence
serait de lancer une commission rogatoire
internationale au Rwanda pour creuser
les pistes contenues dans le rapport. Si
la justice française décidait de faire l’impasse,
alors que d’autres juges d’instructions,
sur d’autres affaires, se sont rendus
au Rwanda, on ne pourrait que mettre en
doute la volonté de la justice française de
connaître la vérité sur cet attentat.
Le rétablissement annoncé des relations
diplomatiques avec le Rwanda
a-t-il eu selon lui une incidence sur le
contenu du rapport ?
Mehdi Ba : Je pense, qu’indépendamment
de cette question sur laquelle je n’ai
pas d’éclairage particulier, il était opportun
de la part du comité d’expert qui a commis
le rapport, de ne mentionner, concernant la
France, que les aspects purement factuels
et tangibles. En l’occurrence, la présence
immédiate d’une équipe d’assistants militaires
français qui s’est rendue sur les
lieux du crash et qui, très certainement,
d’après les témoins, auraient récupérés
un certain nombre d’éléments comme la
boîte noire, des morceaux de carlingue
ou les têtes de guidage infrarouges des
missiles. Grégoire de Saint-Quentin qui
dirigeait cette équipe s’est aussi contredit,
sur certains points, dans l’instruction Bruguière.
Ce qui est très embarrassant pour
l’armée française puisque, dans ce cas, il
s’agit d’un officier en service et non pas
d’un franc-tireur comme Barril. L’autre
point important étant les magouilles ou
les manipulations autour de la boîte noire
de l’avion.
Sur ce point, le comité d’experts est extrêmement
méticuleux et démontre que le
Falcon présidentiel disposait bien d’une
boîte noire.
Un pôle génocide pour se donner bonne conscience ?
Dans un contexte de rétablissement
des relations diplomatiques avec le
Rwanda, Bernard Kouchner et Michèle
Alliot-Marie annonçaient la création
d’un pôle « génocide et crimes contre
l’humanité » au TGI de Paris dans une
tribune parue dans Le Monde (6 janvier).
« Patrie des Droits de l’homme,
la France ne sera jamais un sanctuaire
pour les auteurs de génocide, de crimes
de guerre ou de crimes contre l’humanité
», affirment-ils, alors qu’ils savent
pertinemment que c’est déjà le cas.
La Coalition française pour la Cour pénale
internationale (CFCPI), dont Survie
est membre, a immédiatement fait
remarqué qu’« il ne suffit pas d’avoir
les juges, encore faut-il les lois qui
leur permettent d’agir », et de réclamer
à nouveau le vote de la loi adaptant le
droit pénal au statut de la Cour pénale
internationale.
Pour mémoire, l’examen de cette loi
par l’Assemblée nationale est sans cesse
repoussé, et le projet soumis aux sénateurs
a été amendé de manière qu’il
soit rendu inapplicable.
Tout est fait par ailleurs pour que les
poursuites éventuelles restent sous
contrôle du pouvoir exécutif.