Survie

De la poudre aux yeux

(mis en ligne le 1er mars 2010) - Isabelle Méricourt, Raphaël de Benito

Une erreur. Des fautes.
Ce sera tout ce que Nicolas
Sarkozy aura concédé en
trois heures d’un séjour
express à Kigali.

La visite du 25 février a consacré la
fin d’une longue séquence baptisée
« réchauffement franco-rwandais
 » émaillée de coups de bluffs de part et
d’autres. Elle a été largement relatée et commentée
dans les deux pays, chacun appréciant,
selon les enjeux respectifs, l’avancée
rhétorique que pouvait constituer l’aveu français
d’ « erreurs » et de « fautes » prononcé
sur le sol même du génocide des Tutsi.

Beaucoup moins de commentateurs
s’étonnèrent de l’extraordinaire cynisme
du président français car ces erreurs et ces
fautes en question, diluées, selon lui, au
sein de celles de la communauté internationale,
furent commises au détriment de
près d’un million de morts. Car si l’implication
française ne fait débat qu’en
France, niée par un puissant mouvement
négationniste, elle est une certitude pour
les historiens et journalistes étrangers.

Le début de la moindre des choses aurait
été de s’excuser devant le peuple rwandais
au nom de la France. Dans les faits,
personne ne s’attendait pourtant à voir Nicolas
Sarkozy engager la moindre repentance,
y compris d’ailleurs pour les autorités
rwandaises tant les termes de cette
visite furent préalablement l’objet d’une
entente mutuelle.

Un rapport de force pas si déséquilibré

En ce sens, la vraie révélation vient de la
passivité de Paul Kagamé. Car, il y a un
an encore, personne n’aurait imaginé le
président rwandais accueillir son homologue
français, celui-ci se contentant d’une
maigre contrition, puis clore d’une simple
phrase, « Il faut regarder l’avenir »,
les accusations gravissimes qu’il portait
contre les dirigeants français de 1994.
Cette phrase constitutive de toutes les amnisties
fut prononcée et l’établissement de
la vérité sur le rôle de la France renvoyée
aux seuls historiens, loin du champ de la
justice et de la politique. Le rideau tombe
donc sur une négociation entamée dès
l’élection de Nicolas Sarkozy, au cours de
laquelle l’accusation de complicité de génocide
a été totalement instrumentalisée.

Cependant si les exigences de Paul Kagamé
s’avèrent aussi réduites en la matière,
alors qu’une part de sa légitimité politique
provient justement de son opposition à la
France, c’est bien que le rapport de forces
entre les deux n’est pas si déséquilibré.

Si la France parvient, avec ce rabibochage,
à reprendre une place de choix dans le
jeu industriel et économique des Grands
Lacs, à se défaire de son implication dans
un génocide en restaurant quelque peu
une image catastrophique en Afrique et à
afficher une rupture « françafricaine » de
façade, le Rwanda a lui aussi beaucoup à
gagner en élargissant le tour de table de
ses bailleurs de fond, tout en se protégeant
d’éventuelles interrogations internationales
quant à son rôle dans les conflits meurtriers
du Kivu voisin.

Le business en toile de fond

Par ailleurs, le Rwanda, aux côtés de
l’Afrique de Sud, dispose d’un poids politique
important au sein de la Communauté
de développement d’Afrique australe
(SADC). A ce titre, il est un adversaire de
taille pour la France dans la région alors
que le tout nouveau président de l’Union
Africaine, le président du Malawi, Bingu
wa Mutharika, est proche de Kigali. Les
négociations à Maputo autour de la crise
malgache en ont été l’illustration la plus
récente. Pour la France, distancée dans
la course aux richesses minières, ce rapprochement
est donc indispensable.

N’oublions pas que le Groupe Bolloré s’active
pour un train reliant Dar es-Salaam,
sur la côte tanzanienne à Goma en RDC,
vecteur stratégique pour l’exportation vers
l’est des richesses de la région. Et la France
compte bien marquer son retour dans
la région en « appuyant » le projet du
grand barrage hydroélectrique Ruzizi 3,
dont l’attribution de la construction et
l’exploitation relèvent de nombreux savoirs-
faire industriels hexagonaux. De
son côté, Paul Kagamé, conseillé par
Tony Blair, a l’opportunité d’augmenter
son poids politique face à Kabila,
son homologue congolais.

Après tout, un réchauffement vaut mieux
que la guerre, et l’implication de la France
dans l’élaboration d’une future communauté
régionale apportera peut être sa part
de développement aux pays de la sousrégion.
De même, l’arrestation prévisible
des génocidaires présents en France estelle
une excellente chose. Nul doute que
l’événement sera fortement médiatisé et
assimilé par le discours officiel a un changement
de doctrine, voire à une contrition
pour solde de tout compte.

Le paradigme françafricain toujours à l’oeuvre

On peut même imaginer, ironie de l’Histoire,
une future mission de maintien de
la paix intégrant des éléments français
faisant la chasse aux FDLR au Kivu…

Pourtant, vu de France, un doute persiste.
Car en refusant d’affronter l’Histoire et le
débat sur son rôle au Rwanda, en refusant
toute justice, le paradigme françafricain
n’évolue guère. En ce sens, l’architecture
même du voyage de Nicolas Sarkozy –
Libreville, puis Kigali- ne le différencie
guère du traditionnel compte-rendu effectué
jadis à Omar Bongo, doyen disparu
de la françafrique. Reste à savoir si les
officiers et hommes politiques français,
coupables d’un soutien à un régime génocidaire,
ont reçu suffisament d’assurances
pour faire profil bas quelques mois après
avoir violemment réagi à une déclaration
de Kouchner estimant qu’« une faute politique
 » avait été commise par la France
au Rwanda. Leur silence éventuel ou
leurs critiques feutrées sera le signe
d’un enterrement de première classe
de toute tentative de recherche des
responsabilités françaises.

Réchauffement ou pas, dans ce contexte,
il y a à redouter que l’avenir des peuples
des Grands lacs ne soit toujours pas
à l’ordre du jour. Tandis qu’à l’Elysée,
à l’abri des regards et du rideau de fumée
habituel, Nicolas Sarkozy et ses
conseillers peuvent prolonger, en dehors
de tout contrôle citoyen, les noirs desseins
de la Françafrique.

Isabelle Méricourt
Raphaël De Benito

Soutenez l'action en justice contre Total !
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 189 - Mars 2010
Les articles du mensuel sont mis en ligne avec du délai. Pour recevoir l'intégralité des articles publiés chaque mois, abonnez-vous
Pour aller plus loin
a lire aussi