Survie

La stratégie de la tension

(mis en ligne le 1er avril 2010) - Issa Bâ

Depuis son coup d’Etat en
août 2008 et sa légitimation
frauduleuse dans les urnes
un an plus tard, le général
Mohamed ould Abdel Aziz
dirige le pays de manière
brutale sans que cela
ne gêne ses partenaires
occidentaux.

Car c’est bien connu : un pouvoir
illégitime ne peut s’imposer que
par la force et des lois liberticides.
A ce titre, la Mauritanie est toujours dans
une impasse politique dangereuse, Abdel
Aziz refusant toute discussion avec
l’opposition tant qu’elle ne le reconnaît
pas comme président légitime. Celleci,
réunie au sein de la Coordination de
l’opposition démocratique (COD), refuse
toujours de le faire.

Le COD s’est aussi fermement opposé
au projet de loi anti-terroriste. Un de ses
leaders, Ahmed ould Daddah, a d’ailleurs
dénoncé « une dérive dictatoriale (...)
visant à légitimer des pratiques de
violations des droits et des libertés des
citoyens
 » : allongement de la détention
préventive à quatre ans, autorisation
débridée des écoutes téléphoniques et de
l’interception du courrier électronique ou
possibilité de juger un mineur pour actes
terroristes. La Cour constitutionnelle
s’est d’ailleurs rangée, en partie, à cet
avis puisqu’elle a censuré une dizaine
d’articles de la loi.

Le général putschiste Mohamed Ould Abdel Aziz,
sourd aux critiques de l’opposition

Toutefois, alors qu’une délégation du
Parlement européen avait appelé au
dialogue entre les deux parties pour sortir
de la crise politique, Abdel Aziz a répondu
par l’invective, accusant l’opposition de
« négliger les intérêts de la Nation, de
défendre les prévaricateurs et de freiner la promulgation de lois destinées à lutter
contre le terrorisme
 », mais aussi d’être
à la solde de pays étrangers ou encore de
vouloir monnayer l’entrée de certains de ses
membres au gouvernement.

La stratégie de la tension

Politiquement toujours, le gouvernement
d’Abdel Aziz a rouvert la boîte de Pandore
que constitue la question de la langue, ravivant
le risque de tensions ethniques. Le Premier
ministre a, en effet, affirmé vouloir imposer
l’emploi de l’arabe dans l’administration.
Depuis l’indépendance, à chaque fois
que le pouvoir a voulu imposer l’arabe,
cela fut perçu par les Négro-Mauritaniens
francophones comme une tentative d’arabiser
le pays et donc de les marginaliser,
avec pour conséquence des émeutes. Ils
sont aussi d’autant plus échaudés qu’ils
ont été victimes d’un nettoyage ethnique
entre 1989 et 1990. Sur le front social, la
méthode n’est pas plus douce : alors que les
syndicats se mobilisent, le gouvernement
n’a su répondre que par les menaces, les
intimidations et des arrestations.

Vendetta judiciaire

Ce régime a également érigé la
manipulation de la justice en art consommé
lançant une véritable vendetta judiciaire
contre des hommes d’affaires liés à
l’ancien dictateur Ould Taya (qui a régné
de 1984 à 2005).

Leur tort ? Avoir soutenu un des adversaires
du général Abdel Aziz lors de
la dernière présidentielle. Ils sont
ainsi accusés de détournements dans
un scandale lié à la Banque centrale.
En revanche, Abdel Aziz ferme les
yeux sur les magouilles de ses propres
thuriféraires.

Ce pouvoir s’illustre également dans
la chasse aux journalistes. Le cas du
journaliste Hanevy ould Dehah en est
l’illustration parfaite. Rédacteur en chef
du site internet Taqadoumy, très critique
envers le pouvoir, il a été emprisonné en
juin dernier, maintenu en détention une
fois sa peine purgée, de nouveau jugé
en février et enfin condamné à deux ans
de prison. Des journalistes d’Al Jazeera,
venus en Mauritanie pour enquêter sur
Al Qaeda au Maghreb islamique ont
également été arrêtés.

Plus récemment, une autre affaire a fait
scandale. Celle concernant Biram ould
Dah ould Abeid, militant anti-esclavage
à la stature internationale, empêché
de voyager afin de témoigner de la
persistance de l’esclavage et du racisme
au Forum des droits humains en Suisse.
Finalement obligé de lui rendre sa liberté
de mouvement, le pouvoir mauritanien a
multiplié les actions de manipulation et
de déstabilisation, un intrus ayant même
tenté de pénétrer son domicile.

Des Occidentaux peu regardants

De leur côté, les autorités françaises
ne semblent pas concernées par ces
pratiques et poursuivent leur soutien au
pouvoir d’Abdel Aziz. Rien d’étonnant
à ce que la France regarde ailleurs : sans
elle, point de légitimation sur la scène
internationale. Elle multiplie d’ailleurs
les aides : annulation de 17,3 millions
d’euros de dette, aide de 1 million d’euros
pour soutenir la société civile. Dans le
contexte que l’on sait, c’est pour le moins
cocasse...

Les pays européens se montrent, eux
aussi, très généreux notamment pour
lutter contre la malnutrition, l’insécurité
alimentaire ou encore l’éducation :
l’Allemagne a versé presque 20 millions
d’euros et l’Italie 3 millions.

L’Union européenne (UE) a repris
sa coopération après avoir signé une
déclaration d’intentions mettant l’accent
sur les « Droits de l’homme (…), la lutte
contre les séquelles de l’esclavage, (…)
la poursuite de l’ouverture des médias
et l’amélioration du cadre légal assurant
une plus grande liberté d’association et la
dépénalisation des délits de presse
 »...

Pas de quoi toutefois stopper le flot
d’argent européen : 2 millions d’euros
contre la malnutrition et la pauvreté et
surtout une aide du Fond européen de
développement de 156 millions d’euros,
en hausse de 25 %.

Quant au FMI, il a accordé une aide de
118 millions de dollars pour aider le pays
à faire face à la crise économique. De
son côté, la Banque mondiale avait versé,
dès septembre 2009, 14 millions d’euros
gelés suite au coup d’État. Sans parler de
l’argent déversés par des fonds arabes,
islamiques, Indiens ou Chinois, etc.

Cette manne financière soulève quelques
questions. D’abord, sur la destination de
cet argent dans un pays et sous un régime
enclin aux détournements. Ensuite,
pourquoi la Mauritanie est-elle l’objet de
tant de générosité ?

Les conditions avantageuses qu’offre la
Mauritanie pour les accords de pêche n’est
sûrement pas étranger à l’intérêt de l’UE
par exemple. Enfin, pourquoi un pays
bénéficiant de ressources si importantes
(pêche, fer, potentialités agricoles, or,
minerais divers, pétrole et gaz à venir...)
a-t-il besoin d’aides, si ce n’est parce
que ces richesses ne sont pas utilisées au
bénéfice de la population ?

Issa Bâ

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 190 - Avril 2010
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