Survie

Niger : Un eldorado minier si instable

(mis en ligne le 1er avril 2010) - Danyel Dubreuil

Deux mois après sa mise
en place, la VIe république
du Niger, installée aux
forceps par Mamadou
Tandja, s’est achevée
brutalement avec le coup
d’Etat du 18 février 2010, le
quatrième de l’histoire du
Niger indépendant. Quelles
implications pour Areva ?

L’ex-président avait pendant
toute l’année 2009 planifié et
mis en oeuvre un coup d’Etat
constitutionnel qui lui avait permis de
modifier la constitution, de soumettre
à son autorité toutes les institutions
démocratiques, de s’octroyer une prolongation
automatique de mandat de
trois années et de mettre en place les
jalons pour se maintenir sans limite
de temps à la tête du Niger. Dans un
formidable mouvement démocratique,
toutes les organisations de la société
civile nigérienne et la quasi-totalité des
partis politiques nigériens d’importance
avaient fait front commun contre ce
coup de force constitutionnel. La
détermination avec laquelle les deux
camps se faisaient face avait conduit
à une situation de blocage politique
complet. Début février, l’échec de la
médiation menée par l’ancien président
nigérian Abdul Sa-la-mi Abu-ba-kar mandaté par la CEDEAO semblait
définitif. Mamadou Tandja plus rigide
que jamais face à la contestation, était
de plus en plus isolé, ne se reposant
plus que sur son clan – sa famille et
ses partenaires d’affaires. Il n’a pas su
empêcher l’intervention de militaires
pourtant sous surveillance, trop sûr
de son aura sur une armée qu’il avait
largement su faire profiter des retombées
économiques du boom minier.

Mais l’achat d’équipements et d’armes
modernes, les primes permanentes, les
cadeaux en nature (maisons et véhicules),
l’impunité garantie ne l’ont pas protégé.
En deux petites heures et avec très peu
d’hommes, les responsables militaires
parmi les plus puissants du pays ont fait
tomber un régime installé illégalement,
et déjà consommé aux yeux des
Nigériens par ses dérives autocratiques
et autoritaires.

Un coup chasse l’autre

Un coup d’Etat militaire vient donc
chasser un coup d’Etat constitutionnel.
Certains acteurs du renversement de
Tandja n’en sont pas à leur « coup »
d’essai : le chef d’orchestre du coup
d’Etat du 18 février 2010, le colonel
Djibrilla Hima dit « Pelé », actuel
commandant de la zone militaire de
Niamey, faisait partie il y a dix ans en
1999 des meneurs du coup de force
qui avait conduit à l’assassinat du
président Ibrahim Baré Maïnassara et
au renversement du régime d’alors. Une
transition militaire de neuf mois avait
permis l’établissement d’une nouvelle
constitution et conduit à l’élection de
Mamadou Tandja.

Le 20 février 2010, le chef d’escadron
Salou Djibo est placé à la tête du pays
par ses coputschistes, qui se rassemblent
au sein du CSRD (Conseil suprême pour
la restauration de la démocratie). Salou
Djibo est éduqué, formé à l’étranger,
calme presque timide, ayant fait toutes
ses preuves de chef opérationnel, dans la
mission de l’ONU en Côte d’Ivoire ou à
la tête de la très stratégique compagnie
de blindés de Niamey, une des plus
puissantes unités militaires du pays.
Le premier de la classe des militaires
nigériens est la figure la plus présentable
que la nouvelle junte pouvait proposer
aux Nigériens et au monde extérieur.
Bonne pioche.

Un immense soulagement ?

Dans la population, la nouvelle du coup
d’Etat est accueillie avec un soulagement non
dissimulé, presque comme une libération.
Les condamnations formelles formulées
par l’Union africaine, la CEDEAO et les
annonces de sanctions ne masquent pas un
soulagement évident de voir se débloquer
la situation. Les organisations nigériennes à
la tête de la contestation, après avoir salué
la fin du régime honni de Tandja appellent
vigoureusement la junte à s’organiser au
plus vite pour restituer le pouvoir aux civils,
à organiser une transition en concertation
avec tous les acteurs de la scène politique
nigérienne, et à s’engager à ne pas se présenter
à la tête des futures institutions du pays. Elles
annoncent leur intention de poursuivre leurs
efforts pour faire aboutir leur combat pour
la restauration de la démocratie, cette fois-ci
dans un cadre qu’elles espèrent plus ouvert.

Une junte de transition ?

La junte après avoir procédé à une
première vague d’arrestations comprenant
principalement l’ex-président et son fidèle
ministre de l’intérieur Albadé Abouba, mais
également les ministres les plus impliqués
dans le Tazarché [1] , semble vouloir donner
des gages de sérénité et de confiance. Tous
les ministres sont progressivement relâchés,
seuls Tandja et Albadé sont toujours retenus
dans des villas présidentielles. Les premières
décisions de la junte visent à rassurer les pays
voisins et la communauté internationale, les
militaires nomment le 23 février un Premier
ministre civil, Mahamadou Danda (ministre
de l’Information dans le gouvernement de
transition qui avait suivi le coup d’Etat de
1999 et conseiller à l’ambassade du Canada
à Niamey depuis dix ans), qui déclare
immédiatement qu’il n’acceptera pas de
faire de la figuration. Pour couper court aux
comparaisons avec la Guinée, les militaires
nigériens mettent en place début mars un
gouvernement de transition composé de
techniciens, pour beaucoup expatriés, et
de cinq militaires, dont un seul à un poste
d’importance, le ministère de la Défense.
Ils prennent deux ordonnances. La première
empêche les membres du gouvernement
issus du CSRD d’être candidats à quelque
élection que ce soit, la deuxième empêche
tout porteur de tenue, qu’il soit militaire ou
paramilitaire, d’être candidat à des élections
consécutives à cette transition démocratique
ou qui se mèneraient pendant cette transition
démocratique y compris s’il démissionnait pour se présenter. Dans ces ordonnances,
il est clairement dit que ces mesures ne
peuvent faire l’objet d’aucune modification
durant la transition. Dont acte.

Le CSRD semble vouloir se cantonner à
un rôle limité puisqu’il annonce la mise en
place d’un Conseil consultatif pour début
avril qui, sur le modèle de la conférence
nationale de 1991 en version réduite,
sera chargé de définir le calendrier de la
transition, de mettre en place la nouvelle
constitution, ainsi que les institutions
du futur régime. Les principaux leaders
politiques en exil depuis de longs mois
sont invités à rentrer au pays pour prendre
part aux négociations. Hama Amadou est
particulièrement attendu. Réputé proche de
Nicolas Sarkozy et des milieux d’affaires
continentaux et internationaux, l’ancien
Premier ministre de 1999 à 2007, est
toujours le favori pour succéder à Tandja
à la magistrature suprême. Il reste à voir si
des élections seront réellement organisées
dans les prochains mois.

La France, la Chine, les minières et l’eldorado nigérien

Au cours des dernières semaines de sa
présidence, Mamadou Tandja avait fini
par réellement exaspérer tous ses interlocuteurs
internationaux. Ses déclarations
d’ouverture vers l’Iran ont probablement
convaincu la communauté internationale
que Tandja était dorénavant irrécupérable.
Les Etats-Unis en particulier, très actifs
dans la lutte anti-terroriste dans le Sahara,
montraient ouvertement leur agacement.
En France l’Elysée se retrouvait dans une
situation délicate à cause de son choix, à
peine dissimulé, de soutenir Tandja.

Mais globalement les partenaires internationaux
du Niger font profil bas face
à ce nouveau coup de force qui semble
avoir pris tout le monde de court, la
France particulièrement. Si le Quai d’Orsay
condamne rapidement le coup, c’est Alain
Joyandet, secrétaire d’Etat français à la
Coopération, qui, relayant les inquiétudes
de l’Elysée, se fait le porte-parole de la
junte nigérienne pour affirmer, le 19 février,
que les positions d’Areva au Niger ne sont
ni menacées ni remises en cause, une
déclaration en forme d’incantation. Chez
Areva en revanche, on est moins serein.
Dès le 21 février, soit trois jours seulement
après le coup d’Etat, Anne Lauvergeon
annonce un déplacement à Niamey début
mars accompagnée par le ministre français
de l’Industrie, Christian Estrosi, émissaire
spécial de Nicolas Sarkozy, avant de se
dédire pour finalement ne plus rien dire.

Areva gagne du temps

Face aux militaires, la stratégie d’Areva
semble hésitante. Le groupe, fragilisé par
un endettement très important, la perte du
« marché du siècle » aux Emirats Arabes
Unis, ainsi que par les attaques politiques
visant les choix de sa direction, se décide
pourtant à reprendre la main en annonçant le
26 février, un report de trois ans de la mise
en exploitation du gigantesque gisement
d’uranium d’Imouraren initialement prévu
pour 2011. Moussa Souley, un cadre d’Areva
à Niamey, justifie le report du démarrage de
l’exploitation en expliquant : « Avec la crise
financière, les marchés ont évolué et nous
avons dû réévaluer le coût global du projet
 ».
Sauf que ce n’est pas tant la crise financière
qui retarde le projet mais plutôt les cours
mondiaux de l’uranium, équivalents aux coûts
d’exploitation, qui rendent l’exploitation peu
rentable. En provoquant un retard sur un
site de production majeur, Areva compte
faire remonter les cours plus vite que prévu
et donc renflouer sa trésorerie en gérant un
important stock. On est donc très loin du
partenariat respectueux et moderne clamé
par Areva lors de la signature du contrat
par Sarkozy en mars 2009 à Niamey.

De son côté, la junte passe à l’offensive dans
le secteur minier. L’affairisme frénétique
autour de l’attribution des permis miniers
nigériens avait grandement contribué
à détériorer l’image de Tandja auprès
de sa population. L’octroi des permis
d’exploration avait entraîné l’habituel
cortège de commissions distribuées aux
intermédiaires proches du pouvoir et poussé
les associations nigériennes à demander
des investigations judiciaires.

Révision des contrats miniers

Le 17 mars, les autorités de transition
annoncent qu’elles veulent revoir tous les
contrats miniers, y compris ceux signés avec
Areva, sans pour autant fixer de calendrier
précis. Interrogés sur la volonté réelle de
la junte de pousser les investigations, les
membres du réseau des organisations pour la
transparence et l’analyse budgétaire (Rotab)
veulent croire en la bonne foi des militaires
et en leur volonté de faire respecter les
engagements pris par Areva. Depuis, plusieurs
audits ont été lancés, mais ils ne concernent
encore que les sociétés d’Etat nigériennes (du
pétrole, de l’électricité et des mines), dont les
dirigeants sont accusés par la junte d’avoir
détourné des fonds pour financer le Tazarché ;
le 29 mars, ils ont été par ailleurs arrêtés
avec quatorze autres personnes proches de
Tandja, pour avoir tenté de déstabiliser la
junte. Aucune société étrangère n’a pour
le moment été visée, même si les contrats
chinois sont particulièrement dans la ligne de
mire des militaires à cause des liens affichés
de l’ancien président avec la Chine. En fait,
la junte cherche un équilibre subtil : lutter
contre l’intense spéculation financière sur les
permis octroyés tout en offrant des garanties
aux investisseurs miniers, dont elle sait qu’ils
assureront des revenus vitaux pour le Niger
au cours des prochaines années.

Avec Areva, la situation est particulièrement
délicate : en retardant l’exploitation
d’Imouraren, elle prive le pouvoir d’une
partie de ses revenus accroissant ainsi
la pression financière sur la junte dans
un contexte de suspension de l’aide
internationale, de crise alimentaire aiguë.
De quoi calmer les ardeurs dans la révision
des contrats d’Areva avec le Niger.

Espérons que la CSRD concrétise toutes ses
annonces et que ni les rumeurs ou tentatives
d’un nouveau coup d’Etat de la part de
militaires restés fidèles à Tandja, ni les rivalités
politiques exacerbées entre les prétendants au
pouvoir, ni les manoeuvres des compagnies
minières, ni la grave crise alimentaire qui
s’annonce, ne bouleversent une situation qui
reste très précaire, et n’assombrissent encore
le quotidien déjà intenable des Nigériens.

Danyel Dubreuil

[1Tazarché : « continuité » en haoussa, terme
utilisé par les soutiens de Tandja pour justifier
son maintien au pouvoir afin qu’il puisse
terminer ses grands chantiers.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 190 - Avril 2010
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