Le journaliste spécialisé dans
les questions de défense
de Libération, et animateur
du blog Secret Défense,
publie Une Histoire des
forces spéciales. Si l’auteur
est assurément un érudit en
matière militaire, sa méthode
ne relève nullement de
l’enquête.
C’est la dernière partie du livre de
Jean-Dominique Merchet, celle
consacré au commandement des
opérations spéciales, le COS, créé en 1992, qui
retiendra évidemment l’attention des lecteurs
de Billets d’Afrique. L’auteur revient en effet
sur quelques-unes des opérations récentes
des forces spéciales françaises en Afrique,
mais à la manière d’une simple succession
de faits d’armes. Le contexte politique et les
enjeux françafricains de ces interventions
ne sont jamais analysés (à le croire, il s’agit
presque toujours et uniquement d’aller
sauver nos ressortissants…) et s’il aborde
quelques-uns des aspects les plus sombres
de ces opérations, ça n’est que pour tenter de
déminer les affaires les plus sensibles.
Ainsi, par exemple, il s’abstient de
rapporter dans les détails les accusations de
tortures commises en 2003 en République
démocratique du Congo, révélées par la
télévision suédoise en avril 2008 (Billets
d’Afrique, mai 2008). Il affirme en revanche
qu’« une enquête lavera les Français de
tout soupçon » et il présente « les faits
tels qu’ils ont pu être reconstitués », mais
oublie de préciser que cette « enquête » et
la version qui suit sont celles de l’institution
militaire. On cherchera en vain une
quelconque allusion aux crimes commis
par les Forces centrafricaines sous le regard
des militaires français lors des opérations
de reconquête de Birao en décembre 2006
ou mars 2007 (Billets d’Afrique, octobre
2007). Même silence pudique concernant
l’intervention française au Tchad en février
2008, expédiée en moins de quinze lignes,
ou sur la participation des snipers du COS
au massacre commis devant l’hôtel Ivoire à
Abidjan en novembre 2004. Même au sujet
des meurtres de la grotte d’Ouvéa en mai
1988, l’auteur de ne se risque à les évoquer
qu’au conditionnel, alors qu’ils ont été
reconnus notamment par l’ancien premier
ministre Michel Rocard.
L’auteur consacre néanmoins un chapitre
à la question du Rwanda. Passons sur le
bref historique de l’histoire qui conduit
au génocide et les prétendus « massacres
interethniques » ; passons également sur le
lapsus (du moins on l’espère) concernant
les « centaines de milliers de Rwandais
tutsis [qui] fuient leur pays et viennent se
réfugier au Zaïre » pendant l’opération
Turquoise. Merchet s’attarde a minima sur
les enquêtes de Patrick de Saint-Exupéry,
mais pour y lire en définitive « une sorte
de croisade personnelle » qu’il juge « trop
schématique, trop empreint de la théorie du
complot ». Sur l’affaire de Bisesero et du
délai de trois jours mis par l’armée française
pour revenir honorer sa promesse de secours,
qui coûtera la vie à des milliers de rescapés,
les accusations émanent
forcément des
« groupes militants
pro-tutsis ». Il n’y
aurait eu qu’un double
problème de
communication :
au sein de
l’armée française
d’une part, les
informations transmises
par le COS
(dont Merchet
rappelle que l’intervention au Rwanda est
« conduite en rênes très courtes depuis Paris ») ne seraient pas redescendues, pour une
raison que l’auteur ne cherche pas à élucider.
D’autre part, les forces spéciales, mal
informées par une « population angoissée »
par « des infiltrations du FPR », auraient
eu du mal à « appréhender la situation ».
Si des militaires ont pu commettre des
« erreurs », ils n’auraient pêché que par
« naïveté ». Les informations les plus
instructives sont finalement celles de la
page « remerciements » : on y apprend
que l’auteur partage avec « Christophe »,
le porte-parole de l’Etat-major, une passion
pour l’histoire militaire, et que le général
Poncet (opération Amaryllis au Rwanda,
opération Licorne en Côte d’Ivoire au moment
des massacres de novembre 2004,
également accusé par ses subordonnés
d’avoir ordonné le meurtre de l’ivoirien
Firmin Mahé, etc.) avec qui il a « fumé le
calumet de la paix », lui a « prouvé qu’il
ne fallait jamais désespérer de l’homme ».
Grand bien lui fasse. Pour notre part, ce
genre de livre nous ferait désespérer du
journalisme…
Raphaël Granvaud