L’année de l’Afrique avance péniblement. L’aïeul Toubon, chargé de raconter
des histoires aux petits enfants, a bien du mal à mettre en scène son récit,
avec De Gaulle en grand enchanteur qui, d’un coup de baguette magique,
fait surgir des Etats indépendants là où s’étendait l’empire colonial français.
Le mythe s’essouffle vite, à la fois trop grossier et trop inconsistant, il
s’est dissipé et personne n’y croit plus après cinquante ans de gabegie
dont la faute serait à pas de chance, ou à « l’homme africain », mythe bien
commode, qu’on a tenté de ressortir, sans grand succès.
Mais l’opinion se nourrit de mythes. Il faut donc lui apporter constamment
de nouveaux aliments, de nouveaux mots. Oublions le passé, imaginons
le présent et le futur. Parlons par exemple de développement durable.
Personne ne sait très bien ce qu’on met dans ce concept et nous
n’essaierons donc pas de le définir. Il suffit d’y mettre ce qu’on veut. Il y
a ainsi un forum du développement durable qui propose aux dictateurs
de l’Afrique francophone de redorer leur blason en leur organisant des
colloques clef en main où diverses personnalités sont invitées à épiloguer
sur le sujet.
Les sous sont fournis par les dictateurs et par des sponsors, nom donné
aux nouvelles dames tartines. On a eu une représentation en 2008 chez
Sassou Nguesso, une en 2009 chez Compaoré. Chez qui la prochaine ?
Pour le grand public, on fait de la télé instructive. La plaisante émission
« C’est pas sorcier », de vulgarisation scientifique sur une foule de sujets vient
de se fourvoyer dans une entreprise de propagande publicitaire de grande
envergure. Sa conception modeste et sans prétention s’est muée en grosse
machine pour prime time, destinée à montrer comment on peut continuer
à exploiter le bois africain tout en faisant du développement durable. Avec
un titre aussi consternant que « En route pour la jungle », on ne pouvait faire
que « Tintin au Congo ». De ce point de vue, c’est pleinement réussi. Pour le
développement durable c’est juste, une question de label.
Pour décrocher le label FSC, il faudrait théoriquement montrer que les
autochtones décident eux-mêmes du sort de leur forêt. On est loin du
compte, ce qui n’empêchera d’ailleurs pas la délivrance du fameux label. La
mise en scène montre uniquement comment désormais on s’intéresse aux
autochtones, ce qui nous vaut des scènes ethnologiques et géographiques
dignes des documentaires des années 1930, avec les mêmes fantasmes.
Les fées-marraines de cette entreprise célébrant les bienfaits de
l’exploitation forestière sont l’Agence française de développement, qui a
financé l’émission, et la Fondation Jacques Chirac, qui finance une radio
locale communautaire. Si, comme il est plus que prévisible, on revient
dans dix ans sur le terrain et qu’on constate qu’il n’y a plus de bois et pas
l’ombre d’un développement humain, on a déjà la réponse toute prête : c’est
à cause des Africains qui transforment 80 % du bois coupé en charbon de
bois pour leur cuisine. Ce mensonge grotesque est un mythe qui s’infiltre
sournoisement. Son invraisemblance ne sert qu’à l’ancrer dans les esprits
obnubilés par les contes.
Comme dans le pire cauchemar, les bonnes fées n’auront été que des fées
Carabosse qui transforment la nature en désert, les humains en zombies,
pour nourrir l’idole durable du dieu Argent, dont elles sont les servantes
sous leur sourire de dames patronesses.
Odile Tobner