À quelques semaines d’une reconfiguration du dispositif onusien en Côte d’Ivoire, il est urgent de réexaminer le rôle de la force Licorne.
Le 5 mai, International Crisis Group (ICG) a publié un rapport sur la sécurisation du processus électoral ivoirien. L’analyse d’ICG est sans concession pour le camp présidentiel ivoirien.
S’il s’agissait d’attirer l’attention de l’opinion sur l’enlisement du processus de paix, on pourrait s’en satisfaire. Mais la raison d’être du think tank bruxellois est plutôt d’influencer les prises de décisions institutionnelles.
Lorsqu’on a à l’esprit, les dégâts causé par la diplomatie française jusqu’en 2006, on souhaiterait que les recommandations distribuées par ICG s’appuient sur une analyse plus rigoureuse. À cet égard les travaux du groupe d’experts de l’ONU sur la Côte d’Ivoire fournissent un contrepoint nécessaire. Tandis que les trois derniers rapports du groupe d’experts examinent en détails la dérive mafieuse des commandants de zone rebelles, ICG compte sur les ex-rebelles pour faciliter l’organisation des élections. L’exigence d’un désarmement préalable est même qualifiée de « position maximaliste », bien qu’elle soit inscrite dans les derniers accords en date (« Ouaga IV », signés le 22 décembre 2008).
Le même rapport n’a plus aucune retenue lorsqu’il affirme sans embage ni justification que « la liste électorale dans son état actuel est défavorable au camp présidentiel ». S’appuyant sur des entretiens, ICG relaie le sentiment de plus en plus d’Ivoiriens pour lesquels « la seule sortie possible de l’impasse se fera par un coup de force ». De tels pavés dans la marre soulèvent nécessairement des questions quant la déontologie des auteurs (anonymes !) du rapport.
Cette analyse rappelle l’intervention de Bernard Kouchner devant la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, le 22 décembre dernier : « Il n’y a que deux positions : les uns pensent qu’elles [les élections] n’auront jamais lieu ; les autres, qu’elles seront organisées quand le président Gbagbo sera sûr de les remporter. »
Lorsque ICG demande des sanctions contre les « forces qui auront recours aux tirs à balles réelles contre les foules non armées », on préférerait l’emploi du conditionnel, ou mieux du passé. Si l’on comprend, après la mort de militants de l’opposition à Gagnoa (Billets d’Afrique n°189) que cette recommandation s’adresse au ministère de l’Intérieur ivoirien, on regrette surtout, en souvenir de novembre 2004, que le général Autran commandant les 900 militaires français de la force Licorne, n’en soit pas lui aussi le destinataire. En fait, ICG n’adresse aucune recommandation à la force Licorne.
Mettons les pieds dans le plat : l’armée française est-elle crédible pour la sécurisation des élections dans un pays où il y a six ans nos soldats tiraient sur des manifestants, faisant une soixantaine de morts ? En cas de manifestations violentes durant les élections, une intervention de l’armée française, loin d’apaiser la sitution, jeterait de l’huile sur le feu. Dès lors, quelle place et quel mandat pour Licorne ?
Le conseil de sécurité de l’ONU vient de prolonger jusqu’à fin juin le mandat de la mission ONUCI de ladite force. Quelques jours auparavant, le secrétaire général Ban Ki-moon a diffusé un rapport proposant une reconfiguration de la mission à l’approche des élections ivoiriennes. Le conseil de sécurité a préféré temporiser un mois avant de prendre une décision. Ban Ki-moon recommande le redéploiement des casques bleus dans les zones à risques et la concomitance de l’encasernement des rebelles et de l’établissement de la liste électorale. Un plan de sécurité pour les élections a été conjointement établi par l’Onuci, Licorne, l’armée ivoirienne, les ex-rebelles et le Centre de commandement intégré – structure de commandement des unités mixtes loyalistes/rebelles. Contrairement au rapport d’ICG, le secrétaire général prévoit, conformément aux accords, le désarmement avant les élections. Pour ce faire, il demande l’assistance technique et matérielle de la communauté internationale.
En termes d’effectif des casques bleus, Ban Ki-moon propose de maintenir l’effectif actuel jusqu’à la fin de l’année et de concentrer la présence des casques bleus dans les zones présentant des risques élevés, dont le fief rebelle Bouaké. L’idée d’un renforcement de l’Onuci par un contigent burkinabé a été abandonnée, mais Ban Ki-Moon demande toujours un renforcement de 500 casques bleus durant une période de six mois englobant les élections.
À l’heure d’une reconfiguration de la force onusienne en Côte d’Ivoire, il est urgent de remettre en question le rôle de la force Licorne, qui rappelons-le est sous commandement français bien qu’elle bénéficie de l’estampille de l’ONU.
Quel crédit accorder à la rumeur d’une éventuelle reprise du conflit, dont la Lettre du Continent s’est fait l’écho sous le titre racolleur « Opération Bouaké dignité, acte II » ? On se souvient que la tentative de reprise du nord ivoirien par l’armée ivoirienne en 2004 avait été baptisée « opération dignité ». Les préparatifs en cours auraient pour but de faire pression sur la communauté internationale, en l’occurrence d’abord la France, pour que l’Onuci et Licorne aident au désarmement des rebelles.
Le 30 mai, veille du sommet France-Afrique de Nice, Gbagbo a été interviewé durant quarante minutes sur RFI par Madeleine Mukamabano et Norbert Navarro, l’envoyé de la « radio mondiale » à Abidjan. Pendant que son ami français Guy Labertit se plaint d’être persona non grata sur RFI, le président ivoirien a bénéficié d’une tribune inhabituelle. Sans langue de bois, Gbagbo a dénoncé « l’implication de l’État français à travers les personnes de Jacques Chirac et Dominique de Villepin dans la tentative de renversement » dont il a été l’objet en septembre 2002. Silencieux sur les motivations affichées par les rebelles, il situe l’origine de cette crise au renversement du président Bédié en décembre 1999 et y voit une continuelle tentative de « changement de régime par la force ». Visant ses adversaires politiques et, on le devine, surtout l’ancien Premier ministre Alassane Ouattara, il demande que chacun explique s’il était « du côté du peuple ou du côté de ceux qui nous ont agressés ».
Au sujet de son absence au sommet France-Afrique et aux commémorations du cinquantenaire des indépendances africaines dans l’Hexagone, Gbagbo affirme son refus de mettre les pieds en France « tant qu’on n’a pas discuté du différend qui oppose et qui continue d’opposer l’état français et l’état de Côte d’Ivoire. » Rappelons que, toujours en délicatesse avec l’histoire africaine, Sarkozy a de son côté systématiquement refusé les invitations de ses homologues africains pour ce même cinquantenaire.
Rappelons que l’un des aspects du différend franco-ivoirien a fait l’objet d’une proposition de règlement à l’amiable adressé en janvier à Paris (Billets d’Afrique n°189). Abidjan proposait de constituer une commission mixte chargée d’évaluer les réparations dues aux victimes de la force Licorne en novembre 2004. Cette proposition est semble-t-il restée lettre morte.