Survie

Aide au développement : la maladie de la perdiemite

(mis en ligne le 25 juillet 2010) - Noël Surgé

Regard critique sur certains comportements préjudiciables de l’aide publique au développement, comme la « perdiemite » qui dilapide l’argent de l’aide et annihile souvent le dynamisme politique local.

Les perdiem sont des sommes forfaitaires attribués aux acteurs et aux participants de toute activité « de développement » en guise de motivation à leur participation.

On peut distinguer les perdiem attribués au personnel des organisations (services de coopération, ONG, ministères, etc.), visant à couvrir leurs frais, et les perdiem versés aux bénéficiaires de l’aide afin de les motiver à délaisser leurs activités habituelles ainsi que les frais éventuels découlant de leur participation au projet proposé (cessation d’activité, transport, restauration, etc.). Sans cette motivation, les « bénéficiaires » ne s’intéressaient généralement pas aux actions que des étrangers venaient entreprendre chez eux et à leur intention… d’où un problème de légitimité de ces « porteurs d’aide » boudés par leurs bénéficiaires !

L’impact sur la population est l’objectif final des projets et un indicateur sur lequel les bailleurs se basent pour évaluer l’utilisation de leur argent.

Afin de s’assurer de la participation des populations, l’habitude fut prise dans une majorité de structures de développement de proposer des perdiem « de motivation » afin d’attirer les bénéficiaires aux ateliers, formations ou même aux cérémonies d’inauguration de leurs projets.

La participation de la population devient ainsi effective, et les bailleurs peuvent se convaincre (à tort ou à raison) de l’intérêt des actions qu’ils financent.

Dérives

Si le défraiement des dépenses des participants est justifiable, l’effet pervers de ce système est que la participation des bénéficiaires est trop souvent motivée par les perdiem uniquement, et ne reflète donc pas leur intérêt réel. De plus, cette pratique favorise une attitude de mendicité systématique vis-à-vis des étrangers qui veulent apporter leur aide. C’est ainsi qu’on a pu voir des villageois réclamer de l’argent pour aider à vider un camion de vivres et de matériel qui leur était offert par une petite ONG, ou des femmes exiger un perdiem pour suivre un programme d’alphabétisation… de quoi refroidir la générosité de ceux qui, peu informés de ces pratiques de « l’aide », s’investissent un peu naïvement dans de telles actions !

Quant aux perdiem reçus par le personnel des organismes de développement pour leurs déplacements de terrain, ils conduisent également à des dérives voire à de la gabegie. Les sommes attribuées étant souvent sans commune mesure avec les dépenses de logement et de restauration qu’elles sont censées couvrir. Ainsi, il n’est pas rare de voir des réunions être organisées loin du lieu de travail habituel justifiant alors d’un déplacement et augmentant ainsi d’autant les perdiem reçus par les agents. Des agents se spécialisent alors dans la « course aux gombos » qui leur assure un surplus conséquent à leur salaire naturel. Certains justifient d’ailleurs l’existence des perdiem par la faiblesse des salaires. En tout cas, parmi la population, ceux qui ont poussé les études sont majoritairement attirés par le travail dans les ONGs qui offre ces nombreux avantages ce qui limite fortement l’initiative entrepreneuriale et le secteur privé local, incapable d’offrir autant d’avantages que les bailleurs étrangers.

Impacts en politique et journalisme

En plus de gaspiller les finances du développement, la « perdiemite » gangrène également la vie politique locale, car le développement est forcément lié aux questions politiques.

Les élus, les représentants du peuple et même les syndicats sont régulièrement invités par les organismes de développement, qui les ont habitués à « manger » grâce aux perdiem.

De ce fait, leurs choix sont plus souvent orientés par la hauteur de la « motivation » (sans parler directement de corruption) que par la pertinence des propositions qui leur sont faites. Du coup, certaines petites structures ayant peu de moyens mais de bonnes idées (comme de nombreuses associations locales) n’obtiennent pas l’appui des autorités concernées trop souvent accaparées par les projets où la « motivation » est plus intéressante. Or cet appui est souvent indispensable au succès des projets de développement.

Même problème pour les journalistes qui, à Ouagadougou comme à Dakar, reçoivent généralement 5000 FCFA (7,50 euros) « pour l’essence » pour couvrir un évènement dans leur ville. D’autre part, une grande partie de la presse contient des publireportages sur les projets menés et payés assez chèrement.

La marchandisation de l’info

Ainsi, c’est l’ensemble du système de presse qui est entré dans une logique de marchandisation de la couverture médiatique.

Or, la presse joue un rôle prépondérant dans la formation de l’opinion publique et la constitution d’une démocratie. Si elle est guidée dans ses choix par la rétribution qu’elle tire de ses sujets, elle ne peut pas être objective et ne joue donc pas son rôle.

La perdiemite est donc non seulement un gaspillage important de l’argent destiné au développement (notons toutefois que cet argent est quand même injecté dans le pays de destination, ce qui vaut toujours mieux que l’aide qui retourne au pays d’origine), mais également un frein à l’émergence d’initiatives locales et au volontarisme politique. Après de longues années d’application de ces pratiques, il semble aujourd’hui bien difficile de revenir en arrière.

De plus en plus d’ONG ou de services de coopération refusent ou limitent dorénavant ces pratiques, mais de façon trop désordonnée pour entrainer un changement réel dans l’immédiat. Comme pour la corruption, la désintoxication ne sera pas facile, mais elle est nécessaire pour que l’aide ne transforme pas ses bénéficiaires en mendiants, mais les conduise plutôt à pouvoir se passer d’aide  ; pour que les acteurs de la politique, du journalisme, de la société civile jouent enfin leur rôle dans l’élaboration de sociétés démocratiques.

A terme, c’est du système d’aide lui-même dont il faudra se débarrasser, car en plaçant des peuples sous assistance de pays étrangers, il instaure une hiérarchie qui est ressentie comme naturelle et qui nie l’égalité des peuples.

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