Survie

Culture et enseignement, une indépendance à conquérir

(mis en ligne le 25 juillet 2010) - Noël Surgé

En cette année de cinquantenaire, les indépendances africaines
soulèvent de nombreux débats en France comme en Afrique. Si les
dépendances militaires, monétaires, économiques, et politiques sont
largement dénoncées, il est d’autres aspects de la dépendance moins
évidents mais tout aussi éloquents : la culture et l’enseignement.

L’enseignement primaire et secondaire, révèle assez symboliquement la faible indépendance des états d’Afrique francophone vis-à-vis de l’occident, et de la France en particulier : le format est souvent inspiré du système français des années 60 (CEP, BEPC, Baccalauréat, avec un faible taux de réussite au bac), et le contenu des cours est peu adapté
aux contextes nationaux.

Le Monde du 10 juin 20101 nous révèle par exemple que, d’après le directeur international d’Hachette International, Jean-Michel Ollé : « L’histoire enseignée s’inscrit largement dans les « sous-régions »(Afrique de l’Ouest, de l’Est, etc.) donnant peu de place aux histoires
nationales
. »

Le groupe Hachette occupe d’ailleurs 85% des parts de marché de l’édition scolaire en Afrique subsaharienne francophone via les deux marques Edicef (Editions classiques d’expression française) et Hatier International. Plus loin, on lit également que les contenus mis à part, l’édition des manuels scolaires échappe pour une très grande part aux pays africains qui, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, sont soumis au bon vouloir et au rythme imposé par les bailleurs de fonds.

Au niveau de la formation supérieure, il est intéressant de s’attarder sur le cas du 2iE, une école d’ingénieur sur l’eau et l’environnement sise à Ouagadougou, au Burkina Faso. Il s’agit de la seule école africaine appliquant le système License Master Doctorat qui permet
une reconnaissance à l’équivalent en Europe ou en Amérique. Sur ce point-là, on ne peut que louer l’existence d’une structure en Afrique assurant un enseignement de haute qualité et permettant à des étudiants africains d’échanger sur un pied d’égalité avec les autres étudiants du monde.

Cependant, la fondation 2iE est largement dépendante des apports
extérieurs, qui jouent alors un rôle majeur dans sa politique. Ainsi, elle
compte par exemple dans son conseil d’administration le ministère français des Affaires étrangères et la société SOGEA-SATOM (filiale de Vinci) ; et surtout, la direction de l’école est assurée par un Français : Paul Ginies, un personnage sur lequel il faut s’attarder un peu (voir encadré ci-dessous).

En ce qui concerne la culture, le lieu privilégié des activités culturelles reste le Centre culturel français (CCF) dans de nombreuses capitales africaines (notamment dans les anciennes colonies françaises), souvent secondé par les équivalents allemand et britannique, l’institut Goethe et le British Council.

Des initiatives locales existent mais ne bénéficie généralement pas des mêmes ressources, et jouent, par conséquent, un rôle secondaire sur le plan culturel.

Si les activités des CCF sont tout-à fait appréciables, notamment pour
la promotion des artistes locaux et l’accueil d’artistes internationaux,
leur rôle dominant en comparaison aux structures locales est somme
toute révélateur d’une indépendance culturelle peu vigoureuse.

Le 2iE et son directeur

En avril 2010, le journal burkinabè l’Indépendant faisait état de licenciements abusifs au sein de l’école d’ingénieur 2iE. Peu après, une lettre ouverte d’un licencié révèle une gestion des ressources humaines empreinte de racisme à l’égard des Burkinabé, et de favoritisme pour l’entourage de son directeur M. Ginies. Attribution de marchés aux amis, « perdiemite  » aiguë avec plus de 200 jours de mission à 500 euros par jour, rénovation de sa maison de fonction à
100 millions de FCFA (150 000 euros), M. Ginies est également président des hommes d’affaires franco-burkinabé… alors qu’il jouit d’un statut de diplomate a priori incompatible avec celui d’homme d’affaires !

D’ailleurs, le 2iE étant devenu une fondation depuis 2005, elle ressort du statut de droit privé, ce qui ne justifie pas le statut diplomatique de son directeur… un héritage de l’ancien système négocié entre amis, sans doute !

D’après la lettre ouverte citée précédemment M. Ginies avoue lui-même : « Je n’ai pas peur au Burkina, j’arrose » ! Le directeur du 2iE a effectivement su se mettre dans les petits papiers du gratin franco-burkinabé : il a reçu la médaille de chevalier de l’Ordre national du mérite de l’Etat français le 12 février 2010, et a lui-même décerné le 26 novembre 2009 un titre de docteur honoris causa au président du Faso Blaise Compaoré.

Avec de telles relations, il n’est pas étonnant que le président du conseil d’administration, l’ivoirien Amara Essy soit muet sur les agissements scandaleux de Paul Ginies.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 193 - Juillet 2010
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