Survie

Le déshonneur de la France

(mis en ligne le 29 juillet 2010) - Odile Tobner

Non, il ne s’agit pas de l’équipe de France de foot, mais d’une réflexion sur les notions d’honneur et de déshonneur qui ont cours dans les médias. La vague d’hystérie nationale qui a submergé le pays à la révélation horrifique du gros mot qu’Anelka a adressé à l’entraîneur de l’équipe de France de foot s’est traduite par une inflation rhétorique sans précédent.

« désastre », « honte », « mafia », « racaille », « voyous » ne sont que les plus doux des vocables qu’on a entendus. Le monde politico-
médiatique s’est déchaîné en leçons de morale d’un grotesque achevé
dont apparemment il n’a aucune conscience, ce qui est bien le plus
consternant.

Il s’agit de savoir en effet où nous mettons notre honneur national.
De ce point de vue l’échelle des valeurs est totalement renversée :
affaire d’État sur un sujet futile, détail sans importance sur les sujets
les plus graves. Il y a là de quoi s’inquiéter pour la santé morale de
notre pays.

Le président Sarkozy a été vu, lors du sommet franco-africain de Nice
le 31 mai, cajolant les plus corrompus des dictateurs africains dont il
a trouvé flatteur de s’entourer. Le public était prié de voir là une image
de la grandeur et du prestige de la France dans le monde. En réalité
on exaltait des prévaricateurs et des assassins dont, dans les pays
démocratiques, on répugne à serrer les mains.

Notre honneur national n’a pas de ces pudibonderies et n’était pas
le moins du monde effarouché par ces fréquentations douteuses.
Business is business, c’est le seul principe de morale qui s’impose.
Nous allons récidiver en allant applaudir le 14 juillet défilant sur les
Champs Élysées, des bataillons appartenant à des armées dont la
fonction est de réprimer leurs propres concitoyens et ayant à leur
actif nombre de massacres. Cette honte nationale n’a l’air d’émouvoir
personne.

Que la politique s’affranchisse de toute morale, bien des gens,
alléguant ce qu’ils croient une philosophie cynique et qui n’est qu’un
vulgaire opportunisme, vous diront que c’est normal, l’intérêt national
devant l’emporter sur toute autre considération et l’axiome roi est que
la fin justifie les moyens. On trouverait cet étrange abandon des règles
morales élémentaires moins choquant si les mêmes ne se révélaient
les plus sévères censeurs des comportements de catégories de la
population jeunes et pauvres, deux circonstances, l’ignorance et le
besoin, que toute philosophie morale considérera comme atténuantes,
requérant plus l’admonestation, voire la compassion, que l’anathème.
Dans La généalogie de la morale, Nietszche dit a peu près que les
faibles ont inventé la morale pour se croire bons et non faibles. Je
serais tentée de croire que ce sont au contraire les maîtres, sachant
que leur force n’est qu’apparente, qui ont inventé la morale pour
maintenir leur pouvoir sur ceux qui se croient faibles. En tout cas nous
tomberons d’accord avec le philosophe quand il conclut que « la tâche
du philosophe de l’avenir [se trouve ] dans la résolution du problème
de l’évaluation et de la détermination de la hiérarchie des valeurs
 ». La
place attribuée ces jours-ci à la valeur honneur de la France, dit assez à
quel rang le mettent ceux qui l’invoquent.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 193 - Juillet 2010
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