Comment le chiffon rouge du terrorisme permet aux puissances étrangères d’affirmer leur présence militaire dans la zone sahélienne.
C’est le 22 juillet que la presse espagnole dévoilait l’opération militaire franco-mauritanienne dans le désert malien pour libérer le Français Michel Germaneau, retenu en otage par Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI) depuis le 19 avril.
Du côté des autorités françaises, ni le ministère des Affaires étrangères ni celui de la Défense, pas plus que Nicolas Sarkozy ne commentaient l’affaire.
A l’inverse, le pouvoir mauritanien triomphait bruyamment et se félicitait du succès d’une opération militaire visant à prévenir l’attaque d’une base militaire par cent cinquante combattants de l’AQMI.
Il remerciait aussi la France pour son soutien logistique et technique tandis qu’à Paris, le ministère de la Défense reconnaissait, du bout des lèvres, un appui à l’opération. La presse ibérique maintenait toutefois que des soldats français avaient participé directement à l’opération. Ce que semblait confirmer, contraint, le ministère français de la Défense en avouant la participation au raid de vingt à trente soldats des forces spéciales et que le but était bien la libération de Michel Germaneau.
Libération d’un otage ou prévention d’une attaque ? Mauritaniens et Français ne sont visiblement pas sur la même ligne. Un décalage compréhensible dans la mesure où la lutte contre le terrorisme sert davantage l’image du président, Mohamed Ould Abdel Aziz qui évite ainsi de passer pour un larbin de l’armée française.
Or l’armée mauritanienne n’a nullement les capacités, malgré les formations dispensées par les Français, de mener une telle opération. Si l’on rajoute que quelques dizaines d’hommes des forces spéciales, à la puissance de feu redoutable, se suffisent amplement à eux-mêmes, on peut estimer que les Mauritaniens ont seulement fourni quelques guides et véhicules.
Mais au-delà de la forme, ce raid soulève de graves questions sur notre fonctionnement politique et nos relations avec les pays africains.
D’une part, comme le dénoncent les députés mauritaniens de l’opposition, cette attaque constitue un authentique acte de guerre, sans qu’aucun parlementaire d’aucun pays n’ait jamais été consulté.
Ensuite, les autorités maliennes ne furent même pas informées de cette attaque sur leur sol. C’est dire en quelle estime, on tient la souveraineté du Mali.
Cela dévoile aussi la nature des relations entre la France et la Mauritanie. Celle-ci n’étant qu’un pion ou un vassal servant de paravent pour cette opération décidée vraisemblablement le 13 juillet, lors d’une rencontre Sarkozy-Abdel Aziz. C’est aussi un des dividendes du soutien élyséen au putsch et aux fraudes électorales qui ont permis au président mauritanien de s’installer au pouvoir.
En outre, la France, malgré l’échec de l’opération, montre qu’elle peut mener des opérations militaires n’importe où dans la région et personne n’a rien à en dire, même les autorités des pays où elle intervient.
Au vu des discours martiaux tenus par MM. Sarkozy, Fillon, Morin et Kouchner, l’assassinat de Michel Germaneau va servir à légitimer une présence militaire française accrue, puisque « nous sommes en guerre contre AQMI » et que « nous allons renforcer notre présence », etc.
L’armée française forme déjà officiellement des militaires dans la région, mais cette opération a permis de révéler quelques éléments inconnus sur la présence de soldats hexagonaux en Mauritanie. Selon des informations concordantes, l’opération militaire serait partie de la base de Bassikounou (à l’extrême sud est du pays) où la population faisait état, depuis un certain temps déjà, de va-et-vient d’hélicoptères (dont l’armée mauritanienne est dépourvue) et de la présence de militaires « blancs ». Ceux-ci ne circulant pas en dehors de la base, on ne peut que spéculer sur leur nationalité mais les américains étant installés ailleurs dans le pays, il est fort probable qu’ils soient français.
Pourtant les autorités des deux pays ont toujours répondu aux députés mauritaniens que les seuls formateurs militaires français présents étaient bien plus au nord, à Atar qui dispose d’un aéroport.
Plus grave, l’examen des photos de l’attaque franco-mauritanienne montre que le camp était plutôt celui de trafiquants et non pas de terroristes préparant une attaque d’envergure. Malgré les affirmations des autorités mauritaniennes selon lesquelles une grande quantité d’armes ont été saisies et brûlées, mais nulle photo d’un tel stock...
C’est aussi l’avis de plusieurs informateurs ayant des relations dans l’appareil sécuritaire, tel que Jeremy Keenan, anthropologue britannique très au fait des dessous du terrorisme dans la région.
Si cela est vrai, la France a mené un raid militaire illégal en territoire étranger pour, au final, assassiner sept personnes, seulement coupables d’être de petits trafiquants, sans que cela ne suscite le moindre questionnement.
Par ailleurs, on peut s’interroger sur le contenu des photos diffusées par la télévision nationale mauritanienne montrant, sur le corps d’un des « terroristes » tués, des traces de coups, de lacérations, bref de tortures...
Au retour du raid franco-mauritanien, l’enlèvement de deux éleveurs nomades maliens, « membres » d’AQMI, avait été dénoncé par des autorités locales maliennes. Ils ont finalement été relâchés quelques semaines plus tard, alors que les autorités françaises avaient nié la réalité de ces enlèvements, soit que les militaires français y ont directement participé, soit qu’ils ont cherché à couvrir leurs homologues mauritaniens.
Toute cette affaire amène inévitablement à s’interroger sur Al Qaida au Maghreb islamique. AQMI est coupable d’avoir enlevé et/ou assassiné des ressortissants occidentaux, d’avoir attaqué à plusieurs reprises les armées mauritaniennes, maliennes et algériennes et de prélever des taxes sur les trafics de la région, notamment de drogue.
Par ailleurs, alors qu’aucun contact n’a jamais été établi entre ces terroristes et quelques médias que ce soient, ces derniers sont toujours prompts à livrer un tas d’informations détaillées sur la structuration du mouvement : qui en est le chef, quelles sont les rivalités de pouvoir entre les émirs, leurs profils politico- psychologiques, lequel contrôle quelle région, leur armement, leur nombre variant de trois cents à mille etc.
Les sources sont toujours les mêmes sources sécuritaires, presque exclu- sivement algériennes. Mais si les autorités algériennes sont capables de tant de détails, s’ils correspondent toutefois à une réalité, c’est qu’AQMI est infiltré.
Il serait alors facile de l’anéantir, surtout avec les moyens de surveillance modernes ou traditionnels car contrairement à la représentation que l’on en a en Occident, le désert n’est pas une vaste zone aveugle, pour circuler, il y a des routes et les nomades sont aussi partout présents...
Est-ce à dire qu’AQMI bénéficierait de la complicité de l’Algérie ? Des analystes vont plus loin. Ainsi, François Géré, président de l’Institut français d’analyse stratégique et chargé de mission pour l’Institut des hautes études de la défense nationale, a déclaré, sur RFI le 24 juillet, à propos d’Abou Zeïd qui retenait en otage Michel Germaneau, qu’il y a « des doutes sur son indépendance totale à l’égard des services de sécurité algériens. »
Jeremy Keenan affirme qu’« Abou Zeïd est lui-même considéré comme un agent du DRS », c’est-à-dire de la sécurité militaire algérienne réputée être le cœur du pouvoir algérien et dirigé par le général Mohamed Médiène, dit « Toufik ».
Mais quel serait l’intérêt de l’Algérie à instrumentaliser ceux qui la menacent ? Pour Salima Mellah, animatrice de l’organisation de défense des Droits de l’homme algérienne Algeria-Watch, comme pour François Gèze, directeur des éditions La Découverte, « le terrorisme résiduel » du GSPC est un des instruments (des chefs de l’armée algérienne) pour consolider leur mainmise sur les richesses du pays et pour se légitimer auprès des puissances occidentales. »
Pour Jeremy Keenan toujours, « toute la stratégie du DRS en créant l’AQMI dans la région sahélienne en 2006, a été de convaincre les Occidentaux, et en particulier les États-Unis, du rôle indispensable de l’Algérie comme gendarme régional » (Rue89, 9 août 2010).
De même, en déstabilisant ses voisins sahéliens grâce à AQMI, et forte de sa puissance militaire, Alger se pose en parrain régional sans qui rien n’est possible dans la région. Les Algériens, très en froid avec les Français et les Américains (depuis 2006 et une sombre histoire d’espionnage), ont maintenant des tentations hégémoniques et cher- chent à chasser les Occidentaux du Sahel considérant la région comme leur chasse-gardée.
Dans ce contexte, certains ont interprêté l’enlèvement de Pierre Camatte, en décembre 2009, comme un premier avertissement à destination des autorités françaises. Ce ne fut vraisemblablement pas suffisant. En avril, Michel Germaneau fut enlevé. Les revendications peu claires de ses ravisseurs et le refus de négocier sont vues comme une condamnation à mort, geste encore plus ferme à destination de Paris.
Dans cette optique, l’assaut français pourrait être la réponse du berger à la bergère : non seulement, nous ne nous en allons pas, mais en plus, on intervient militairement avec nos forces spéciales, peu importe que Germaneau soit là ou non. Une version à considérer toutefois avec prudence tant il subsiste des zones d’ombres.
Derrière ce « grand jeu » sahélien, où l’on retrouve aussi les Etats-Unis avec l’initiative pan-Sahel (PSI), la Chine (au Soudan), la Grande-Bretagne ou la Libye, il y a évidemment le contrôle des réserves énergétiques (pétrole, gaz, uranium, ainsi que le potentiel, pour l’instant assez lointain, d’énergie solaire) que recèle la région et des flux qui vont la traverser (comme par exemple, le Transsaharian. Gas Pipeline ou l’exportation du pétrole malien bientôt en exploitation). Et pour cela, rien de mieux que d’être présent militairement et d’avoir la mainmise sur les forces de sécurité de la région.
Comme le souligne, Mehdi Taje, chercheur à l’Institut d’études stratégiques de l’Ecole militaire de Paris, « le jeu des puissances étrangères amplifie [la] menace [islamiste]. Parce que ça sert leurs intérêts. Ce qui leur permet de se positionner militairement. En agitant le chiffon de la menace islamique, la France s’aligne sur certaines ambitions américaines. » Pour lesquelles il dit qu’ « officiellement il s’agit de renforcer les capacités des armées locales. Officieusement c’est une manière d’affirmer leur présence militaire » (L’Humanité, 29 juillet).
Au-delà des ambitions économiques, on peut aussi retrouver dans la geste sarkozyste, l’ambition mégalomaniaque d’une France puissance mondiale qui doit être présente, surtout là où d’autres veulent la chasser. C’est exactement la façon de faire de Nicolas Sarkozy, jamais en reste d’outrances, décrivant un axe du terrorisme allant du Pakistan jusqu’au Sahel.