Survie

Accaparement des terres : « Tout va très bien, madame la marquise... »

(mis en ligne le 3 octobre 2010) - Thomas Noirot

Le 7 septembre, la Banque mondiale a publié son rapport, attendu et redouté, sur la dynamique mondiale d’accaparement des terres.

Comme pour d’autres secteurs d’activité depuis déjà quelques années, l’institution financière internationale reconnaît le désastre engendré par la privatisation et la libéralisation d’un bien commun, ici la terre, mais s’entête à proposer quelques ajustements visant à améliorer la bonne gouvernance du foncier et la compétitivité d’opérations supposées être des partenariats gagnant-gagnant.

Ce rapport, initialement prévu pour décembre 2009, était très attendu, car les moyens dont disposaient ses auteurs laissaient espérer d’avoir enfin accès à des données quasi exhaustives. Mais les experts de la Banque se sont finalement basés sur le travail de recensement des articles de presse effectué par l’ONG GRAIN.

Entre le 1er octobre 2008 et le 31 août 2009, ils ont ainsi comptabilisé 464 projets représentant un total de 46,6 millions d’hectares dans 81 pays. Près de la moitié concernent l’Afrique sub-saharienne pour 32 millions d’hectares, cinq pays concentrant même à eux seuls presque un quart des projets (Soudan, Ethiopie, Nigéria, Ghana et Mozambique).

Sur l’ensemble, la superficie moyenne est de 40 000 hectares, mais un quart des projets portent sur plus de 200 000 hectares. La destination des cultures est également intéressante : 37% seulement concernent des cultures alimentaires, contre 21 % pour des agrocarburants et 21 % pour d’autres cultures industrielles (sucre de canne, huile de palme..), le reste pour de l’élevage ou des plantations forestières.

Cette approche qui ne fournit donc pas de données globales fiables, a été complétée par l’étude de l’inventaire national réalisé par 14 pays, et par l’étude de cas de 19 projets déjà mis en oeuvre et pour lesquels « les investisseurs n’ont pas refusé l’accès », donc certainement pas les pires ! Malgré l’art de la litote des auteurs, le constat est accablant : saccage environnemental et irrespect des rares clauses prévues à ce sujet quand elles existent, très faibles retombées en termes d’emploi, graves insuffisances administratives pour délimiter les périmètres et inventorier correctement les projets, flou juridique quant aux droits de propriété et d’usage du foncier qui débouchent sur des conflits avec les communautés locales... même l’évaluation de la rentabilité économique des projets est complètement fantasque dans la plupart des cas.

Des recommandations trop floues ou irréalistes

Ce rapport était également redouté, car le marquage idéologique de l’institution fait que, fin avril déjà, une coalition menée entre autres par GRAIN et le réseau Via Campesina, appelait à faire barrage aux conclusions de cette étude dans laquelle la Banque mondiale allait forcément « présenter sa propre solution pour répondre aux risques et aux inquiétudes soulevés par ces investisseurs étrangers » et « avancer une série de “principes” que les acteurs seront censés appliquer. La FAO, la CNUCED et le FIDA (Fonds International de Développement Agricole) ont accepté de soutenir la Banque et de l’aider à promouvoir ces “principes”. »

Des recommandations fumeuses, certes libérales mais trop floues ou irréalistes : identifier les territoires et les cultures qui peuvent garantir le plus de profits pour établir des paramètres plus standards à faire inclure dans l’évaluation des projets, cartographier et documenter les droits de propriété existants, éduquer les populations (ou inciter les organisations de la société civile à le faire !) aux différentes formes d’usage de leurs terres (dont bien sûr la contractualisation avec des firmes transnationales), réglementer les consultations en amont et garantir une meilleure transparence sur les contrats...

Sur ce dernier point, l’hôpital se moque de la charité pour de bon, puisque la Banque ne rend absolument pas publiques les précieuses informations qu’elle a réussi à collecter sur ses 19 études de cas ou sur la nature des investisseurs de l’ensemble des projets de son échantillon. Elle se contente de préciser que le rôle des fameux « fonds souverains » est en fait largement inférieur à celui des fonds d’investissement privés... en omettant opportunément de mentionner sa propre implication à leurs côtés. Car comme le relève l’ONG GRAIN , « depuis des décennies, la Banque s’emploie à promouvoir activement des approches de marché pour la gestion des terres, au travers de ses pratiques de prêts et de la défense de ses politiques. Ceci se traduit par une privatisation des droits fonciers, par le biais d’une transformation de droits fonciers coutumiers en titres négociables ainsi que d’un désengagement de l’État, et par les réformes juridiques nécessaires au fonctionnement d’un marché foncier de style occidental. » Pire, « la branche d’investissement commercial de la Banque, la Société financière internationale, est l’un des principaux investisseurs dans de nombreuses sociétés de capital-investissement qui achètent des droits sur des terres agricoles, tandis que son Agence multilatérale de garantie des investissements (MIGA) accorde à des projets d’accaparement des terres une assurance sur les risques politiques. La MIGA a fourni plus de 50 millions de dollars US, par exemple, pour couvrir les investissements commerciaux de 300 millions de dollars US de Chayton Capital en Zambie et au Botswana ».

On comprend alors mieux qu’une large partie du rapport soit consacrée à l’évaluation et des « potentiels agroécologiques » et à la cartographie mondial du revenu potentiel maximum par hectare.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 195 - octobre 2010
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