Survie

Côte d’Ivoire : une élection présidentielle à hauts risques

(mis en ligne le 3 octobre 2010) - Rafik Houra

Avec cinq années de retard
dûes largement à une crise
(franco-)ivoirienne qui n’en
finissait plus, les élections
semblent enfin inéluctables.

Redéploiement des douanes
sur toutes les frontières,
encasernement des rebelles,
certification de la liste électorale : le
train est en marche. Ça roule !

Enfin, à condition… de ne pas écarter
les œillères ; de ne pas regarder du
côté des milices loyalistes ; de ne pas
demander où sont les armes des rebelles ;
de ne pas s’inquiéter de la très faible
participation des rebelles aux unités
mixtes censées sécuriser le scrutin ; de
n’avoir d’yeux que pour cette fameuse
liste définitive de 5,7 millions d’électeurs.

Bref, d’adopter l’attitude du représentant
spécial de l’ONU, grand certificateur
du processus de paix depuis l’accord
politique de Ouagadougou, qui sollicite
cinq cents casques bleus supplémentaires
à l’approche des élections. Une goutte
d’eau, comparés aux 6 903 hommes
manquants dans les unités mixtes.

Malgré les déclarations apaisantes des
leaders, nombres d’Ivoiriens craignent
le pire. Des membres de l’opposition
redoutent que le président Laurent Gbagbo
n’utilise l’armée pour se maintenir au
pouvoir.

Le président ivoirien a montré
sa fermeté lors de l’inauguration d’une
compagnie de CRS : « Vous avez pour
ennemis, tous ceux qui sont contre la
paix en Côte d’Ivoire. Vous avez pour
ennemis, tous ceux qui veulent troubler
les élections en Côte d’Ivoire. Votre
tâche est simple
 ». Début août, lors de
la fête nationale, il avait expliqué que
des officiers tant loyalistes que rebelles
« ont été promus pour favoriser un climat
électoral et postélectoral apaisé
 ».

A contrario, le camp présidentiel sent bien
qu’en cas de troubles importants pendant
les élections, le faible crédit de Gbagbo
sur la scène internationale le mettrait dans
une situation difficilement tenable.

Outre les forces de l’ordre ivoiriennes
et les 9150 casques bleus, il reste neuf
cents militaires français au sein de la
force Licorne. La mémoire encore vive
des évènements de novembre 2004 leur
laisse une marge de manœuvre quasi-nulle
en cas de flambée de violence au
cours des élections.

Enfin, le cas des milices de la zone
loyaliste est loin d’être réglé. Elles ont
prévu des manifestations si elles ne
perçoivent pas le pécule promis par les
accords de Ouagadougou.

Incidents à répétition aux États-Unis

Un colonel ivoirien a été arrêté dans
un aéroport de New-York, puis inculpé
dans le cadre d’une tentative de
contournement de l’embargo sur les
armes mis en place en 2004. Selon le
ministre de la Défense et le conseiller
du président ivoirien en matière de
défense, il s’agissait de l’achat, pour
3,8 millions de dollars, de matériel
de maintien de l’ordre destiné à la
police et aux unités mixtes. Depuis les
manifestations réprimées dans le sang
en février (Billets d’Afrique n°189)
, la
diplomatie ivoirienne avait demandé
un assouplissement de l’embargo pour
équiper ses forces de l’ordre.

La procédure semblait en bonne voie
auprès du comité en charge des sanctions
au sein de l’ONU jusqu’à l’arrestation
du colonel.

Autre incident, quelques semaines
plus tôt : l’ex-premier ministre Affi
N’Guessan (du parti présidentiel) s’est
vu interdire l’entrée aux États-Unis
alors qu’il dispose d’un visa expirant
en 2017 !

Gbagbo et l’Élysée arrondissent les angles

Après que Gbagbo a remis les clés de
l’école française fraîchement reconstruite
fin août, l’ambassadeur de France, Jean-
Marc Simon, lui a accordé un satisfecit
enthousiaste sur RFI, évoquant à la même
occasion les indemnisations perçues
par les entreprises françaises suite aux
évènements de novembre 2004.

Le 2 octobre, à moins d’un mois du
premier tour de l’élection présidentielle,
le secrétaire général de l’Élysée,
Claude Guéant, a dîné avec Gbagbo, à
Yamoussoukro. Le lendemain, le fidèle
lieutenant de Sarkozy a rencontré, dans
un programme très serré, le premier
ministre rebelle Guillaume Soro et les
deux principaux rivaux de Gbagbo :
l’ex-premier ministre Alassane Ouattara
et l’ex-président Henri-Konan Bédié.

Avant de quitter Abidjan, Guéant a
tenté de rassurer « la France n’a pas
de candidat
 ». « La France est un État
souverain, la Côte d’Ivoire est un État
souverain, et elle n’est pas un État
moins souverain que la France
 ». Ouf !
Voilà qui est dit !

Bien qu’officiellement la question
d’une indemnisation française des
victimes ivoiriennes de novembre 2004
soit remise au lendemain de l’élection,
le quotidien ivoirien l’Inter (04 octobre)
rapporte que la mise sur pied d’un
comité ad hoc aurait été décidée.

L’Élysée donnerait ainsi une suite
favorable à la proposition de règlement
amiable reçue en janvier du cabinet
Heenan Blaikie agissant au nom de
l’État ivoirien. Entre temps, un rapport
officiel sud-africain sur les Ivoiriens
morts aux cours des évènements
sanglants de novembre 2004 a été
diffusé, dans la presse ivoirienne et sur
internet.

Trois jours avant la venue de Guéant,
l’ambassadeur Simon avait remis
les archives INA relatives à la Côte
d’Ivoire coloniale au ministre ivoirien
de la communication. Un geste sans
doute apprécié par l’historien Laurent
Gbagbo.

Une coopération d’exception

Il a aussi souhaité relancer un
« partenariat d’exception ».
Les entreprises françaises apprécieront,
c’est la coopération qui régale !

Mais de ce côté, les bonnes nouvelles
n’attendent pas les élections. Selon la
Lettre du Continent, la Banque mondiale
financera pour environ cent vingt
millions d’euros la réhabilitation du
chemin de fer ivoiro-burkinabé exploité
par le groupe Bolloré, fer de lance de
l’axe ferroviaire Abidjan-Ouagadougou.

Guéant a promis que la France va
appuyer la demande ivoirienne de levée
partielle de l’embargo sur les armes.
Autant de gestes qui montrent que Paris
mise sur une certaine continuité avec
Abidjan.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 195 - octobre 2010
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