Survie

Togo : du suffrage universel au naufrage total

(mis en ligne le 3 octobre 2010) - Comi Toulabor

Alors qu’il a été « réélu » en
mars 2010 en s’octroyant
le score confortable et
enviable de 60,92 % des
voix, Faure Gnassingbé
semble être toujours à la
recherche de la légitimité
qu’elle soit fondée sur la
légalité, le charisme ou
les croyances, dont il était
privé depuis la mascarade
électorale d’avril 2005.

Il rejoue sa partition de « large
ouverture
 » en débauchant ses
adversaires dans un GLOC
(Gouvernement de large ouverture
et de compétences) qui ne semble
pas la réussite espérée. D’autant que
l’opposition réunie au sein du FRAC
(Front républicain pour l’alternance et
le changement) refuse d’aller à la soupe
et continue à battre le pavé de Lomé
pour dénoncer la fraude électorale qui a
maintenu Faure dans le fauteuil de son
père. Ces manifestations hebdomadaires,
comme des coups de massue, mettent à
rude épreuve les nerfs du pouvoir qui
les réprime aveuglement, à la matraque
comme au gaz lacrymogène, reliquats
du cadeau fait par la France et l’UE
(Union européenne) pour sécuriser la
présidentielle.

Si pour Faure et ses inoxydables barons
du RPT (Rassemblement du peuple
togolais, ancien parti unique) réprimer
des manifestations, légales et de surcroît
pacifiques, est la preuve palpable qu’ils
contrôlent la réalité du pouvoir, par
contre nombre d’observateurs nationaux
et internationaux sortent de leur torpeur
et découvrent la mal gouvernance et
l’incapacité « fauristes  ».

Une certaine Françafrique en train de lâcher Faure ?

Ainsi, même si le parrain géostratégique
françafricain, le burkinabè Blaise
Compaoré, n’est pas prêt de lâcher
ouvertement son protégé togolais, par
contre il « est très clairement inquiet
de Faure et de sa capacité à rétablir
la situation
 » que la présidentielle a
amplifiée selon ce que le très informé
Laurent Despas écrit, le 12 septembre
2010, sur son site koaci.com.

Rapportant les propos d’un conseiller de
Compaoré, il souligne même que « sur
les relations et la perception du leader
du Frac, Jean-Pierre Fabre, qui mène
la contestation togolaise
 », on apprend
que : « Fabre était ici (Ouagadougou)
il y a quelques semaines de cela au
moment de la cérémonie d’investiture
du président, il a reçu un accueil quasi
présidentiel, une attention qui en dit
long quand on connaît Compaoré
 »,
ajoutant : « Je pense qu’au même titre
que nous autre, la France, surtout
depuis l’affaire de l’officier pris en flag
par les journalistes auprès des forces
de l’ordre togolaises, ne sait plus trop
quoi faire, mon sentiment vu d’ici (du
Burkina) est qu’elle aussi s’intéresse
de plus en plus au candidat de l’UFC
(Fabre)
 ». Intéressant quand on sait que
le leader du Frac est annoncé à Paris
d’ici peu pour, selon nos informations,
rencontrer les autorités de l’ancienne
puissance coloniale.

Et toujours selon
Laurent Despas, le général Tidjani
(Billets d’Afrique, n°155, février
2007)
, soutenu dans sa démarche par le
tout-puissant ministre Pascal Bodjona
et par le baron RPT Moussa Barqué, a
rencontré le président burkinabé lors de
cette cérémonie d’investiture du 21 août
dernier. Après avoir écarté ceux qui,
civils ou militaires, l’ont fait roi, dont son
demi-frère Kpatcha, embastillé depuis
avril 2009, le roi Faure serait-il nu ?

Gilchrist et Faure surpris dans le même lit politique

L’entrée en mai dernier de Gilchrist
Olympio, l’opposant historique
et président de l’UFC (Union des
forces de changement, principal parti
d’opposition) au GLOC a fait chauffer
bien de boîtes crâniennes. En revanche,
pour ceux qui suivent de près les pas et
les paroles politiques du fils de l’ancien
président togolais Sylvanus Olympio,
sa participation au GLOC avec ses
AGO (Amis de Gilchrist Olympio) est
un bon débarras qui a surtout l’avantage
de trancher les conflits internes et de
clarifier les rapports de force instaurés
au sein de l’UFC depuis son congrès de
juillet 2008.

Maintes fois reporté et finalement
organisé dans la précipitation, ce congrès
a été marqué par deux importantes
décisions : d’une part la désignation sans
surprise de Gilchrist Olympio comme
candidat de son parti à la présidentielle et
d’autre part la création du club des AGO,
initié par Brim K. Diabacté, un militant
de base sans responsabilité particulière,
pour soutenir cette candidature.

Dépassant à peine la centaine, appelés
par dérision « les talibans de l’UFC »,
les AGO proviennent souvent soit des
rangs du RPT comme son initiateur qui
était un ancien instituteur et répétiteur
des enfants Eyadéma dans les années
1980 ou comme l’avocat Djovi Gally,
un nomade politique qui doit avoir
inscrit le nom de plusieurs partis sur
sa carte de visite depuis l’instauration
du multipartisme, soit des rangs de la
nébuleuse grande famille Olympio et
alliées.

Depuis le décès du général Eyadéma en
février 2005, persuadé que Faure « est
différent de son père
 », Gilchrist Olympio
a lui-même tenté plusieurs manoeuvres
d’approche du pouvoir. Ainsi a-t-il à
maintes reprises rencontré contre l’avis
de son parti, à Paris, à Rome, à Accra ou
à Lomé des délégations de haut niveau
RPT conduites par l’incontournable
Pascal Bodjona dont la femme est sa
filleule. On rapporte qu’il aurait des
intérêts économiques croisés avec les
Gnassingbé qui lui auraient donné d’importantes sommes d’argent. Ce
qui expliquerait qu’il n’a levé le petit
doigt pour revendiquer les victoires
confisquées de son parti.

Leader charismatique et populaire
incontestable, Gilchrist Olympio n’est
jamais entré en politique, réduite
chez lui à ses dimensions d’intrigues
triviales et de bêtise humaine, le
tout drapé d’orgueil, de vantardise,
d’autoritarisme. Ce qui, in fine, veut dire
qu’il n’a endossé le manteau d’opposant
ni porté la couronne de confiance que les
Togolais, par un malentendu cocasse,
ont posée sur la tête. Les fin stratèges
du RPT qui croyaient avoir fait une
bonne opération en piochant Gilchrist
Olympio se rendent compte à l’heure
actuelle de leur erreur de casting.

Car les AGO forment un courant ultraminoritaire
au sein de l’UFC, composé
plutôt de bras cassés et de pieds plats
qui cherchent avant tout à satisfaire
des frustrations matérielles. Le RPT se
plaint de la médiocrité et de la voracité
des sept ministres AGO qui n’apportent
aucune valeur ajoutée politique pour
combler le déficit de légitimité dont
souffre Faure.

Il n’est pas impossible
qu’au prochain remaniement, la porte
de sortie leur soit fermement indiquée,
si dans un sursaut salutaire, Gilchrist
Olympio ne claque la porte avant.

Rien n’indique non plus que ces
ministres AGO, venus bouffer,
obéiront au doigt et à l’oeil de leur
chef. Belle pagaille en perspective
 ! Comment appâter l’UFC tendance
Jean-Pierre Fabre, forte de ses trente-cinq
fédérations sur quarante, de ses
vingt députés sur vingt-sept et de son
gros bataillon de cadres et de militants,
et surtout de la confiance populaire, tel
est au fond le casse-tête chinois pour
les grosses têtes du RPT… et de Blaise
Compaoré.

Dans tous les cas, si Gilchrist
Olympio continue de persister dans son
autisme, cette tendance est appelée à se
transformer en parti, idéologiquement
plus cohérent et travaillant dans la
collégialité, sans la figure messianique
d(e)u (Gil)Christ qui plombait toute
évolution qualitative.

Encore des bruits de bottes et des rumeurs de coups d’Etat

Faure déprime sur son trône érigé dans
ses multiples palais construits à coups
de milliards FCA à travers le pays.
Si Jean-Pierre Fabre est partie
responsable dans cette déprime, c’est
surtout à son entourage immédiat que
Faure en veut.

Depuis la présidentielle
de mars, ses apparitions publiques sont
devenue rares, et la très fertile opinion de
la rue spécule sur la réalité de ses crises
épileptiques. En fait, Faure déprime
ferme parce qu’il a peur, étant sur le
point de débusquer un autre Kpatcha
dans son entourage.

C’est ainsi que parti
début septembre à Kigali assister à la
cérémonie d’investiture du réélu Paul
Kagamé, il abandonna sur place la forte
délégation qui l’accompagnait pour
regagner précipitamment l’aéroport de
Niamtougou dans le nord du Togo.

Il annula ses voyages prévus en Suisse
et à New York pour le sommet OMD (20
au 22 septembre). Le globe-trotter, qui
a parcouru en quelque trois ou quatre
mois, l’Italie, le Cap Vert, la Libye, la
Chine, le Mali, le Rwanda, etc., se terre
désormais dans ses palais comme hanté
par l’oeil de Caïn. Son départ précipité
de Kigali serait provoqué par le bruit
d’un coup d’Etat dont Pascal Bodjona
serait le cerveau.

Sur le site Internet togo-inside.com,
celui-ci est présenté sous un mauvais
jour, achetant des journalistes de la
presse locale ou écrivant contre luimême
avec un pseudonyme dans les
journaux. Or, ce site est animé par un
certain Boniface Miangue, un Congolais
proche de Denis Sassou Nguesso, ancien
footballeur de l’Etoile du Congo puis de
Bastia, résidant à Coulaines en France,
reconverti dans les « renseignements
 » et la désinformation.

Se présentant
officiellement comme un « travailleur
indépendant du secteur Sports
 », il « 
travaille » actuellement pour Faure
(et d’autres dirigeants africains),
cherchant à attirer des membres
éminents de la diaspora togolaise en
France dans son escarcelle.

Son site,
pour lequel il est grassement rémunéré,
reprend souvent les informations du
site gouvernemental republicoftogo.com quand il n’en fabrique pas lui-même
pour empoisonner l’existence
d’honnêtes gens. Il est régulièrement
à Lomé, toujours dans l’entourage de
Faure qui a besoin de lui comme d’un
placebo. Il travaille à la disgrâce et à
la chute de Pascal Bodjona, qui n’est
pas non plus un enfant de choeur.

Il est pratiquement acquis que le
prochain remaniement risque d’être
fatal à Bodjona. Mais n’est-il pas plus
dangereux dedans que dehors ?

Faure a de quoi déprimer, et il n’est
pas au bout de ses peines, d’autant
qu’aucune institution de l’Etat voyou
n’est en mesure de lui servir de point
d’appui ou d’espace de répit, même
éphémère. Mais la volatilité de la
situation est telle qu’une petite étincelle
risque d’embraser la forêt.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 195 - octobre 2010
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