Survie

50 ans après, où en est la Mauritanie ?

(mis en ligne le 7 décembre 2010) - Issa Bâ

50 ans après son
indépendance, peut-on
dire que le pays a conquis
sa souveraineté, politique
et économique alors la
population vit toujours dans
une grande misère ?
Bilan de 50 ans de régimes
prédateurs et libertides, qui
ont rendu le pays exangue
avec le soutien de la France.

Les indicateurs de développement
sont au plus bas, l’écrasante majorité
des habitants du pays connaît des
conditions de précarité extrême, ne pouvant
assurer trois repas corrects par jour, même
si « seulement » 46,7 % de la population vit
sous le seuil de pauvreté.

Le système scolaire est dans un état
déplorable. 30% des enfants ne sont pas
scolarisés et la moitié de ceux qui le sont ne
finit pas le cycle primaire, les écoles n’ont
aucun moyen avec des classes surchargées
(jusqu’à 120 élèves par classe en primaire).
Les enseignants ont des salaires trop faibles
pour faire vivre correctement leurs familles
et multiplient les cours dans le privé,
« s’arrangeant » pour ne pas assurer toutes
leurs heures dans le public.

Des infirmiers comme médécins

Le système sanitaire n’est pas plus brillant :
les patients qui doivent fournir eux-mêmes
le matériel médical (gants pour les soignants,
seringues, pansements, médicaments...),
l’entrée à hôpital national est payante, les
maternités de proximité fermées et le pays
dispose seulement d’une trentaine de lits
en psychiatrie pour un pays de 3,2 millions
d’habitants. Les médicaments sont rares
et très chers tandis que les fonctions de
médecins sont très souvent assurées par des
infirmiers...

Le chômage est massif touchant
officiellement un tiers de la population
active. Mais en réalité, il est bien plus élevé.
Seuls quelques-uns sont des salariés du
secteur formel. Le reste de la population est
condamnée à la débrouille, à travailler à la
petite semaine et à des salaires de misère.

Tout ceci n’est que la conséquence
logique d’un système bâti sur le
détournement, la corruption, l’impunité
et l’extrême concentration des richesses
entre très peu de mains.

Une minorité privilégiée capte à son profit
toutes les rentes du pays : ressources
naturelles (fer, poisson, pétrole, or, cuivre),
commerce national et international,
immobilier, élevage et transports sans
compter les activités illégales que sont les
détournements et trafics en tout genre.

Des dirigeants kleptocrates
Cette minorité se compose principalement
des proches des pouvoirs qui se sont
succédés depuis 1978, surtout sous celui
d’Ould Taya, de 1984 à 2005, et celui des
militaires putschistes de 2005 et 2008. Tous,
pour assurer leur emprise sur le pays, se
sont appuyés sur leur tribu et ont vassalisé
les autres en permettant à certains de leurs
membres de participer au festin, leur
accordant privilèges économiques et postes
dans l’appareil d’État.

On a ainsi vu des directeurs régionaux de
l’éducation nationale analphabètes... Autant
dire que pour nombre de fonctionnaires, la
seule préoccupation est de détourner tout ce
qui passe entre leurs mains.

Les aides internationales constituent
également des rentes pour les apparatchiks
du régime et ce, bien sûr, au détriment des
populations les plus fragiles. L’ONUSIDA
a ainsi révélé, en 2009, que le beau-frère du
Premier ministre a détourné 1,7 millions de
dollars des fonds destinés à la lutte contre le
sida et le paludisme.

Au Mali voisin, une affaire semblable a
déclenché un scandale énorme dont les suites
judiciaires sont en cours. En Mauritanie, le
coupable a démissionné...

Des informateurs relèvent par ailleurs
régulièrement que des proches de très hauts
responsables, voire certains responsables
eux-mêmes, sont impliqués dans tous les
trafics : cigarettes, voitures volées, drogue,
armes et migrants...

Depuis l’arrivée du général Abdel Aziz
à la tête du pays en août 2008, la situation
n’a cessé de se dégrader, ce dont témoigne
la chute que connaît la Mauritanie dans
le classement de l’ONG Transparency
International basé sur un indice de perception
de la corruption : le pays est passé du 115e
rang au 143e, à égalité avec le Pakistan et
juste devant la Côte d’Ivoire et Haïti...
La situation en matière de droits de l’homme
est tout aussi catastrophique. L’esclavage
est toujours présent à travers le pays. Cette
persistance est entretenue par les passedroits
dont bénéficient les notables et plus
généralement par l’impunité offerte dans ce
genre d’affaires.

Quant à la police, elle est corrompue jusqu’à
l’os et pratique souvent la torture, que
vous soyez prisonnier de droit commun ou
politique (islamiste le plus souvent) ainsi
que l’avait dénoncé Amnesty International
dans deux rapport en 2008 et 2010.
Quant aux libertés publiques, le bilan n’est
pas plus brillant comme le démontre la
même ONG.

Après le putsch d’août 2008, dirigé par le
général Mohamed Ould Abdel Aziz, la junte
a arrêté et détenu arbitrairement plusieurs
personnes, dont le président renversé, son
Premier ministre et un ancien ministre tout
en réprimant les manifestations d’opposants
au coup d’État.

Impunité et répression, les deux mamelles du régime

De même, les médias sont étroitement
contrôlés. La presse écrite est étroitement
surveillée par les services de renseignement.

Certains titres leur sont d’ailleurs
associés plus ou moins directement. Pour
l’audiovisuel, c’est encore plus simple :
comme médias nationaux, seuls ceux de
l’État sont autorisés.

Le président renversé préparait une loi pour
ouvrir le paysage audiovisuel mauritanien à
la pluralité. Ce fut abandonné par la junte.
Les médias étrangers sont donc suivis avec
attention par la population, mais lorsque la
chaîne Al Jazeera envoie des journalistes
pour effectuer un reportage sur Al Qaida au
Maghreb Islamique, ils sont arrêtés...

Quant aux élections... rappelons rapidement
qu’un président élu et reconnu par tous en
2007, fut renversé par des militaires en août
2008. Le général Abdel Aziz à la tête de la
junte se fit élire un an plus tard président de
la République lors d’une élection truquée, de
l’élaboration des listes électorales jusqu’à la
proclamation des résultats.

Ce sont les autorités françaises qui ont poussé
l’opposition à participer et se sont activées
pour faire reconnaitre par la communauté
internationale une élection à laquelle le
putschiste n’aurait jamais dû participer,
d’autant plus qu’il avait bloqué l’application
des accords de transition devant permettre
de piloter des élections transparentes (Billets
d’Afrique n°174
, 180, 181, 182, 185).

Un soutien français indéfectible

Comment la France justifie-t-elle son
soutien à un régime aussi peu fréquentable ?
Grâce à la menace terroriste. C’est ce que les
représentants du pouvoir français ont brandi
systématiquement durant toute la crise
consécutive au putsch puis lors de l’élection :
il faut un homme fort en Mauritanie pour combattre le terrorisme.

La Mauritanie a ainsi rejoint le Maroc comme
allié prioritaire de la France dans la région.

D’ailleurs, les putschistes ont été formés
au Maroc, traditionnel sous-traitant de la
Françafrique. L’armée mauritanienne fournit
des supplétifs militaires ou sert de couverture
lorsqu’il faut intervenir militairement dans la
zone. Elle est formée par les forces spéciales
françaises. L’opération militaire francomauritanienne
du mois de juillet dernier,
visant à libérer l’otage Michel Germaneau,
a révélé une présence militaire française
plus vaste que celle reconnue officiellement.

La France n’avoue, en effet, disposer que
de quelques instructeurs militaires à Atar,
dans le centre nord du pays. Pourtant, le
journaliste, Jean-Dominique Merchet, a
écrit que cette opération serait partie d’une
base militaire à la frontière malienne, qui
ne peut donc être Atar. Il s’est avéré que
celle de Bassikounou (sud-est) répond à ce
critère et accueille des militaires français...

Il y aurait vraisemblablement une autre base
aux environs de Ouadane (centre est) où
des soldats français seraient chargés de la
sécurisation du site d’exploration de Total.
Pourtant lorsque des députés mauritaniens
avaient accusé la France de maintenir des
bases militaires sur le sol mauritanien, les
autorités des deux pays avaient affirmé
que la France ne disposaient que des
instructeurs d’Atar.

La coopération militaire ne s’arrête pas
là, des militaires français sont présents
au côté de l’état-major mauritanien, des
hommes de la DGSE étaient en appui à
la Garde Présidentielle peu avant qu’elle
ne commette le coup d’État de 2008. Les
généraux français Irastorza, chef d’Etatmajor
de l’armée de terre, et Georgelin, chef
d’Etat-major des armées, s’étaient rendus à
Nouakchott juste après l’élection du général
Abdel Aziz.

L’objet de ces visites étaient
évidemment la coopération dans la lutte
anti-terroriste qui permet aussi de justifier
les ventes d’armes françaises aux militaires
mauritaniens.

Une menace terroriste très opportune

Par ailleurs, la réalité d’AQMI en
Mauritanie soulève toujours des questions.
On peut tout d’abord noter que ses attaques
correspondent à un timing étrange. En
effet, la première date de juin 2005, trois
mois seulement avant le renversement
du dictateur Ould Taya par les numéros
deux, trois et quatre du régime : il n’était
plus assez « fort » pour tenir le pays.

Puis plus rien jusqu’en décembre 2007
alors que le président démocratiquement
élu est pris dans une lutte politique de
plus en plus acharnée contre ces mêmes
militaires putschistes qui le renverseront
huit mois plus tard au prétexte... qu’il
était trop laxiste avec les islamistes.

Après le putsch de 2008, les actes
terroristes se sont multipliés : attaques
militaires, assassinat, attentat-suicide,
enlèvements... prouvant ainsi la réalité
de la menace. Le président-général
Abdel Aziz, se montre intransigeant face
aux revendications d’AQMI quitte à se
brouiller avec le Mali voisin (même si
en catimini il se soumet à certaines de
leurs exigences). Il participe aux côtés
des Français à l’opération « Michel
Germaneau
 », lance une autre opération
militaire avec l’appui opérationnel de
ces derniers... Il est en guerre contre Al
Qaida et il le fait savoir.

Récemment, la justesse de sa stratégie
fut opportunément « démontrée » par la
reddition d’une trentaine de terroristes
mauritaniens en novembre 2010 car
comme le souligne Jeune Afrique,
« ces défections tombent à pic pour
Nouakchott, qui s’était donné pour
objectif d’inciter la jeunesse “égarée” à
revenir à la raison
 ».

Pourtant, l’armée
mauritanienne n’était pas vraiment en
position de force après avoir subi des
pertes sévères en septembre dernier.

Autre fait étrange, ce sont de très jeunes
gens qui se sont rendus, certains âgés de
14 ans... Peut-on raisonnablement croire
qu’ils aient été capables d’infliger ces
pertes sévères ? Qu’ils se soient rendus
en sachant que les djihadistes sont
systématiquement torturés ?

Pour éclairer tout cela, il convient de
reprendre ce qu’avait déclaré sur RFI
Alain Chouet, ancien chef de la sécurité
à la DGSE (services de renseignement
extérieurs français). Interrogé sur la
menace que fait peser AQMI sur la
Mauritanie, il répondait en premier
lieu, « il y a une situation interne à la
Mauritanie qu’il faudrait observer,
avec un certain nombre de rivalités de
pouvoir
 », puis, dans un second temps, et
de manière plus circonspecte : « et puis
peut-être aussi incapacité de contrôler le
territoire
 » (RFI, 3 août 2010).

Petits jeux funestes

Le territoire mauritanien semble aussi
servir de terrain tactique à des rivalités
stratégiques à d’autres échelles : si
AQMI dénonce la présence française,
l’Algérie aussi et l’on sait que la question
des relations entre les groupes terroristes
islamistes, notamment AQMI, et le
pouvoir algérien font l’objet d’analyses
solides (lire François Gèze, Jeremy
Keenan, Salima Mellah, Jean-Baptiste
Rivoire).

Mais récemment, c’est le
ministre de la santé mauritanien qui a
été jusqu’à qualifier la position officielle
algérienne « d’ambiguë vis-à-vis du
terrorisme dans la région du Sahel
 »...

Pour certains, l’attentat manquée à la
voiture piégée contre une caserne de
l’est du pays fin août, serait un signal
de la sécurité militaire algérienne à
destination du pouvoir mauritanien
pour qu’il cesse d’impliquer la France
dans la région. Peu après, les autorités
françaises renonceront à participer à
l’opération militaire contre AQMI du
mois de septembre, officieusement pour
ménager l’Algérie...

Quant aux enjeux économiques, la
présence française est de plus en plus
présents, comme le soulignait Dov
Zerah, le directeur de l’Agence Française
de Développement, lors d’une visite en
octobre dernier : « 5,5 % de croissance
enregistré par la Mauritanie est un
chiffre de croissance très élevé et nous
avons examiné (…) comment nous, nous
pouvons participer à ce développement
économique
 ».

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 197 - décembre 2010
Les articles du mensuel sont mis en ligne avec du délai. Pour recevoir l'intégralité des articles publiés chaque mois, abonnez-vous
Pour aller plus loin
a lire aussi