Le président comorien
sortant tient des discours de
fermeté pour la restitution
de Mayotte, et la fin du visa
Balladur-Pasqua, mais il
signe un accord de défense
avec la France. Pendant ce
temps, le processus (illégal)
de départementalisation
de Mayotte progresse au
parlement français, où
quelques voix s’élèvent pour
dénoncer divers aspects
de ce scandale. Mais pas
encore celui de la spoliation
des terres.
« Tant que je serai encore le Président
de ce pays, aucune discussion de
quelque nature que ce soit, ne doit
avoir lieu [avec la France] avant l’annulation
du visa qui a fait de la portion de mer qui
sépare Mayotte d’Anjouan, le plus grand
cimetière du monde ». Voilà ce qu’affirmait,
avec un aplomb sarkozien, Ahmed Abdallah
Sambi, le président de l’Union des Comores,
le 30 septembre 2010, à quelques mois de la
fin de son mandat non renouvelable. Il venait
de revendiquer à nouveau à l’Assemblée
générale de l’ONU la restitution de Mayotte,
passant par une phase répondant au principe
« un pays, deux systèmes », en soulignant
que « s’il s’avérait que le droit et la légalité
internationale devaient être constamment
ignorés et l’intégrité territoriale des Comores
continuellement bafouée, toute [la] crédibilité
[de l’ONU] serait mise en cause ».
Le premier objectif d’abrogation du visa
peut être réalisé immédiatement, sur
simple volonté française, pour revenir à la
situation d’avant 1995 où les Comoriens
circulaient librement entre les quatre îles de
cet archipel, pour des travaux saisonniers,
la vente de leur production artisanale, des
soins médicaux, des visites familiales,
ou pour toute autre raison, sans avoir
forcément à s’installer à Mayotte pour
« rentabiliser » une traversée clandestine
coûteuse et mortellement dangereuse.
« Cette proposition, qui vient du président
Sambi, de “deux administrations, un État”
n’est ni politiquement ni juridiquement,
acceptable » a répondu Bernard
Kouchner, alors encore Ministre des
Affaires étrangères, Le 21
octobre, au sénateur UMP
de Mayotte Soibahadine
Ibrahim Ramadani, qui
voulait s’assurer du rejet de
cette proposition par Paris.
Le moment était propice
à la franchise puisqu’un
enjeu géopolitique venait de
connaître un dénouement,
qu’avait pris soin de
souligner le Sénateur dans sa
question : « le ministre de la
défense, Hervé Morin, et son
homologue comorien, Fahmi
Saïd Ibrahim, ont signé, le 27
septembre dernier, un accord
de défense “rénové”, révisant
celui du 10 novembre 1978 et relançant,
par la même occasion, la coopération
militaire entre les deux pays, suspendue
en 1999 ». Évidemment, le visa criminel
n’a pas été abrogé préalablement à cet
accord militaire, ce qui donne belle allure
à Sambi quant à son engagement à exclure
toute « discussion de quelque nature que
ce soit ». Discuter : non ! Mais on peut
signer sans négocier…
Il est évident que ces contradictions et
incohérences de Sambi sont dues aux
pressions et menaces françaises, qui
lui interdisent de tenir ses promesses
électorales, notamment concernant la
restitution de Mayotte. Refuser les convois
de Comoriens expulsés de Mayotte est
aussi un moyen légal, légitime et utile qu’il
n’a pu se permettre que momentanément.
Son successeur sera élu au second tour
des présidentielles le 26 décembre.
Conformément à la constitution de 2002
imposant qu’à chaque mandat le Président
soit issu d’une île différente, le premier
tour, qui sélectionne trois finalistes, n’a
eu lieu cette fois que sur la petite île de
Moheli, le 7 novembre, n’impliquant que
5 % du corps électoral environ. Le poulain
de Sambi, Ikililou Dhoinine, est arrivé en
tête, mais il a surtout l’avantage d’être
mieux connu sur les deux autres îles, bien
plus peuplées, qui voteront elles aussi au
second tour, et il bénéficie plus ou moins
directement des moyens de propagande
de l’Union. La ligne officielle sur Mayotte
restera donc probablement la même.
Reste à savoir quel sera le courage, ou la
témérité, investi(e) dans le combat.
Sambi joue d’un autre levier, sur d’autres
contentieux. Un séparatiste, acteur de la
crise sécessionniste qui a éclaté en 1997
entre les îles, ex-“président” d’Anjouan, le
colonel Abeid, condamné le 4 novembre
par la justice comorienne à treize mois
d’emprisonnement pour maltraitance
et tortures infligées par ses milices à
des opposants en 2001, s’est aussitôt
évadé, vers Mayotte. Un autre séparatiste
anjouanais ex-président d’Anjouan, le
colonel Bacar, a été sauvé des griffes
de la justice comorienne par Nicolas
Sarkozy, suite à une fuite via Mayotte en
février 2008 (Billets d’Afrique n°168). En
rétorsion, les Comores refusent d’extrader
vers Mayotte un présumé violeur, placé
en détention provisoire à Moroni. Sambi
veut signifier que la coopération judiciaire
sera réciproque ou ne sera pas.
Mais comme à l’accoutumé, les armes
sont inégales : deux putschistes protégés
d’un côté, qui auraient beaucoup à déballer
sur leurs complicités avec la France, un
criminel de droit commun de l’autre. Pas
de quoi faire plier l’Élysée.
Comme prévu, les députés ont voté
une fois de plus l’occupation illégale
d’un « département », en adoptant le
23 novembre une loi organique sur
l’évolution, en quasi-DOM, du statut
de Mayotte. Mais les protestations
émises depuis deux ans se confirment
: Jean-Paul Lecoq (PCF) a de nouveau
rappelé l’ilégalité de tout référendum
et changement de statut, puisque leur
comdamnation par avance de la part de
l’ONU n’a jamais été remise en question.
Il souligne le problème que soulèverala demande de statut européen de Région
ultra-périphérique (Billets d’Afrique
n°177), qui « suppose l’accord unanime
des États membres de l’Union européenne
– art. 355, alinéa 6, du traité –, lesquels
ont presque tous voté les vingt résolutions
de l’ONU reconnaissant Mayotte comme
comorienne, et condamnant fermement la
France depuis 1975 ».
Sandrine Mazetier (PS) a émis des
protestations moins radicales, mais plus
gênantes pour le gouvernement, sur le
non-droit pratiqué à Mayotte, surtout vis à-
vis des enfants, auxquels aucun droit
spécifique n’est reconnu en pratique.
Le préfet de Mayotte reconnaît que 4000
enfants sont abandonnés sur l’île après
que leurs parents aient été reconduits à la
frontière. Rien de moins. De plus, « une
procédure autorise, à Mayotte, l’officier
d’état civil à contester la reconnaissance
de paternité d’un homme français pour
un enfant né d’une mère étrangère [sur]
simple saisie du parquet » rappelle la
députée, qui ajoute qu’« il n’est pas
rare que des enfants de Français, euxmêmes
français, soient ainsi expulsés de
Mayotte. » Elle a aussi abordé la situation
des mineurs étrangers isolés : « quand
la présence d’un ou plusieurs mineurs
est constatée sur les “kwasa kwasa”,
ces mineurs sont rattachés à un adulte
– sans que l’on se préoccupe, pour le
coup, de l’existence d’un quelconque
lien de filiation – et sont reconduits à la
frontière. »
Pour ajouter ce constat cinglant, puisque
la majorité des députés semblait d’accord
(voeu pieux de circonstance) sur la
nécessité d’aider au développement des
Comores indépendantes pour diminuer
la pression migratoire : « 70 millions
d’euros sont consacrés à la lutte contre
l’immigration irrégulière, alors que le
coût de la coopération avec l’Union des
Comores est de 20 millions d’euros – c’est
ridicule – et que le budget de l’Union
des Comores s’élève, quant à lui, à 40
millions d’euros. Replaçons les priorités
là où elles devraient être ».
De telles interventions relèvent le niveau,
tant on touche fréquemment le fond sur ces
matières, comme à l’occasion de l’examen
de la loi Besson sur l’immigration, le
29 septembre. Dominique Tian (UMP)
a présenté un amendement : « Sur le
territoire de Mayotte et de Guyane,
est français automatiquement l’enfant
lorsque ses deux parents y sont nés. »
Une tentation de remettre à nouveau en
question le droit du sol, avec un code de
la nationalité différent selon la « france »
où l’on est. C’est un combat que mène
l’UMP depuis 2005, qui a déjà été rejeté
par le Conseil constitutionnel. Sachant
que cette mesure anticonstitutionnelle
reste promise à l’échec, c’est Thierry
Mariani, qui pourtant proposait des tests
d’ADN lors d’une réforme en 2007, qui
fera enterrer cette idée : « le message
envoyé sera[it] gravissime, […] nous
aurons créé une nationalité à double
vitesse ».
Mais au cours de la discussion,
c’est le champion de judo David Douillet,
devenu député UMP, qui remporte la
coupe avec une proposition « plus fine »
encore : « peut-être pourrions-nous
réfléchir à d’autres solutions un peu
plus fines. De quoi s’agit-il ? De femmes
qui arrivent sur le territoire français et
que nous sommes obligés de prendre
en charge, car elles sont en situation
de danger. Elles sont donc conduites à
l’hôpital, où elles accouchent. En donnant
simplement un statut extraterritorial
à l’hôpital, le problème est réglé. Il
suffit d’imaginer que tous les hôpitaux
frontaliers deviennent extraterritoriaux ».
Cette effusion créatrice nous aura au
moins donné l’occasion de s’assurer qu’il
reste quelques notions de droit jusqu’aux
députés et ministres UMP avant-gardistes,
spécialistes du droit du sang et
autres finesses : outre Mariani, même le
ministre Besson a protesté. Comme l’a
dit Christiane Taubira, « ce serait en fait
un centre de rétention administrative à
l’hôpital ».
Pendant ce temps à 7000 km de là, des
Mahorais commencent à comprendre dans
quelle République ils sont entrés. Après
avoir voté pour la départementalisation
qui leur promettait l’accès aux minima
sociaux (quelques centaines d’euros
par mois pour les ayant-droit), certains
doivent payer plusieurs dizaines de
milliers d’euros le terrain sur lequel ils
ont construit leur maison en toute légalité
d’alors. C’est en effet au nom de la règle
des Zones des pas géométriques (ZPG),
découlant des « cinquante pas du Roi »,
que la République leur dit depuis peu :
« votre terrain appartient à l’État ».
Le statut personnel prenant fin, et la
mise en place du cadastre aidant, le droit
de jouissance des terres, ou la justice
traditionnelle des cadis, disparaissent, et
laissent place au cinglant État jacobin.
Les expulsions ont commencé. De plus,
de pauvres bougres défilent au tribunal de
Mamoudzou pour avoir cultivé le champ
familial. Il y reçoivent des amendes de
plusieurs centaines d’euros, ces terres
étant maintenant étatiques. Ce scandale de
spoliation est totalement passé sous silence
en métropole malgré les manifestations
sur l’île.