Survie

République démocratique du Congo : de la qualification de crimes de génocide

(mis en ligne le 7 décembre 2010) - Rafaëlle Maison

Comment peut-on qualifier
les crimes commis en RDC
de 1995 à 2007 recensés
dans le récent rapport de
l’ONU ?

Le rapport du Haut-commissariat
de l’ONU aux droits de l’homme,
dressant le bilan d’une décennie
de guerres atroces à l’est de la République
Démocratique du Congo (RDC) propose une
description de différents crimes commis en
RDC entre 1993 et 2003.

Ce « mapping report » est un recensement
d’atrocités, par zone géographique, basé
sur des rapports antérieurs de l’ONU,
qui ont été réexaminés par une équipe de
vingt personnes spécialement envoyée
en RDC entre octobre 2008 et mai
2009. L’ensemble des faits est tout à fait
affligeant et le rapport, très dense, exigerait
une analyse bien plus approfondie que
celle qu’on peut donner ici.

On a retenu pour l’essentiel le chapitre
consacré aux attaques contre les réfugiés
Hutu (1996-1998) menées par l’APR
(armée patriotique rwandaise) et l’AFDL
(alliance des forces démocratiques pour la
libération du Congo), chapitre tristement
spectaculaire, mais il n’est qu’un chapitre
parmi d’autres.

Sont également décrites les
exactions commises contre les civils Tutsi
et Banyamulenge ainsi que contre d’autres
populations civiles, par d’autres forces
armées.

Le rapport est divisé en quatre
chapitres pour ce qui est des exactions
(section I) : mars 1993-juin 1996 (« échec
du processus de démocratisation et crise
régionale
 »), juillet 1996-juillet 1998
(« première guerre et régime de l’AFDL »),
août 1998-janvier 2001 (« deuxième
guerre
 »), janvier 2001-juin 2003 (« vers
la transition
 »). Par ailleurs, le rapport
insiste sur les crimes commis contre les
femmes et contre les enfants (section II).

Enfin, le rapport procède à une évaluation
de la justice en RDC (section III) et des
options de « justice transitionnelle » pour
la RDC (section IV).

Des solutions pénales suggérées

On peut penser, étant donné les périodes
couvertes, qu’il s’agit pour les auteurs
du rapport de suggérer des solutions
pénales autres que celle de la Cour pénale
internationale, qui n’est compétente que
pour connaître des crimes commis après
juillet 2002, date de l’entrée en vigueur de
son statut.

Même si d’autres questions sont
évoquées, notamment celle des réparations
et d’une nouvelle commission « vérité et
réconciliation
 », l’optique de ce rapport est
donc une optique principalement pénale :
une qualification juridique provisoire des
comportements décrits est avancée, les
« groupes armés » auxquels pourraient
être imputés les actes sont également
systématiquement identifiés.

Il est clair que la partie juridique du rapport a été
élaborée par des personnes familières de
la jurisprudence pénale internationale.

En ce qui concerne la répression, les
solutions pénales proposées vont de la
justice nationale au tribunal international.

Le rapport privilégie la solution du
« tribunal mixte », sur le modèle du
Tribunal spécial pour la Sierra Leone (§
1034) ou de chambres spécialisées au
sein de l’appareil judiciaire congolais (§
1039), tout en insistant sur le fait que la
décision ultime émanera du gouvernement
congolais (§ 1044).

Quelques rares éléments d’analyse historique

Il s’agit donc d’un texte relevant du
rapport d’atrocités, il ne s’agit pas d’un
texte proposant une analyse historique ou
politique des exactions (contexte, structure
des forces impliquées, motivation des
auteurs).

Plusieurs éléments peuvent
pourtant être soulignés. En premier lieu, il
faut y insister, le rapport reste prudent sur les
qualifications juridiques provisoirement
retenues. Ainsi, il explique à plusieurs
reprises que le « niveau de preuve
 », c’est à dire la qualité des informations retenues
dans le rapport, n’est pas nécessairement
une qualité qui pourrait convaincre un
juge pénal.

D’autre part, les qualifications
juridiques ne sont qu’avancées, sous
réserve de l’intervention de juges dont
la décision n’est pas certaine. Ceci vaut
particulièrement dans l’hypothèse du
génocide (§§ 507, 509).

Par ailleurs, si le
rapport est d’abord une sorte d’inventaire
d’atrocités, basé sur des rapports
antérieurs, il n’élude pas complètement
la description de certains faits historiques,
il n’est pas entièrement dé-contextualisé.

Pour ce qui est des actes commis contre
les Hutu rwandais se trouvant en RDC,
la présence parmi eux des miliciens
Interahamwe et d’éléments de l’ancienne
armée rwandaise (ex-FAR), impliqués
dans le génocide des Tutsi au Rwanda,
n’est, par exemple, pas occultée.

De même, la profonde déstabilisation
engendrée par le génocide des Tutsi
au Rwanda est évoquée au début de la
description des « attaques contre les
réfugiés hutu
 ».

On peut ainsi citer les
paragraphes 190 à 192 du rapport :
« Après leur installation au Nord-Kivu
et au Sud-Kivu, en juillet 1994, les ex-
FAR/Interahamwe ont utilisé les camps
de réfugiés situés le long de la frontière
avec le Rwanda et le Burundi comme des
arrières-bases et des camps d’entraînement
(…) Face à la montée des tensions entre
le Zaïre et le Rwanda, plusieurs Etats
ont proposé d’éloigner les camps de
réfugiés de la frontière. Certains ont aussi
recommandé le déploiement d’une force
internationale de maintien de la paix et
l’ouverture de négociations au niveau
régional. Mais, faute de financement
suffisant, de volonté politique et de stratégie
adaptée pour séparer les combattants des
réfugiés, les camps n’ont pas été déplacés
et les éléments ex-FAR et Interahamwe ont
continué à s’armer en vue d’une reprise du
pouvoir à Kigali par la force. Du fait de la
présence de nombreux génocidaires parmi
les ex-FAR, de l’isolement diplomatique
croissant du Président Mobutu et du refus
des nouvelles autorités rwandaises d’ouvrir
des négociations, aucune solution politique
n’a pu être dégagée et les attaques des
ex-FAR/Interahamwe au Rwanda se sont
multipliées de même que les incursions
de l’APR sur le territoire zaïrois.

A partir du mois d’août 1996, des éléments
armés banyamulenge/tutsi, mais aussi des
militaires de l’APR et des FAB, se sont infiltrés au Sud-Kivu. Ils ont attaqué les FAZ (forces armées zaïroises) et les ex-
FAR/Interahamwe mais aussi et surtout les
camps de réfugiés dont certains servaient
d’arrière-bases aux ex-FAR/Interahamwe
et aux groupes armés hutu burundais (…).

Toute cette période a été caractérisée par
une poursuite impitoyable des réfugiés
hutu, des ex-FAR/Interahamwe par les
forces de l’AFDL/APR à travers tout le
territoire congolais. Les réfugiés, que les
ex-FAR/Interahamwe ont parfois encadrés
et utilisés comme boucliers humains au
cours de leur fuite, ont alors entrepris un
long périple à travers le pays qu’ils ont
traversé d’est en ouest en direction de
l’Angola, de la République centrafricaine
ou de la République du Congo.

Au cours de ce périple, des ex-FAR/Interahamwe
et des réfugiés ont parfois commis des
exactions, dont un grand nombre de
pillages, à l’encontre des populations
civiles zaïroises ».

« Crimes de génocide ? »

Pour ce qui est des crimes de l’APR/
AFDL, peut-on effectivement les qualifier
de « crimes de génocide » comme le fait
le rapport ?

Comme déjà indiqué, le rapport reste très
prudent sur les qualifications. Toutefois,
on peut relever que la qualification de
génocide n’a été discutée que pour les
seuls faits concernant des Hutu, ce qui
peut apparaître un peu étrange.

La partie du rapport qui traite du génocide
commence ainsi, sans plus d’explication :
« la question du génocide à l’encontre des
Hutu a soulevé de nombreux commentaires
et demeure irrésolue jusqu’à ce jour
 ».

Le rapport n’expose donc jamais les
raisons pour lesquelles la qualification
de génocide n’est évoquée que pour les
victimes Hutu et ce silence n’est pas très
compréhensible. Pourquoi ne pas poser la
question du génocide à propos d’autres
exactions, par exemple à propos de la
persécution des Tutsi, signalée juste avant
dans le rapport comme susceptible de
relever d’une qualification de crime contre
l’humanité ? Des éléments se rapprochant
d’une intention génocidaire exprimée au
plus haut niveau de l’Etat y sont signalés
sans être discutés (§§ 497-498).

Même si les faits concernant les victimes
Hutu sont tout à fait affligeants, l’insistance
sur leur qualification semble dépasser le
simple enjeu de recensement des atrocités
– sans qu’il me soit possible d’indiquer
quel serait cet autre enjeu. Il faudrait
pour cela pouvoir notamment observer de
l’intérieur l’élaboration de ce rapport et
les consignes données à ses rédacteurs.

Quant à la pertinence de cette qualification
provisoire de génocide, il m’est impossible
de conclure, et ce n’est pas mon rôle.

J’insisterai de nouveau sur la prudence
du rapport. Il explique comment une
telle qualification de génocide pourrait
être retenue en utilisant la jurisprudence
internationale sur le sujet, en insistant sur
le nombre de victimes (« probablement
des dizaines de milliers de membres du
groupe ethnique hutu
 »), sur l’inhumanité
de la « traque » dont les réfugiés ont été
l’objet, sur l’emploi d’armes « blanches »
(en l’occurrence ce sont des marteaux
qui sont décrits), sur la récurrence des
massacres, sur le fait que les femmes et
les enfants n’ont pas toujours été épargnés,
ainsi que sur certaines déclarations lors de
« discours de sensibilisation » à l’intention
de la population (§§ 512-515).

A ce dernier égard, le rapport évoque un
cas dans lequel la population aurait été
incitée à tuer les réfugiés Hutu, qualifiés de
« cochons » par les forces armées. Le rapport
insiste ici sur la métaphore animalisante,
supposée très significative, mais qui n’est
rapportée que ponctuellement (§ 113) et
qui se base apparemment sur un « entretien
confidentiel avec l’équipe mapping du
Nord-Kivu
 » (§ 515 et note 952).

De la définition de génocide

Mais le rapport souligne également les
raisons qui pourraient plaider contre une
telle qualification de génocide.

Et ces raisons sont apparemment assez
puissantes. Elles portent d’abord sur
l’intention. Y a-t-il eu, comme l’exige
la définition du génocide, « intention de
détruire, en tout ou en partie, un groupe
national, ethnique, racial ou religieux,
comme tel
 » ? L’intention de détruire le
groupe Hutu rwandais réfugié en RDC est
difficile à établir dans la mesure où un grand
nombre de rapatriements sont organisés
– en même temps que certains massacres
sont commis.

Le nombre de rapatriés
apparaît sans commune mesure avec le
nombre de victimes des massacres. Ainsi
 : « Certains éléments pourraient faire
hésiter un tribunal à conclure à l’existence
d’un plan génocidaire, comme le fait qu’à
partir du 15 novembre 1996 plusieurs
dizaines de milliers de réfugiés hutu
rwandais, dont de nombreux survivants
d’attaques précédentes, ont été rapatriés
au Rwanda avec le concours des autorités
de l’AFDL/APR et que des centaines de
milliers de réfugiés hutu rwandais ont pu
rentrer au Rwanda avec l’assentiment
des autorités rwandaises après le
commencement de la première guerre
 » (§
517).

Il est donc délicat d’affirmer que les
autorités rwandaises souhaitaient détruire
les réfugiés hutus. Par ailleurs, dans les
massacres, le « groupe hutu » a-t-il été
ciblé en tant que groupe considéré comme
ethniquement, racialement différent ? C’est
une autre question qui se pose, même si le
rapport y insiste moins.

Les faits décrits semblent plutôt attester d’une volonté de
représailles, plutôt que d’une politique
inspirée par une croyance raciale.

Enfin, le problème de la participation
étatique se pose. En l’absence de « plan
génocidaire
 » que révèleraient les faits, les
auteurs du rapport sont, il est vrai, amenés
à s’interroger sur l’hypothèse d’actes de
génocide non ordonnés mais spontanés, en
quelque sorte. Ainsi, l’intention génocidaire
pourrait être inférée du comportement
de « certains commandants de l’AFDL/
APR
 » (§ 518). Cette hypothèse de l’acte
génocidaire spontané ou décentralisé,
que privilégie finalement le rapport, est
également susceptible de poser problème
devant un juge, même s’il est vrai que la
jurisprudence internationale n’exige pas à
ce jour très explicitement qu’une politique
sous-tende les comportements qu’elle
qualifie de génocide.

Crimes contre l’humanité

Si l’on doit vraiment insister sur le détail
des qualifications, il n’est pas non plus
évident que les actes relèveraient d’une
qualification de crime contre l’humanité,
que privilégient les premiers rapports
de l’ONU (§§ 510 et 511).

La notion de
crime contre l’humanité n’est pas tout
à fait stable. Dans le statut du Tribunal
pénal international pour le Rwanda par
exemple, il faut – pour reconnaître le crime
contre l’humanité – que la population
victime ait été ciblée pour des raisons
discriminatoires. Dans le statut de la CPI,
il faut constater l’existence d’une attaque
lancée contre une population civile, c’est
à dire « la commission multiple d’actes
(…) à l’encontre d’une population civile
quelconque, en application ou dans la
poursuite de la politique d’un Etat ou
d’une organisation ayant pour but une
telle attaque
 » (article 7.2.a.).

Crimes de guerre

La qualification de crimes de guerre est
sans aucun doute la plus immédiatement
accessible ; des crimes commis dans le
cadre de la guerre conduite par l’APR/
AFDL contre les Interahamwe/ex FAR.
D’après le rapport, les victimes n’en
furent pas que les combattants se trouvant
« hors de combat » mais également les
civils ne participant pas aux hostilités.

Des civils Hutu qui, notamment, fuyaient
les attaques militaires de leurs camps et
la guerre faite aux forces armées qui s’y
étaient parfois reconstituées.

Et voir l’article de Raphaël Doridant Pour l’OUA, difficile de sous-estimer les conséquences de la politique française

Et l’article de Raphaël de Benito sur le rapport mapping Afrique des grands lacs : un appel à la justice pour une région martyre

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 197 - décembre 2010
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