Bolloré, premier des
investisseurs français
en Afrique, et Vilgrain,
représentant de ces derniers,
n’ont de cesse de vanter les
bénéfices de leurs activités
sur le continent pour les
populations. Sauf que cellesci,
sans doute ingrates,
tentent de faire entendre
depuis quelques semaines un
autre son : celui du ventre qui
a faim, voire celui des os qui
se brisent.
Alexandre Vilgrain préside depuis
2009 le CIAN, ex-Conseil des
investisseurs en Afrique noire,
relooké en Conseil français des investisseurs
en Afrique. Sa centaine d’entreprises
adhérentes représenteraient les trois quarts
de l’activité des sociétés françaises sur
le continent, soit un chiffre d’affaires
cumulé d’environ quarante milliards
d’euros, et sont invitées à se conformer à
sa « Charte sur le développement durable »
et à sa « Déclaration sur la prévention de
la corruption ».
Aussi, Vilgrain peut-il affirmer
que « l’Entreprise, vitrine de la Nation,
est bien au coeur du développement » et
que « nous pouvons considérer que les
pays du Sud jugent les pays du Nord et en
particulier la France, bien moins sur leur
politique d’aide au développement que sur
la politique des entreprises qui investissent
localement » (Edito de La Lettre du CIAN,
novembre-décembre 2010).
Cela fait donc plutôt mauvais effet lorsque
l’association française Peuples solidaires
lance, en octobre dernier, un appel urgent en
appui à l’ONG camerounaise CODEN, qui
dénonce l’accaparement de 10 000 hectares
de terres fertiles pour doubler la superficie
de canne à sucre cultivée par Somdiaa,
le groupe d’Alexandre Vilgrain.
Les
populations locales accusent en effet
l’entreprise camerounaise qu’il détient, la
Sosucam, de les spolier de leurs terrains
contre des indemnités dérisoires, de
polluer leur environnement par l’épandage
aérien de produits phytosanitaires et par les
effluents liquides des usines, de ne presque
pas créer d’emploi local et toujours dans
des conditions de travail inacceptables...
Peuples Solidaires et les Amis de la Terre
ont enfoncé le clou le 9 novembre, en
décernant à la Somdiaa le prix Pinocchio
du Développement durable, au point que la
Somdiaa s’est fendue le lendemain d’une
réponse officielle, où elle prétend oeuvrer
au développement et réfute l’accusation
d’accaparement des terres, jurant que
la production de sucre est à destination
du marché intérieur camerounais. Un
argument fallacieux pour le CODEN, qui
rappelle qu’« en rachetant son unique
concurrent, la Sosucam s’est offert une
situation de monopole qui lui permet
tous les abus, à commencer par la vente
de son sucre à des prix inaccessibles à
la population. (…) La convention signée
entre la Sosucam et le groupe brassicole
français Castel prouve qu’une partie de
la production de la Sosucam est exportée
vers l’Europe ».
L’argumentaire vertueux
est ainsi décortiqué point par point par le
CODEN, Peuples Solidaires et les Amis de
la Terre, qui concluent : « La responsabilité
sociale de la Somdiaa doit se traduire
par des actions visant les causes et non
les conséquences du problème ».
De quoi inspirer le
prochain édito de la Lettre du CIAN ?
En juin 2010, le directeur général de la
société Bolloré, Gilles Alix, écrivait dans
un droit de réponse à Survie que « la société
anonyme Bolloré et ses filiales emploient,
au Cameroun, plus de 3 500 salariés.
Tous perçoivent des salaires largement
supérieurs aux minima légaux et bénéficient
d’une protection sociale et de services de
santé que nulle autre société implantée
au Cameroun n’est en mesure d’apporter
à ses salariés » (Billets d’Afrique n°193,
juillet 2010).
Malheureusement pour ce
groupe qui aime à se présenter comme
une « entreprise citoyenne », quatre ONG
ont déposé le 3 décembre une « plainte »
devant les points de contact nationaux de
l’OCDE pour non-respect des « principes
directeurs » édictés par cette dernière,
dans les plantations de la Socapalm,
une entreprise camerounaise d’huile de
palme contrôlée à près de 40% par le
groupe français.
Aucune condamnation
judiciaire à espérer : il s’agit uniquement
de procédures prévues dans le cadre de
« démarches volontaires », dans lesquelles
le groupe risque uniquement de se voir
invité à fournir des explications ou des
contre-arguments auprès de ces structures
de l’OCDE. S’il décide d’ignorer cette
demande, la seule chose à craindre serait
que des médias s’en emparent et que cela
nuise à son image : c’est le fameux name
and shame (nommer et faire honte), seule
réponse proposée par le marché dans
la vision libérale de la « responsabilité
sociale des entreprises ».
Les ONG ont
donc mis le paquet : la française Sherpa,
l’allemande Misereor et les camerounaises
Focarfe et CED, ont déposé cette plainte
simultanément en France, où se trouve le
siège du groupe Bolloré, et en Belgique et
au Luxembourg, les paradis fiscaux où sont
domiciliées les holdings par l’intermédiaire
desquelles le fleuron industriel de la
Françafrique engrange les bénéfices de la
Socapalm, et ont organisé une conférence
de presse.
Malgré cela, un silence
médiatique assourdissant : il semble qu’à
part France Inter, Le Monde Diplomatique
et Rue 89, aucun journaliste français n’ait
souhaité relayer l’information... A moins
que les rédactions n’aient été contactées et mises en garde sur les risques de procès
suite à la divulgation d’informations
qu’elles n’avaient pas les moyens de
vérifier ?
Même l’Agence France Presse
n’a pas fait de dépêche, attendant peut-être
de connaître la version de M. Bolloré par
souci du respect de la contradiction, suite
aux intimidations judiciaires à l’encontre
de plusieurs médias au printemps dernier ?
Ce sont en tout cas des explications qui
circulent « en off »... D’ailleurs, Afrik.com
dit avoir « tenté de recueillir la position des
responsables parisiens du groupe Bolloré
sur la question Socapalm. En vain. Une
copie du communiqué publié mardi par le
groupe nous a toutefois été adressée ». Sauf
que ledit communiqué, qui semble se borner
à dire que Bolloré « n’est pas gestionnaire,
mais seulement actionnaire minoritaire de
la Socapalm », est introuvable sur le site
internet du groupe, contrairement à ses
autres communiqués de presse.
Qu’elle qu’en soit la raison, cette omerta
médiatique est d’autant plus scandaleuse que
le non-respect des principes directeurs sont
en fait des violations flagrantes des droits
humains : emprise sur l’espace vital des
populations riveraines, pas ou peu d’emploi
pour les actifs locaux, pollution des cours
d’eau (rejets des huileries dans les rivières,
rendant l’eau impropre à la consommation,
à la pêche et à la baignade...), irrespect des
normes fondamentales du travail (sécurité et
santé au travail, sécurité lors des transports),
campements vétustes pour le logement des
travailleurs, irrespect des procédures de
négociation collective, et bien sûr un recours
massif à des sous-traitants pour avoir des
ouvriers agricoles saisonniers corvéables,
sans aucun des avantages sociaux dont se
targue M. Alix.
Mais surtout, le dossier fait état du « climat de
terreur entretenu par la société de sécurité »,
qui organise des « fouilles inopinées » des
villageois et des « descentes » chez eux
pour chercher d’éventuels régimes de noix
de palme qu’ils auraient volés (alors même
qu’ils peuvent les avoir récoltés dans leur
propre jardin de case... quand celui-ci a pu
être maintenu).
Les ONG s’appuient sur
des témoignages d’« actes de sabotage,
passages à tabac des villageois pris avec
des régimes de noix de palme, destruction
des habitations mais également des cas
de viols et de meurtres ». Elles précisent
qu’il s’agit de « la société Africa Security
Cameroun SARL. Fondée par Patrick
Turpin, un ancien officier militaire
français, elle opère comme une véritable
milice privée ».
Une véritable armée privée,
oui : développée avec le parrainage du
sinistre Jean Fochivé, ex-patron de la police
politique qui a durablement traumatisé les
Camerounais, Africa Security a compté
jusqu’à 2 500 employés, mis notamment
au service d’Elf, des groupes forestiers
et du clan Biya. Patrick Turpin, qui avait
un temps été « porteur de valises » entre
Yaoundé, Paris et Genève, avait même
réussi à obtenir un permis de port d’arme
collectif pour ses hommes...
Le communiqué que s’est procuré Afrik.
com précise : « Au sein de cette plantation,
le groupe Bolloré garantit des conditions de
travail et de sécurité à tous ses salariés ».
Pour les ouvriers en sous-traitance et les
populations riveraines, c’est moins sûr...