Survie

Côte d’Ivoire : du faux miracle au vrai chaos

(mis en ligne le 6 janvier 2011) - Odile Tobner

S’il est bien une idée fausse,
resassée par les médias à propos
de la Côte d’Ivoire, c’est celle du
« miracle ivoirien » c’est à dire
la
période des 30 premières années
de l’Indépendance sous le règne
d’Houphouët Boigny, qui aurait été
une période faste.

Il faut examiner en effet à quel point Houphouët a été une malédiction pour la
Côte d’Ivoire, on comprendra alors le chaos actuel, qui en est la conséquence
directe. On peut dire que, pendant cette période, l’argent a certes coulé à flot
mais qu’il n’en est résulté aucun développement. C’est cette conjonction vicieuse
qui constitue le cas de figure exemplaire d’un système pervers. La prospérité a
été entièrement détournée d’une part par une classe dirigeante qui s’est enrichie
de façon indécente – la fortune personnelle d’Houphouët est certainement l’une
des plus gigantesques et des plus scandaleuses d’Afrique – d’autre part par les
entreprises françaises, qui forment l’essentiel du tissu économique et rapatrient 90
% de leurs bénéfices.

Ces dizaines d’années d’enrichissement
ont laissé la
Côte d’Ivoire elle-même
dans une économie d’agriculture
intensive. Houphouët se
contentait de faire venir des
pays voisins des masses de
travailleurs pour exploiter à
bon compte les plantations
d’ananas, de café et de cacao.
Se bornant à recueillir cette
rente, il n’a guère essayé de
diversifier l’économie, ni surtout
de procurer à la Côte d’Ivoire un
tant soit peu d’indépendance
à l’égard des importations,
seule amorce pour un véritable
développement. La prospérité en trompe l’oeil, dont les Ivoiriens
n’ont jamais recueilli
que les miettes, entièrement dépendante du cours de quelques matières premières
agricoles, a vite fondu, laissant la Côte d’Ivoire aux griffes des institutions financières
internationales et dépourvue d’emplois. L’état de la Côte d’Ivoire après la disparition
d’Houphouët, bien loin de montrer rétrospectivement une quelconque efficacité de
sa gestion, comme certains le répètent à l’envi, est la preuve même de sa nocivité
dans l’absence de toute vision à long terme du développement de son pays.

Politiquement, l’échec d’Houphouët est encore plus patent. Son régime, sous des
dehors paternes, s’est montré férocement répressif contre toute contestation. Les
problèmes sociaux et politiques engendrés par son aveuglement devant la réalité
ivoirienne vont exploser après sa disparition.

Henri Konan Bédié, président de l’Assemblée nationale, succède constitutionnellement
à Houphouët, mort en décembre 1993, alors qu’Alassane Ouattara,
premier ministre, était la véritable tête de la Côte d’Ivoire depuis 1990 avec la
dégradation de l’état de santé d’Houphouët. Bédié, pour se débarrasser de
son rival Ouattara, promeut en décembre 1994 une loi électorale qui instaure la
notion d’« Ivoirité ». L’élection présidentielle de 1995, boycottée par les principaux
candidats, et précédée par de violentes manifestations qui font de nombreuses
victimes, est remportée à 96 % par Bédié.

Le 24 décembre 1999, un coup d’Etat militaire chasse Bédié du pouvoir. Le général
Gueï prend la tête du Conseil national de salut public. Il propose au référendum
une constitution qui reconduit les dispositions de l’Ivoirité, adoptée à 82 %. Il se
présente à l’élection présidentielle d’octobre alors que les candidatures de Bédié
et de Ouattara sont récusées. Laurent Gbagbo entre alors en scène. Ses partisans
descendent dans la rue pour revendiquer la victoire électorale. On est parti pour
dix années de troubles avec, à partir de 2002, la partition de la Côte d’Ivoire, dont
le nord est occupée par la rébellion militaire des Forces nouvelles.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 198 - Janvier 2011
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