Survie

KAMERUN ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique

(mis en ligne le 21 mars 2011) - Odile Tobner

Ce livre, fruit de quatre années de
travail et dont on attendait la parution
depuis janvier 2010, apporte une
contribution très importante à l’histoire
de la décolonisation française. Depuis un
demi-siècle une lourde chape de silence a
enseveli l’histoire du Cameroun, livrée à la
seule désinformation officielle. C’est cette
chape qui est levée avec cette parution.

Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa : KAMERUN ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique 1948-1971. 740 pages, La Découverte, janvier 2011, 25 euros.

En
effet, en face de la désinformation, il n’y
avait que les affirmations des victimes,
qui émergeaient ça et là, méprisées par
les tenants de la propagande, baptisée
histoire.

Il fallait ce travail méticuleux,
minutieusement documentée, pour décrire
enfin les longues années d’une atroce guerre
de répression, menée par la France au fond
de l’Afrique tropicale, pour détruire l’UPC
(Union des Populations du Cameroun).

Au départ il y a la légitime revendication
nationale des Camerounais, celle d’un
territoire sous tutelle de l’ONU, portée
par la grande figure de Ruben Um Nyobe,
qui ira à New York à la tribune de l’ONU
l’exprimer clairement. Le gouvernement
français fait tout pour empêcher puis pour
déconsidérer cette parole.

Ensuite l’UPC,
le mouvement fondé par Um Nyobe, de
harcèlements en provocations, est interdit
par le Haut Commissariat français au
Cameroun, qui réussit ainsi à exclure cette
force politique essentielle de la marche vers
l’indépendance. L’ONU confiera cependant
à la France l’organisation de la transition
vers l’indépendance.

Réduit à la clandestinité, pourchassé, l’UPC
est acculé à la lutte armée. Il faudra de longues
années, avant et après l’indépendance,
d’une véritable guerre coloniale, avec son
cortège d’atrocités, pour venir à bout de
ce mouvement populaire qui comptera des
milliers de combattants. Plusieurs régions
du Cameroun seront alors ravagées. Le pays
des Bassa et celui des Bamiléké. Le nombre
de morts reste une grande inconnue. André
Blanchet, alors journaliste au Monde, dont
la rédaction est hostile à l’UPC, parlera de
120 000 morts.

L’enquête présente le bilan de recherches
dans les archives gouvernementales françaises
et camerounaises, celles de la rébellion
ayant évidemment disparu en quasi totalité.
S’y ajoutent des entretiens avec les ultimes
témoins survivants. On voit alors émerger
un tableau effrayant de ce que le Cameroun
a vécu en ces années de feu.

Alors que le gouvernement camerounais,
successivement celui de Ahmadou Ahidjo
puis de son adjoint Paul Biya, a tout fait pour
priver les Camerounais de leur mémoire,
faisant interdire en France, en 1972, par
le ministre de l’Intérieur, à l’incitation de
Foccart, le seul écrit qui levait le voile, Main
basse sur le Cameroun de Mongo Beti,
ce lourd document de plus de 700 pages
fournira aux Camerounais l’occasion de se
réapproprier leur histoire niée, pour pouvoir
sortir de la situation de peuple zombie qui
a fait d’eux les victimes décervelées de
cinquante ans de dictature néocoloniale.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 198 - Janvier 2011
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