Les soulèvements populaires, inattendus mais pourtant prévisibles, qui ont chassé les dictateurs Ben Ali de Tunisie et Moubarak d’Égypte, ont mis en lumière certains des aspects honteux des relations des politiques français avec des régimes réputés corrompus et tortionnaires. Il ne s’agit pas, comme l’a dit Sarkozy, des liens diplomatiques nécessaires avec les autres pays quels qu’ils soient, il s’agit d’une familiarité criminelle établie par nos gouvernants avec des chefs infréquentables de pays pauvres.
Ainsi les dernières vacances de la famille Fillon en Égypte resteront dans l’histoire comme un sommet de l’indignité. Que notre Premier ministre ait accepté ce cadeau poissant de la sueur des pauvres et du sang des torturés, nous inflige une indicible honte.
Les piteuses explications données par François Fillon, à savoir qu’il ne pouvait refuser cette gratification sans offenser un État étranger, sont à la fois risibles et méprisables. Assimiler en effet la diplomatie française à ces compromissions qui amènent la France à être l’obligée des pouvoirs les plus notoirement corrompus, on peut difficilement tomber plus bas.
Nicolas Sarkozy aurait paraît-il recommandé à ses ministres de passer désormais leurs vacances en France. Il était pourtant lui-même, fin décembre 2010, en villégiature privée au Maroc, qui n’est pas un parangon de respect des Droits de l’homme. C’est s’exposer à établir des liens de connivence avec un pouvoir qu’on pourrait être amené à devoir blâmer au nom de « nos valeurs ».
Il paraît qu’il y a une décadence de la France du point de vue diplomatique. L’inconvénient est que ceux qui la déplorent sont ceux qui y contribuent le plus. Le Canard enchaîné du 16 février révèle l’existence d’un certain Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed) financé et coprésidé par le milliardaire tunisien ami de Michèle Alliot-Marie. L’ancienne ministre socialiste Elisabeth Guigou en préside le comité de parrainage, et son mari est délégué général de l’Ipemed. Hubert Védrine et Alain Juppé, siègent également dans ce machin certainement plus rémunérateur qu’utile, qui parasite la diplomatie française. Hubert Védrine et Alain Juppé ont été responsables des relations extérieures de la France respectivement comme secrétaire général de l’Élysée près d’un Mitterrand malade et comme ministre des Affaires étrangères pendant le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, accompli par le régime qu’ils protégeaient. On peut penser qu’ils ne sont pas la meilleure enseigne pour la diplomatie de la France.
Rompre avec des dictateurs déchus, voler au secours de la victoire, n’est pas un grand titre de gloire pour la France. On aimerait qu’elle ait conscience de son indignité avant qu’elle n’éclate au grand jour. Juppé et Rocard en chantres de Biya président à vie du Cameroun, Toubon en thuriféraire de Sassou Nguesso président inamovible du Congo Brazzaville, contribuent puissamment à ruiner l’image de la France dans des pays qui subissent des pouvoirs appuyés sur la force des armes.
Il y a les politiques, qui se chargent d’abaisser le prestige de la France par leurs complaisances pour des pouvoirs criminels, il y a aussi le personnel diplomatique fidèle reflet des lâchetés et des connivences des politiques.
Attendre d’être démis pour révéler les vices de la diplomatie française, comme l’a fait Jean-Christophe Rufin, notre ancien ambassadeur à Dakar, dont on n’ose penser qu’il ignorait tout du système françafricain, apparaît plus comme du dépit que du courage politique, qui aurait consisté à refuser cette charge flatteuse ou en tout cas à rompre dès qu’il a eu conscience de ce qu’on attendait de lui.
L’ambassadeur de France en Tunisie Pierre Ménat, vilipendé pour avoir affirmé la solidité du pouvoir de ben Ali au moment de son effondrement, ne faisait que dire ce qu’on avait envie d’entendre. Son successeur a fait mieux. Boris Boillon, nommé le 16 février, n’a pas attendu 48 heures pour se montrer en blanc-bec arrogant morigénant la presse tunisienne, au point de devoir présenter honteusement des excuses. Après le lieutenant-colonel Romuald Létondot, il donne l’image récurrente de l’attitude détestable et anachronique des officiels français en Afrique.
La diplomatie française peut-elle entrer dans l’Histoire ?