Survie

Blaise Compaoré bientôt dégagé ?

(mis en ligne le 6 juin 2011) - Bruno Jaffré

Le Burkina Faso est dans la tourmente depuis quelques semaines alors que la rue gronde. Plusieurs villes se sont embrasées tandis que les premiers appels à la démission de Compaoré ont été lancés.

Tout allait bien jusqu’ici pour Blaise Compaoré. Proclamé « homme de paix » dans la région par les réseaux françafricains, il a été propulsé médiateur de différents conflits dans la région avec le soutien actif de l’ONU et des Etats-Unis. Sollicité également comme négociateur pour libérer les otages aux mains d’AQMI, il accueillait récemment les troupes françaises en charge de la lutte contre le terrorisme. Signe de l’attention que lui accorde la France, c’est en invité choyé qu’il avait assisté au défilé du 14 juillet 2010, installé entre Nicolas Sarkozy et François Fillon.

Mais depuis quelques mois, les nuages s’accumulent au dessus de son nouveau et somptueux palais présidentiel. L’accord dont il est en grande partie à l’origine, signé en Côte d’Ivoire, ayant permis les élections, a en réalité mené le pays au bord de la guerre civile. Blaise Compaoré est le seul des cinq chefs d’Etat du panel mis en place par l’Union africaine, à ne plus pouvoir y mettre les pieds. Persona non grata, accusé ouvertement d’avoir favorisé la rébellion, il ne joue désormais qu’un rôle mineur dans la recherche d’une solution. Tout récemment, son nom a été accolé à celui de Kadhafi, tous deux impliqués dans la guerre au Sierra Leone.

Une situation intérieure explosive

Mais ce n’est pas tout. Son pays, le Burkina, vient d’être atteint d’une violente poussée de fièvre. On ne peut d’ailleurs que regretter le silence des médias de notre pays, plus prompts à rapporter les révoltes dans les pays arabes que celles du précarré francophone. Certes Blaise Compaoré vient d’être officiellement élu président à 80% des votants avec l’aval d’un quarteron de pseudo observateurs européens. En réalité, la participation a atteint à peine plus 50%, sachant qu’à peu près la moitié des électeurs potentiels ne se sont pas inscrits sur les listes électorales. Plus grave, suite à une plainte de l’opposition, un tribunal administratif a déclaré les cartes d’électeurs illégales faute de la mention de la date de naissance. Dans un pays où les homonymes sont nombreux, il ne s’agit pas d’un détail.

Le Conseil constitutionnel a certes déclaré le tribunal incompétent mais ne l’a pas vraiment désavoué sur le fond.

Blaise, le mal élu, n’a pas donc attendu plus de trois mois avant d’affronter la colère de sa jeunesse. Le 20 février, Justin Zongo, un collégien de la ville de Koudougou décède « des suites d’une méningite » selon les autorités. Cette nouvelle va entraîner un déferlement de colère dans les rues de la ville avec l’incendie de nombreux bâtiments. Pour les jeunes, pas de doute Justin est mort de suites de sévices subis dans les locaux de la police. Quatre autres collégiens et un mécanicien vont trouver la mort suite à la répression, probablement par balles, à Koudougou et dans deux autres villes de la région, mais aussi un policier, lynché par les élèves.

Trop de crimes impunis !

De nombreuses autres villes du pays vont s’embraser à leur tour. Des rues noires de monde, des foules surexcitées provoquant la mise à sac puis l’incendie de nombreux commissariats de police, bâtiments administratifs et locaux du parti au pouvoir.

Le gouvernement va bien annoncer des sanctions contre le gouverneur et le chef de la police… Rien n’y fait.

Il faudra attendre le 11 mars pour que les étudiants de Ouagadougou manifestent à l’appel de leur organisation syndicale, l’ANEB. Face à l’expression d’un véritable ras le bol de la jeunesse, le pouvoir tente de trouver des boucs émissaires. Le pouvoir va arrêter quelques membres du MBDHP ou des leaders du mouvement pour les interroger mais personne n’est dupe. Pour éviter que le mouvement ne s’étende, le pouvoir ferme et évacue sans préavis les lycées et les universités avançant les dates des vacances.

Le 19 mars la Coordination de la coalition nationale de lutte contre la vie chère, la corruption, la fraude, l’impunité et pour les libertés (CCVC), qui rassemble des syndicats et des organisations de la société civile tient un meeting à la bourse du travail. Il se fait largement écho au mouvement des jeunes contre l’impunité. Un mot d’ordre de grève général et de manifestations est lancé pour le 9 avril. Les événements vont se précipiter dans la nuit du 22 au 23 février : des soldats de deux camps de Ouagadougou se répandent dans la ville, pillants commerces et stations de service. Pendant près de cinq heures, ils vont faire crépiter leurs armes. Ils protestent contre la condamnation de plusieurs des leurs qui avaient roué de coups un homme qui avait fait la cour à la fiancée de l’un d’entre eux ! Signe de l’inconsistance de la hierarchie, les militaires condamnés sont libérés le lendemain.

Cette fois, ce sont les commerçants, qui manifestent le lendemain contre les militaires. Puis c’est au tour des syndicats de l’ensemble des professions de justice de décréter une grève pour s’opposer à la libération de ces militaires et exiger le respect des décisions de justice. Le 29 mars, c’est à Fana N’Gourma que les militaires descendent en ville et tirent une roquette sur le palais de justice.

C’est la quatrième fois depuis 2006 que de tels mouvements de soldats incontrôlés se produisent au Burkina. Cette déliquescence d’une partie de l’armée, mise à part la sécurité présidentielle et quelques régiments d’élite, n’a pas empêché Blaise Compaoré de distribuer une moisson de promotions pour les officiers supérieurs de son armée. Afin d’éviter certainement des défections en cas de révolte populaire comme cela s’est produit récemment dans plusieurs pays arabes. Jusqu’ici, les partis politiques avaient publié plusieurs déclarations fustigeant le pouvoir et l’impunité et exprimant leur solidarité avec la jeunesse. Mais le 25 mars, Bénéwendé Sankara, président du principal parti sankariste décide d’aller plus loin en réclamant clairement « la démission pure et simple de Blaise Compaoré. » C’est désormais le régime lui-même qui est mis en cause. Blaise sera-t-il « dégagé » ou bien arrivera-t-il à conserver les pouvoir usant de la force ou de manoeuvres politicofinancières dont il est passé maître ?

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 201 - Avril 2011
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