Le 7 avril 2011 marque le dix-septième anniversaire du déclenchement du génocide des Tutsi au Rwanda. Aucun procès n’a pourtant encore eu lieu en France contre des présumés génocidaires.
Aujourd’hui encore, la place de certains responsables politiques ou militaires français dans le puzzle de cette histoire doit être connue. Des citoyens, des journalistes, des chercheurs tentent depuis dix-sept ans de faire la lumière sur ces faits et se heurtent à des dénégations ou à des poursuites émanant de témoins ou d’acteurs de cette époque.
Chaque année depuis 2006, un collectif de citoyens publie une revue, La Nuit rwandaise, présentant leur travail d’enquête sur l’implication des autorités françaises dans ce génocide. En août 2008, ils relaient le communiqué du ministre de la Justice rwandais rendant publiques les conclusions de la Commission Mucyo « chargée de faire la lumière sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsi de 1994 ». Cette commission a réalisé une synthèse des travaux de recherche existants et recueilli de nombreux témoignages. Ce travail l’a amenée à dresser une liste de personnalités françaises « les plus impliquées dans le génocide ».
Le collectif de La Nuit rwandaise est aujourd’hui inquiété par une plainte pour diffamation concernant la simple reproduction de ce communiqué sur son site internet. Cette plainte, de la part de certains des protagonistes cités dans ce communiqué, constitue une entrave à la liberté d’information des citoyens français : le document incriminé pourrait en effet leur permettre de mieux connaître cette page sombre de l’histoire de notre pays.
Cette entrave à la liberté d’information est d’autant plus anormale que les conclusions du rapport Mucyo corroborent celles des travaux de la Commission d’enquête citoyenne sur l’implication de la France au Rwanda, initiée en 2004 par Survie, la Cimade, l’OBSARM et l’Aircrige. Cette commission avait conclu à de lourds soupçons de complicités politiques, militaires et financières et en appelait à la justice française et internationale (TPIR).
En janvier 2010, un groupe de citoyens bordelais a organisé un rassemblement devant l’hôpital de Villeneuve-sur-Lot pour attirer l’attention sur Sosthène Munyemana, un médecin rwandais qui y exerce. Cet homme est recherché par Interpol depuis 2006 et il a été condamné à la prison à vie au Rwanda, pour sa participation au génocide des Tutsi. Les manifestants entendaient s’opposer à l’inertie des autorités françaises qui ont attendu le 20 janvier 2010 pour s’emparer de ce cas, alors que le médecin réside dans la région bordelaise depuis la fin de l’année 1994. En 1995, une plainte avait pourtant été déposée contre lui pour « tortures et mauvais traitements » puis « crime de génocide ».
Aujourd’hui, ces militants sont assignés par Sosthène Munyemana pour « atteinte à la présomption d’innocence », pour les messages qui auraient été diffusés lors de cette manifestation. Une pétition sur survie.org est disponible en soutien à ces citoyens qui luttent pour l’avancée de la justice pour les victimes du génocide.
Le 15 juin 2010, les avocats du CPCR, Collectif des parties civiles pour le Rwanda, ont déposé auprès du doyen des juges d’instruction de Toulouse une plainte avec constitution de partie civile à l’encontre de Joseph Habyarimana, domicilié à Muret, pour crime de génocide. De manière tout à fait étrange et incompréhensible pour les victimes, cette plainte est restée longtemps sur le bureau des juges sans qu’il soit possible de savoir ce qu’il en advenait. Nous avons appris que ce dossier a été transmis au procureur adjoint depuis un mois et que ce dernier devrait saisir la Cour de cassation, toutes les affaires concernant le génocide perpétré au Rwanda devant être transférées au TGI de Paris selon une ordonnance de 2001. Qui peut comprendre une telle inertie de la part de la justice française ?
Alors que nous nous apprêtons à commémorer le génocide des Tutsi au Rwanda pour la dix-septième année, aucun procès n’a encore eu lieu en France contre des présumés génocidaires. Cette situation est intolérable pour tous ceux qui attendent que justice leur soit rendue. « Les victimes de la barbarie humaine ont le droit de voir leurs bourreaux poursuivis et condamnés […]Les personnes suspectes de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité doivent être jugées. Elles le seront ». (Kouchner et Alliot-Marie, Le Monde du 6 janvier 2010). Des propos tenus à la légère ?
Si les instances qui sont habilitées à rendre justice mettent si peu d’empressement à traiter les dossiers, il faut légitimement dénoncer cette inertie qui ressemble étrangement à une volonté délibérée de ne pas juger.
Le cas de Joseph Habyarimana n’est qu’un exemple insupportable parmi d’autres de l’indifférence avec laquelle sont traitées ces affaires. Combien de temps encore les victimes du génocide perpétré au Rwanda en 1994 devrontelles subir de tels affronts ? Les rescapés ne demandent que la justice.