Survie

Dix-sept ans après le génocide, l’omerta toujours de mise

(mis en ligne le 6 juin 2011) - Billets d’Afrique et d’ailleurs...

Le 7 avril 2011 marque le
dix-septième anniversaire du
déclenchement du génocide
des Tutsi au Rwanda. Aucun
procès n’a pourtant encore
eu lieu en France contre des
présumés génocidaires.

Aujourd’hui encore, la place de
certains responsables politiques ou
militaires français dans le puzzle
de cette histoire doit être connue. Des
citoyens, des journalistes, des chercheurs
tentent depuis dix-sept ans de faire la
lumière sur ces faits et se heurtent à des
dénégations ou à des poursuites émanant
de témoins ou d’acteurs de cette époque.

Chaque année depuis 2006, un collectif
de citoyens publie une revue, La Nuit
rwandaise
, présentant leur travail
d’enquête sur l’implication des autorités
françaises dans ce génocide. En août 2008,
ils relaient le communiqué du ministre de
la Justice rwandais rendant publiques les
conclusions de la Commission Mucyo
« chargée de faire la lumière sur le rôle
de la France dans le génocide des Tutsi
de 1994
 ». Cette commission a réalisé une
synthèse des travaux de recherche existants
et recueilli de nombreux témoignages.
Ce travail l’a amenée à dresser une liste
de personnalités françaises « les plus
impliquées dans le génocide
 ».

Le collectif de La Nuit rwandaise est
aujourd’hui inquiété par une plainte
pour diffamation concernant la simple
reproduction de ce communiqué sur son
site internet. Cette plainte, de la part de
certains des protagonistes cités dans
ce communiqué, constitue une entrave
à la liberté d’information des citoyens
français : le document incriminé pourrait
en effet leur permettre de mieux connaître
cette page sombre de l’histoire de notre
pays.

Cette entrave à la liberté d’information est
d’autant plus anormale que les conclusions
du rapport Mucyo corroborent celles des
travaux de la Commission d’enquête
citoyenne sur l’implication de la France
au Rwanda, initiée en 2004 par Survie, la
Cimade, l’OBSARM et l’Aircrige. Cette
commission avait conclu à de lourds
soupçons de complicités politiques,
militaires et financières et en appelait à la
justice française et internationale (TPIR).

Le cas Munyemana

En janvier 2010, un groupe de citoyens
bordelais a organisé un rassemblement
devant l’hôpital de Villeneuve-sur-Lot
pour attirer l’attention sur Sosthène
Munyemana, un médecin rwandais qui
y exerce. Cet homme est recherché par
Interpol depuis 2006 et il a été condamné
à la prison à vie au Rwanda, pour sa
participation au génocide des Tutsi. Les
manifestants entendaient s’opposer à
l’inertie des autorités françaises qui ont
attendu le 20 janvier 2010 pour s’emparer
de ce cas, alors que le médecin réside
dans la région bordelaise depuis la fin
de l’année 1994. En 1995, une plainte
avait pourtant été déposée contre lui pour
« tortures et mauvais traitements » puis
« crime de génocide ».

Aujourd’hui, ces militants sont assignés
par Sosthène Munyemana pour « atteinte
à la présomption d’innocence
 », pour les
messages qui auraient été diffusés lors
de cette manifestation. Une pétition sur
survie.org est disponible en soutien à ces
citoyens qui luttent pour l’avancée de la
justice pour les victimes du génocide.

Une plainte de 2010 toujours pas instruite !

Le 15 juin 2010, les avocats du CPCR,
Collectif des parties civiles pour le
Rwanda, ont déposé auprès du doyen
des juges d’instruction de Toulouse une
plainte avec constitution de partie civile
à l’encontre de Joseph Habyarimana,
domicilié à Muret, pour crime de
génocide. De manière tout à fait étrange et
incompréhensible pour les victimes, cette
plainte est restée longtemps sur le bureau
des juges sans qu’il soit possible de savoir
ce qu’il en advenait. Nous avons appris
que ce dossier a été transmis au procureur
adjoint depuis un mois et que ce dernier
devrait saisir la Cour de cassation, toutes
les affaires concernant le génocide perpétré
au Rwanda devant être transférées au TGI
de Paris selon une ordonnance de 2001.
Qui peut comprendre une telle inertie de
la part de la justice française ?

Alors que nous nous apprêtons à commémorer le génocide des Tutsi au
Rwanda pour la dix-septième année,
aucun procès n’a encore eu lieu en France
contre des présumés génocidaires. Cette
situation est intolérable pour tous ceux
qui attendent que justice leur soit rendue.
« Les victimes de la barbarie humaine
ont le droit de voir leurs bourreaux
poursuivis et condamnés
[…]Les
personnes suspectes de génocide, de
crimes de guerre et de crimes contre
l’humanité doivent être jugées. Elles le
seront
 ». (Kouchner et Alliot-Marie, Le
Monde
du 6 janvier 2010). Des propos
tenus à la légère ?

Si les instances qui sont habilitées à rendre
justice mettent si peu d’empressement à
traiter les dossiers, il faut légitimement
dénoncer cette inertie qui ressemble
étrangement à une volonté délibérée de
ne pas juger.

Le cas de Joseph Habyarimana n’est
qu’un exemple insupportable parmi
d’autres de l’indifférence avec laquelle
sont traitées ces affaires. Combien de
temps encore les victimes du génocide
perpétré au Rwanda en 1994 devrontelles
subir de tels affronts ? Les rescapés
ne demandent que la justice.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 201 - Avril 2011
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