Survie

Général Didier Tauzin : Rwanda : je demande justice pour la France et ses soldats

(mis en ligne le 26 avril 2011) - Jean-François Dupaquier

L’ouvrage, tout juste paru, du général
Didier Tauzin est un plaidoyer pour
le rôle de la France – et surtout de
l’armée française - au Rwanda entre 1990
et 1994, rôle qu’il estime incompris, voire
outrageusement stigmatisé. Didier Tauzin,
alors colonel, était intervenu à deux reprises
au Rwanda : quelques semaines en févriermars
1993 pour contrer l’offensive du
FPR, dans le cadre de l’opération secrète
Chimère (dite aussi « Birunga ») en marge
du dispositif « Noroît », et encore quelques
semaines (entre juin et juillet 1994) lors de
l’opération Turquoise pour « sécuriser » la
frange sud-ouest du Rwanda.

Le récit qu’apporte Didier Tauzin sur les
événements qu’il a vécus, surtout en 1993,
est précis et intéressant sur les faits, toujours
exalté et souvent incohérent sur les analyses.
Nous faisons référence aux pages 61 à 88
du manuscrit pour l’opération Chimère de
1993, et 105 à 148 pour Turquoise. Soit au
total quelque 70 pages sur un court ouvrage
de 196 pages sans compter les annexes.
Les informations avancées renouvellent
et approfondissent la connaissance des
deux épisodes, vus du côté des militaires
français. Ce ne sont malheureusement
que des brèves parties d’un projet qui
vise à répondre aux critiques sur le rôle
de la diplomatie et de l’armée française
au Rwanda. Dans cette perspective,
l’ouvrage de Didier Tauzin devient luimême
essentiellement polémique. N’ayant
pas l’art du pamphlétaire, l’auteur laisse
apparaître de nombreuses faiblesses,
comme la volonté d’en découdre avec le
journaliste Patrick de Saint-Exupéry et
son livre Complices de l’inavouable, où
Didier Tauzin est épinglé. Si le militaire
a été blessé par les critiques, il en fait une
véritable obsession et s’affaiblit d’autant.
Nourrir la polémique sur le rôle de la
France de François Mitterrand au Rwanda
n’était pas en soi un mauvais projet. Mais
d’autres militaires ont déjà pris la plume
pour défendre la même cause que Didier
Tauzin : le colonel Jacques Hoggard avec
Les Larmes de l’honneur, un petit livre
bien écrit publié en 2005 (Ed. Poche), et
le général Lafourcade avec Opération
Turquoise
en 2010 (Ed. Perrin), beaucoup
plus primaire.

La version du général Tauzin du génocide
des Tutsi de 1994 (il écrit généralement
« génocide » entre guillemets) ne peut
qu’embarrasser les défenseurs du rôle de
l’armée française au Rwanda, notamment
en raison de considérations plutôt approximatives,
voire naïves, sur un prétendu
atavisme Tutsi, sur les colonisations
successives du Rwanda, etc., qui échappent
visiblement à son entendement.

Son préfacier Jean-Dominique Merchet,
par ailleurs journaliste à Marianne, en est
bien conscient qui prévient : « A la fois
témoignage et coup de gueule, il faut le lire
pour ce qu’il est. Les spécialistes de l’histoire
et de l’anthropologie du Rwanda trouveront
sans doute à y redire, ici ou là. Qu’importe !
Didier Tauzin n’a pas écrit un livre savant,
désincarné. C’est d’un homme dont il s’agit,
pur produit de l’armée française telle qu’elle
est, avec ses grandeurs et ses naïvetés
 ».

Ce « déminage » préliminaire ne suffira pas
à légitimer l’ouvrage. L’armée française
dont se réclame Didier Tauzin, et avant lui
l’ensemble des protagonistes de l’association
« France Turquoise », n’a aujourd’hui que
faire de ces vieilles badernes qui ressassent
un cuisant échec, militaire mais surtout
politique, au Rwanda.

Dans un éclair de lucidité, le général Didier
Tauzin observe que les dégâts provoqués
par l’équipée française au Pays des Mille
Collines ont été immenses : « Elle a depuis
lors perdu la confiance des Africains et
perdu sa confiance en elle-même en politique
africaine. Elle n’est plus qu’un acteur
marginal de la scène africaine, un second
rôle, souvent un figurant… quand elle est
présente.
 » Dommage qu’il faille attendre les
dernières pages pour trouver une observation
sensée, qui contredit l’essai hagiographique
qu’on aura lu précédemment. A l’exception
de ces quelques lignes qui lui auront
échappé, le général Didier Tauzin apparaît
comme un va-t-en-guerre aux idées courtes,
ce qui a limité la fin de sa carrière à une
pénible ascension au grade de général dans
les soupentes du ministère de la Défense,
loin du Rwanda et de ses mirages…

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