Survie

Al-Qaida, le Tchad et la France en Libye

(mis en ligne le 8 mai 2011) - Raphaël de Benito

Al-Qaida au Maghreb
islamique (Aqmi) avait
disparu de nos écrans
radars tout le temps des
mouvements des pays du
Maghreb pour réapparaitre
curieusement lors de la
guerre en Libye.

Dans son dernier numéro, Billets
d’Afrique
se faisait l’écho
de l’interview d’Idriss Déby

(Jeune Afrique du 28 mars) niant
toute aide militaire à Kadhafi. Hostile
à l’intervention en Libye et comme
justification implicite de cette aide,
le président tchadien, « sûr à 100% »,
agitait opportunément le spectre « des
islamistes d’Al-Qaïda qui ont profité
du pillage des arsenaux en zone rebelle
pour s’approvisionner en armes, y
compris en missiles sol-air
 ». Au point
de transformer le groupuscule d’un
petit millier de combattants d’Aqmi
en « l’armée la mieux équipée de la
région
 ». Rien de moins.

Etonnant alors que les insurgés libyens
eux-mêmes, qui ont pris d’assaut les
arsenaux de l’armée manquent de moyens,
que les principaux dépôts d’armes et
de munitions ont été bombarbés dans
les premiers jours de l’insurrection par
l’aviation de Kadhafi.

Une affirmation retrouvée dans le
Canard enchainé du 30 mars qui cite
cette fois les services français. Ceux-ci
« assurent (…) qu’Aqmi a déjà récupéré
plusieurs missiles sol-air pour leur
usage futur
(…).

Une autre source sécuritaire, jamais
avare d’une manipulation quant au péril
islamiste, criait aussi au loup courant
avril : la sécurité algérienne reprenant
la propagande grossière de Kadhafi sur
la déstabilisation de son pays par les
groupes radicaux islamistes.

Plus mesurés et surtout moins
catégoriques, l’amiral américain James
Stavridis, commandant des forces alliées
en Europe (Saceur), ainsi que l’Otan,
indiquaient qu’ils avaient détecté des
« signes » de présence possible de
militants d’Al-Qaïda ou du Hezbollah
dans les rangs des rebelles libyens
(L’express, 18 avril). Enfin, le 29 avril,
les chefs d’état-major du Mali, du Niger
et d’Algérie, ainsi que le chef d’état-major
adjoint de la Mauritanie étaient
réunis à Bamako pour renforcer la lutte
contre l’insécurité due aux activités
d’Aqmi dans la bande sahélienne mais
Aqmi en Lybie n’était pas au menu des
discussions….

Curieusement, l’interview de Déby
intervient après le veto catégorique,
début mars, par le ministère français des
affaires étrangères sur une commande
des autorités tchadiennes de trente
véhicules de l’avant blindés (VAB) et
fourgons dédiés à la lutte anti-émeute,
(Lettre du Continent, 24 mars).

Paris avait surtout menacé de détruire,
d’après la lettre d’information spécialisée
dans le domaine de la défense
ttu.fr, une colonne de 110 véhicules
transitant, fin mars, vers la Libye avec
équipement et mercenaires à destination
des forces loyalistes.

Tensions franco-tchadiennes

Car avec ses moyens militaires au
Tchad et la proximité de ses services
de renseignements « qui coopèrent
avec leurs homologues tchadiens et
les estiment
 » (Le Canard enchaîné,
30 mars), la France n’ignore rien de
l’aide militaire fournie par Déby à
son parrain Kadhafi. Ce n’est donc
pas le moindre des paradoxes de voir
les renseignements des deux pays
communiquer en stéréo sur la présence
d’Aqmi en Libye.

Toujours selon ttu.fr (30 mars), citant
plusieurs services de renseignements,
« le président tchadien et le Guide
libyen ont été en communication
constante depuis le début des hostilités.
Deby aurait chargé son frère Daoussa,
ambassadeur tchadien à Tripoli, l’attaché
militaire de l’ambassade, le
général Mohamed Bechir Sawa (alias
Chaouich), et le général Bichara Bob
Mahamat Adam de coordonner l’aide
aux forces de Kadhafi
 ». Ce que disait
déjà Ali Zeidan, porte-parole de la Ligue
libyenne des Droits de l’homme
 : « Il y
a près de 25 000 mercenaires en Libye,
mais tous n’ont pas encore été déployés.
Ils sont dirigés par deux généraux
tchadiens aux ordres de l’ambassadeur
du Tchad en Libye, Daoussa Deby,
le propre frère du président tchadien
Idriss Deby
 ». « Deby est au centre des
récriminations du Conseil national
libyen qui ne cesse de dénoncer, auprès
de la communauté internationale, l’engagement
de l’armée nationale tchadienne
(ANT) dans le conflit libyen. La France
a jusque-là manoeuvré pour ne pas
exposer sa marionnette tchadienne à la
face du monde. Mais il y a une limite
à ne pas franchir surtout lorsque cette
communauté internationale se retrouve
dans une impasse et cherche même à
intervenir au sol
. » (tchadonline, 16
avril 2011).

Idriss Deby a donc fait rapatrier daredare
à Ndjamena ses principaux généraux
pour les exhiber à la presse et assurer
ainsi qu’ils n’étaient pas engagés sur le
terrain libyen. Car s’il perd son parrain
libyen, grand fournisseur d’armes du
continent, Deby a tout intérêt à ne pas
fâcher son parrain français alors qu’il
serait menacé d’être inscrit sur la « liste
noire » officieuse des Nations unies de
dirigeants ayant soutenu le Guide libyen.
De là à dénoncer la quatrième réélection
fraduleuse de Déby le 25 avril, il y a un
pas que Paris ne franchira pas.

Ibni Oumar Saleh, la déclassification ?

Jean-Pierre Sueur, sénateur du Loiret,
et son ami Gaëtan Gorce, député de
la Nièvre, se battent depuis plusieurs
années pour obtenir la déclassification
des documents diplomatiques et militaires
français relatifs à la disparition
de l’opposant tchadien Ibni Oumar
Mahamat Saleh en février 2008. En
séance du 26 avril dernier au Sénat,
le ministre de la Coopération Henri
de Raincourt a répondu que, « sur le
principe
 », le ministère des Affaires
étrangères « n’y a pas d’objection »,
et que « [leurs] services s[eraie]nt en
train de rassembler les documents pour
faire droit à [sa] demande
 ».
Qu’en est-il des documents concernant
le ministère de la Défense ? La
Commission consultative du secret de
la défense nationale (CCSDN) a-t-elle
émis un avis sur ces derniers ? Doit-on
prendre cette déclaration ministérielle
obtenue de longue lutte par ces deux
élus au pied de la lettre ?

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 202 - Mai 2011
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