Survie

Le symbole d’une justice reprise en main ?

(mis en ligne le 6 juin 2011) - Alice Primo

Vendredi 29 avril, la Cour
d’appel de Paris a fini
d’enterrer l’un des plus
grands scandales politicojudiciaires
français, centré
sur des ventes d’armes
à destination de l’Angola
pendant la guerre civile.
Pour le plus grand bonheur
des investisseurs français
dans ce pays...

En première instance, on avait pu
être agréablement surpris par la
lourdeur des peines prononcées
contre les hommes d’affaires Pierre
Falcone et Arcadi Gaydamak et leurs
complices, ou encore l’indéboulonnable
Charles Pasqua. Indéboulonnable, car ce
dernier avait prévenu qu’il ne tomberait pas
tout seul : multipliant grandes déclarations
sur la nécessaire levée du secret défense
et pseudo-révélations, il avait envoyé un
signal clair qu’il n’accepterait pas de jouer
le rôle de fusible. Message parfaitement
reçu par l’exécutif, qui peut se réjouir
du verdict prononcé en appel : « Même
les avocats de la défense ont eu l’air
surpris que la cour leur accorde une telle
victoire
 », note la chroniqueuse au Monde
Pascale Robert-Diard.

Un argumentaire absurde

Exit la condamnation de Falcone et de
Gaydamak pour trafic d’armes, la cour
ayant considéré qu’ils étaient mandatés par
l’état angolais, et que « l’immunité doit être
reconnue aux personnes qui ont accompli,
en qualité d’agent de l’Etat, un acte de
puissance publique et qui ont agi par ordre
et pour le compte de l’Etat
 ». Même lorsque
ce pays en guerre civile est sous embargo,
donc, et « même si la personne concernée
n’est investie d’aucune fonction permanente
dans l’appareil étatique
 » : les trafiquants
d’armes ont de beaux jours devant eux, avec
un argumentaire pareil !

Exit également la condamnation pour trafic
d’influence, qui avait justement valu à
Pasqua d’écoper d’un an de prison ferme
pour avoir bénéficié de financements
politiques en l’échange de son entremise
pour obtenir que Gaydamak soit décoré de
la Légion d’honneur : pour la cour d’appel,
cette décoration était normale (irait-elle
jusqu’à considérer que la libération des deux
pilotes français otages en Bosnie en 1995,
dans laquelle Gaydamak a joué un rôle qui
lui valut officiellement cette décoration,
n’a rien de trouble ?...), et si cela s’est
produit concomitamment à d’étranges flux
financiers, c’est tout-à-fait fortuit ! Si Pasqua
est soulagé, ceux qui étaient la cible de ses
menaces doivent l’être tout autant...

Il ne reste que les chefs d’accusation d’abus
et de recel de biens sociaux : une broutille au
regard de ce scandale qu’est l’Angolagate,
qui vaut aux intéressés qui s’étaient pourvus
en appel des peines de prison ridicules, que
la plupart ont déjà effectuées en détention
provisoire. Ainsi Pierre Falcone, condamné
à trente mois de prison ferme au lieu des six
ans prononcés en première instance, est-il
désormais libre. Arcadi Gaydamak, quant à
lui, avait fui la justice française bien avant le
début du procès.

Une justice aux ordres

Ces condamnations devraient être définitives :
on voit mal le Parquet se pourvoir en
cassation, quand on se souvient de ses diverses
manoeuvres, régulièrement relayées
par Billets
d’Afrique
, pour entraver ce procès.

Le Parquet ne faisait en cela qu’exécuter la
volonté du gouvernement français, soucieux
de préserver de bonnes relations avec le
pays détenant les plus grandes réserves
pétrolières connues en Afrique. Christian
Pers, le président de la cour d’appel de
Paris, avait su faire face à ces manoeuvres,
exaspérant l’exécutif français... qui l’avait
promu à la Cour de cassation début
novembre. Promotion opportune, puisque
cela permit de placer le procès en appel
sous la présidence d’Alain Guillou, juste
deux mois avant son ouverture. Dans
son ouvrage « Le Justicier, enquête sur
un président au-dessus des lois
 », paru
en janvier 2011 et qui s’intéresse au
rapport de Nicolas Sarkozy à la justice, la
journaliste de l’AFP, Dorothée Moisan,
écrivait : « Aurait-on cherché un juge
plus compréhensif ? En tout cas, Alain
Guillou, qui a été nouvellement désigné,
est présumé être un magistrat à l’échine
plus flexible.
 » Il vient cette fois-ci de le
démontrer.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 202 - Mai 2011
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