Survie

Optimisation fiscale et iniquité Total

(mis en ligne le 6 juin 2011) - Alice Primo

Depuis deux ans, le
groupe pétrolier Total
continue d’engranger des
bénéfices records, sans
pour autant payer d’impôt
sur les sociétés, pour le
plus grand bonheur de
ses actionnaires... et au
détriment des peuples, en
Afrique comme en France.

Pour la deuxième année
consécutive, le groupe Total
ne paiera pas d’impôt sur les
sociétés en France au titre de l’année
2010 (Mediapart, 6 avril 2011).
Résultat de la crise ? Mauvaise année
pour le premier groupe français ? Pas
vraiment, puisque le groupe annonce
les meilleurs bénéfices du CAC40, avec
ses 10,5 milliards d’euros, et prévoit
de verser la bagatelle de 5,2 milliards
d’euros de dividendes à ses actionnaires.
Cette magie des chiffres est labellisée
par le ministère des finances, qui
renouvelle régulièrement l’agrément
du groupe pour un régime fiscal
dérogatoire utilisé par une poignée de
multinationales, le « bénéfice mondial
consolidé » : le bénéfice sur lequel est
calculé l’impôt sur les sociétés est sensé
tenir compte des résultats financiers
de l’ensemble des filiales du groupe.
En clair, l’enregistrement de déficits
dans certaines filiales étrangères ou
l’impôt payé par elles permettent de
minorer l’impôt de la société mère en
France. Ainsi, plus la multinationale
dépense via ses filiales à l’étranger,
et moins elle paiera d’impôt via sa
société mère en France, ce qui fait
qualifier ce système de « subvention
déguisée à des groupes investissant à
l’étranger
 » par la journaliste Martine
Orange. En outre, toute la subtilité
réside dans le périmètre considéré pour
la multinationale : « L’ensemble » des
filiales prises en compte par le fisc,
sur la base de la déclaration de Total,
correspond-il réellement à l’ensemble
des filiales ou entités économiques que
contrôle le groupe ?

Car techniquement, rien ne l’empêche
« d’oublier » des filiales enregistrées dans
certains territoires, et donc d’y transférer
artificiellement des bénéfices pour les
soustraire à l’impôt. Pour le savoir, il
suffirait de contraindre les multinationales
à déclarer territoire par territoire (le
« reporting pays ») les bénéfices réalisés,
une idée défendue par nombre d’ONG
mais qui fait face à de puissants lobbies
(lire ci-après).

Si elle est particulièrement criante
ici, cette injustice n’est pas nouvelle,
ni même limitée au géant pétrolier
français : sur leurs quatre-vingt-six
milliards d’euros de profits cette
année, les entreprises du CAC40 n’ont
finalement supporté qu’un taux moyen
d’imposition de 8% au lieu des 33%
théoriquement prévus (soit un manque
à gagner net d’environ 20 milliards
d’euros pour les finances publiques
françaises,
auquel il faut ajouter les
quelques dizaines de milliards d’euros
d’impôts qu’évitent les grandes fortunes
individuelles par le truchement de
défiscalisations, illicites ou non),
pendant
que les PME, moins douées
pour « l’optimisation fiscale », supportaient
un taux moyen de 20%.
Quant au travailleur sans-papier qui a
fui son pays dont « le pétrole ne coule
pas pour les pauvres » (lire ci-contre),
il continue de payer ses cotisations et
taxes en France, et de constituer « un
coût insupportable » pour la société
aux yeux de certains.

« Congo-Brazzaville : le pétrole ne coule pas pour les pauvres »

Rapport du Secours Catholique, février
2011, 25 p.

Fin février, le Secours Catholique
publiait, en collaboration avec l’ONG
Rencontre pour la Paix et les Droits
de l’Homme (RPDH) et la Commission
Justice et Paix de Pointe Noire, une
synthèse sur la gestion de la manne
financière liée à l’exploitation du
pétrole au Congo-Brazzaville.
Sans concession, le rapport détaille
notamment les pertes pour le peuple
congolais lors des différentes étapes
du cycle du brut (attribution des
permis, production, transport, commercialisation...),
un or noir qui ne
profite qu’à l’élite proche du pouvoir
et aux compagnies étrangères.
Extraits choisis : « Production pétrolière
en 2010 : environ 350 000 barils/jour
(…). Le budget demeure largement
dépendant
des recettes pétrolières
qui représentent 85,7 % des recettes
totales en 2008. (…) La quasi-totalité
de la production de pétrole au Congo
est assurée par des compagnies
pétrolières étrangères (la SNPC n’a
exploité, en 2006, que 22 000 barils par
jour, soit environ 9% de la production
totale du pays).
TotalFinaElf est le premier investisseur
étranger et le principal producteur
de pétrole au Congo (en 2007, sa
production
s’est élevée à 77 000
barils/jour). L’italien ENI, deuxième
producteur de pétrole au Congo, a
renforcé sa présence avec le rachat,
en mai 2007, des actifs détenus par la
compagnie française Maurel et Prom.
Les grandes compagnies américaines,
Exxon Mobil et Chevron Texaco, sont
aussi présentes sur le territoire. (…)
En pratique, sur cent barils produits,
quinze reviennent à l’État congolais
au titre de la redevance, cinquante
vont à l’opérateur pour rembourser
ses investissements et les 35 barils
restants (le profit oil) sont partagés
équitablement entre le pays et
l’opérateur. Ainsi, l’État reçoit environ
34 barils et son contractant 66. (…)
Selon des audits réalisés par le cabinet
KPMG dans le cadre du programme
PPTE, le partage des gains pétroliers
serait largement défavorable à l’Etat
congolais. Entre janvier et juin 2003,
celui-ci n’aurait encaissé que 179
milliards de FCFA sur les 328,5 milliards
qui lui revenaient, réduisant sa part à
18% au lieu des 33% acquis sous le
régime Lissouba. (A titre comparatif,
le Nigeria touche 50 à 70% de part
et l’Angola 40 à 75%). A ce jour,
les clauses de confidentialité qui
demeurent en vigueur dans les
contrats pétroliers dispensent les
compagnies Total et ENI de publier ce
type d’information pour le Congo. (…)
Les banques françaises BNP-Paribas,
Société générale et Crédit agricole
ont joué un rôle incontestable dans le
surendettement du Congo.
 »

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 202 - Mai 2011
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