Mise à jour le 12 juillet 2011, suite à une précision du service de presse du groupe Bouygues, à lire ici : Bouygues & Bouygues.
Comment la France va
céder une partie de la dette
ivoirienne aux patrons
français.
Les chiffres des promesses d’aide
au développement à la Côte d’Ivoire donnent le tournis. Dès la
mise à l’écart de Gbagbo, la Commission
européenne annonçait 180 millions d’euros
d’aide pour rétablir le pays et le gouvernement
français mettait 400 millions sur la table.
Cette dernière enveloppe comprend trois
parties : les salaires de mars et avril des
fonctionnaires ivoiriens, le règlement
d’une grosse facture d’eau et d’électricité à
Bouygues et l’apurement des arriérés de la
Côte d’Ivoire auprès de la Banque africaine
de développement et de la Banque mondiale.
Un coup de pouce qui devrait aider le pays à
atteindre, d’ici à un an, le point d’achèvement
de l’initiative Pays pauvres très endettés
(PPTE).
Une fois cette étape franchie,
l’Agence française de développement
(AFD) mettra en œuvre un contrat de
désendettement et de développement (C2D).
« Celui-ci sera d’un montant sans précédent
puisqu’il dépassera les 2 milliards » fanfaronnait Nicolas Sarkozy, le 21 mai,
devant les expatriés français.
Quelques
explications vont permettre de comprendre
qu’il s’agit du surendettement ivoirien, dont
le remboursement viendra en grande partie
alimenter des projets dont bénéficieront les
entreprises françaises expatriées.
Deux milliards d’euros, c’est en fait le
montant faramineux de l’endettement
ivoirien au titre de l’aide publique au
développement française. Car, comme
un certain nombre d’organisations le
dénoncent depuis longtemps, l’APD est,
en elle-même, génératrice de dette et de
détournements. Au plus grand profit des
élites politico-économiques françafricaines,
au plus grand malheur des populations
qui subissent le fardeau d’une dette
contractée par des gouvernements successifs
irresponsables, illégitimes et corrompus.
L’époque de Konan Bédié (1994-1999)
reste emblématique du détournement massif
de l’aide au développement. Quant au
mécanisme du C2D, soyons clair, il ne s’agit
nullement d’annulation de dette ! C’est un
« refinancement par dons de créances d’aide
publique au développement » – admirez
le langage technique.
Concrètement, les
Ivoiriens vont devoir régler ces deux milliards
d’euros de dette à l’état français, selon un
calendrier établi. A chaque échéance, le
montant remboursé sera alloué, via l’AFD
et le budget ivoirien, à un projet visant à
réduire la pauvreté. Que les grands groupes
français se rassurent, pour le gouvernement
français, l’objectif de réduction de la
pauvreté a une acception extrêmement large
puisqu’elle comprend, outre l’éducation et
la santé, les équipements, les infrastructures,
l’aménagement du territoire et même la
gestion des ressources naturelles !
Une fois décodée, l’annonce présidentielle
signifie : « Les Ivoiriens doivent deux
milliards d’euros à la France. Ils paieront ces
deux milliards d’euros. Vous, chers patrons
français, serez les destinataires prioritaires
de cet argent, via le budget ivoirien. »
Il n’en reste pas moins que le C2D ivoirien
est loin devant ses équivalents. A titre de
comparaison, celui du Cameroun est de
537 millions d’euros. Quel que soit le langage
employé, le message est bien passé. Ce PDG
français, d’une société installée en Côte
d’Ivoire depuis 1969, en témoigne - vidéo
du 21 mai, sur le site de l’Elysée : « Nous
sommes très contents du nouveau président
parce qu’on sait que lui, il va nous amener de
l’argent. Et puis c’est un homme d’affaires
qui avait déjà été Premier ministre et il avait
été très bien quand il était Premier ministre
de M. Houphouët, alors nous sommes très
heureux. Toute la communauté européenne
est très heureuse que ce soit M. Ouattara qui
ait pris le pouvoir. »
Pour ne pas mettre à mal l’impatience des
opérateurs économiques français, d’ici à deux
mois, François Fillon ira à Abidjan finaliser
l’octroi de cent millions d’euros de prêts
bonifiés de l’AFD aux PME françaises.
Fort de ses relations transatlantiques,
Ouattara, qui était au G8 de Deauville,
demande beaucoup plus : « La Côte
d’Ivoire a besoin de 15 à 20 milliards
d’euros pour les cinq prochaines années.
C’est l’évaluation de mon programme. Je
souhaite donc que ce soit une confirmation
de l’appréciation de la démocratie en Côte
d’Ivoire. Il faut réduire la pauvreté, il faut
faire sortir la Côte d’Ivoire de cette longue
période d’agonie économique et réconcilier
les Ivoiriens. Il y a un prix à payer et je
compte sur le G8 pour le faire, dans le
cadre d’un partenariat. [...] Le président
Nicolas Sarkozy a promis un programme
de désendettement-développement de deux
milliards d’euros, bien sûr je demanderai un
peu plus au président (américain) Obama. »
(Europe 1, 27 mai).