Le général Didier Tauzin
paie de sa personne depuis
la sortie de son ouvrage,
Rwanda, je demande justice
pour la France et ses soldats.
Une tournée promotionnelle
à travers toute la France
d’après les articles, souvent
critiques, de la presse
régionale.
Récemment, c’est à Bayonne, au siège du Premier RPIMA, devant
un public clairsemé, qu’il a
donné une conférence sur l’engagement
militaire français au Rwanda. Un
régiment qu’il connaît bien puisqu’il y a
été chef de corps du 12 décembre 1992
au 28 juillet 1997.
La tournée de Tauzin est surtout
l’occasion d’identifier les principaux
éléments de son argumentation lorsqu’il
s’agit de « sauver l’honneur de la France
et de son armée ». On laissera de côté,
les inepties habituelles sur l’atavisme
prétendu des « Tutsi et Hutu qui se vouent
une haine ancestrale » qui « interdisait
l’utopie d’une réconciliation » comme
s’il s’agissait de deux groupes ethniques
différents. Affirmation abrupte qui
n’est pas différente de celle émise à
l’occasion de son audition devant la
Mission d’information parlementaire en
1998 : « Les Tutsi sont, par nature, des
guerriers, ce qui n’est pas le cas des
Hutu ».
Des considérations étonnantes
pour quelqu’un qui a été auditeur à
l’Institut des hautes études de Défense
nationale et conseiller militaire du
président Pierre Buyoya au Burundi.
« Si la France a commis une faute dans
cette guerre du Rwanda, c’est bien à ce
moment-là, en s’abstenant d’intervenir
dès le 7 avril pour arrêter les massacres.
Mais elle n’est pas la plus coupable,
et de beaucoup ! Plus coupables,
tous les pays qui ont tout fait pour
empêcher la France d’intervenir ! Plus
coupables surtout, ceux qui ont exécuté,
commandité, organisé et planifié ces
massacres, bien sûr ! Mais il reste à les
désigner précisément, car, contrairement
à ce qui est répété à l’infini, les vrais
coupables ne sont pas désignés, comme le
confirment les travaux du Tribunal pénal
international pour le Rwanda qui, à ce
jour, a relaxé tous les Hutus présentés
comme les cerveaux du génocide ».
C’est un des principaux arguments de Tauzin,
répété à longueur d’interview et qui lui
sert de démonstration pour exclure toute
complicité de la France : le Tribunal
pénal international pour le Rwanda
(TPIR) n’a pas reconnu la planification
du génocide.
Mais le TPIR n’a pas seulement
condamnés la plupart des accusés pour
« génocide », il a bel et bien condamné
certains d’entre eux pour « entente en
vue de commettre le génocide ». Et
non des moindres, puisqu’il s’agit de
l’ancien Premier ministre du GIR, Jean
Kambanda, et de l’ancien ministre de
l’Information, Eliézer Niyitegeka. La
planification du génocide des Tutsi est
donc reconnue par le tribunal.
Quant à la complicité des autorités
françaises, elle ne se limite pas à la
période de sa préparation (octobre 1990
– 6 avril 1994). C’est pendant le génocide
lui-même, une fois le massacre des Tutsi
déclenché, que nos dirigeants se sont
entêtés dans une alliance avec ceux qui
le perpétraient, jusqu’à les évacuer au
Zaïre pendant l’opération Turquoise,
après qu’ils eurent été finalement vaincus
par les troupes du FPR.
L’opération Amaryllis (évacuation
des Français et des Européens par des
militaires français) s’est déroulée dans
un contexte marqué par « l’élimination
des opposants et des Tutsi », comme
en fait état son ordre d’opération
daté du 8 avril 1994. Signataire de la
convention de 1948 sur la prévention
et la répression du crime de génocide,
la France était tenue d’enjoindre à ses
troupes présentes sur place de s’opposer
aux massacres.
Le gouvernement français n’a cependant
nullement enjoint à nos soldats de secourir
les victimes. Au contraire, il a donné
l’ordre de ne pas montrer aux médias
« des soldats français n’intervenant pas
pour faire cesser des massacres dont
ils étaient les témoins proches ». Et il a
fait livrer des armes aux Forces armées
rwandaises (FAR) dans la nuit du 8 avril,
comme en ont témoigné des officiers de
la MINUAR (Mission des Nations unies
d’assistance au Rwanda).
Le 21 avril 1994, la France, membre
permanent du Conseil de sécurité de
l’ONU, a, comme les autres grandes
puissances, voté la réduction drastique du
contingent de Casques bleus, abandonnant
les Rwandais tutsi à leur sort tragique. Mais
nos dirigeants ont fait pire : le 27 avril 1994,
les plus hautes autorités françaises ont reçu
à Paris deux des extrémistes hutu les plus
virulents, responsables du génocide en
cours : Jérôme Bicamumpaka, ministre des
Affaires étrangères du GIR, et Jean-Bosco
Barayagwiza.
Ils sont accueillis à l’Elysée par Bruno
Delaye, conseiller Afrique de François
Mitterrand, et à Matignon par Edouard
Balladur, Premier ministre, et Alain Juppé,
ministre des Affaires étrangères. La France
reconnaissait ainsi de fait le Gouvernement
intérimaire rwandais, couverture politique
du génocide. Elle a été le seul pays
occidental à le faire.
Du 9 au 13 mai 1994, le lieutenant-colonel
Rwabalinda, conseiller du chef d’Etat-major
des FAR, qui encadraient le génocide, a
rencontré à Paris le général Jean-Pierre
Huchon, chef de la Mission militaire de
coopération. Pendant toute la durée du
génocide, ce même général Huchon a
reçu régulièrement le colonel Kayumba,
directeur du service financier du ministère
rwandais de la Défense. Celui-ci a organisé
six livraisons d’armes aux tueurs entre le
18 avril et le 19 juillet 1994.
Le 22 mai 1994, devant l’avancée des
troupes du FPR, le président rwandais
par intérim, Théodore Sindikubwabo,
adresse une lettre à François Mitterrand :
« Le Peuple Rwandais Vous exprime ses
sentiments de gratitude pour le soutien
moral, diplomatique et matériel que vous
lui avez assuré depuis 1990 jusqu’à ce jour.
En son nom, je fais encore une fois appel à
Votre généreuse compréhension et à celle
du Peuple Français en vous priant de nous
fournir encore une fois Votre appui tant
matériel que diplomatique. »
A cette date, au moins un demi-million de
Tutsi a déjà été massacré au Rwanda...
Comment le chef d’un Etat en train de
commettre le crime des crimes a-t-il pu
se sentir autorisé à solliciter l’aide de la
France ? Est-ce en réponse à cette demande
que le président Mitterrand trouve urgent, à
la mi-juin 1994, d’intervenir afin de mettre
fin aux massacres, alors qu’il n’avait pas
jugé bon de le faire en avril ?
C’est le moment où Didier Tauzin
revient au Rwanda, prêt à en découdre à
nouveau avec le FPR, comme il le déclare
ouvertement. La Zone humanitaire sûre
créée par l’opération Turquoise à l’ouest
du Rwanda est immédiatement utilisée
comme refuge par les auteurs du génocide,
en passe d’être défaits militairement par le
FPR.
Face à cette situation, l’ambassadeur
Yannick Gérard envoie un télégramme
à Paris le 15 juillet 1994 en indiquant :
« [...] dans la mesure où nous savons
que les autorités portent une lourde
responsabilité dans le génocide, nous
n’avons pas d’autre choix, quelles que
soient les difficultés, que de les arrêter ou
de les mettre immédiatement en résidence
surveillée en attendant que les instances
judiciaires internationales compétentes se
prononcent sur leur cas. »
Les responsables et les auteurs du génocide
(soldats des FAR, miliciens...) présents
dans la Zone humanitaire sûre mise en
place par Turquoise n’y sont pas arrêtés.
Au contraire, ils sont laissés libres d’aller
se réfugier au Zaïre, impunément, avec
armes et bagages.
Le numéro d’octobre
1994 de la revue de la Légion étrangère,
Képi blanc, écrit même que « l’état-major
tactique [de Turquoise] provoque et
organise l’évacuation du gouvernement
rwandais vers le Zaïre ». Le colonel
Théoneste Bagosora, principal artisan du
génocide, avait déjà été évacué par nos
soldats début juillet.
La fuite des génocidaires au Zaïre,
orchestrée par les Français, est à la
racine de la tragédie congolaise, qui
a fait plusieurs millions de victimes.
« On peut difficilement sous-estimer
les conséquences de la politique
française. La fuite des génocidaires au
Zaïre engendra, ce qui était presque
inévitable, une nouvelle étape plus
complexe de la tragédie rwandaise et
la transforma en un conflit qui embrasa
rapidement toute l’Afrique centrale ».
Ainsi s’exprimait, en 2000, le groupe
international d’éminentes personnalités
auteur du rapport de l’Organisation
de l’Unité Africaine (OUA) intitulé
Le génocide qu’on aurait pu stopper
(§15.85).
Alors le comble du cynisme est atteint
quand Didier Tauzin prétend rendre le
FPR responsable des six millions de
morts des Grands Lacs (au Rwanda
et au Congo Kinshasa) parce que ce
mouvement a déclenché la guerre de
1990.
Des événements historiques d’une
telle magnitude qu’un génocide et deux
guerres sont la résultante du jeu de
multiples acteurs.
Mais de même qu’on
peut affirmer que la France pouvait,
entre 1990 et avril 1994, empêcher le
génocide en retirant son soutien au régime
Habyarimana, elle pouvait, en arrêtant ses
auteurs à l’été 1994, prévenir l’explosion
de l’Afrique des Grands Lacs.