Avec le Burkina et son industrie cotonnière comme cheval de Troie, les industries biotechs mènent une offensive massive pour imposer les OGM en Afrique de l’Ouest. A terme, l’Europe sera encore davantage isolée dans son refus des semences « made in Monsanto ». Etat des lieux et des complicités.
L’agriculture du Burkina Faso représente environ 20% du PIB et occupe plus de 80% de la population active. Le coton y a une place primordiale : avec 500 000 tonnes produites par plus de 350 000 cotonculteurs et faisant vivre directement près de 3 millions de personnes, il contribuait pour 60% aux recettes d’exportation du pays jusqu’au boom minier récent sur l’or, matière première qui vient de le détrôner dans les statistiques nationales. Cela ne signifie pas que les cotonculteurs burkinabé partagent cette richesse : la baisse tendancielle et les soubresauts des cours internationaux, couplés aux aléas climatiques locaux et aux scandales récurrents dans la filière (insecticides fournis sans effet, engrais inadaptés, récolte non collectée avant les pluies suivantes, etc.) ont grandement contribué à la paupérisation des paysans.
Depuis la vague de privatisation de la plupart des sociétés publiques burkinabé, la production cotonnière est structurée autour de trois sociétés cotonnières du pays (la Sofitex, la Socoma et Fasocoton), qui maintiennent l’approche intégrée selon laquelle cette culture a été développée : elles fournissent ainsi intrants (semences, traitements, engrais) et encadrement technique à crédit, achètent la production cotonnière et commercialisent graines et fibre après la phase d’égrenage.
Après une phase d’expérimentation officielle de cinq ans, la Sofitex et la Socoma ont développé depuis 2008 la culture commerciale de coton Bt, génétiquement modifié pour produire lui-même un pesticide contre certains ravageurs (la toxine de la bactérie Bacillus thuringiensis). Ce développement est appuyé par l’Institut national de l’environnement et de la recherche agronomique (INERA), partenaire de Monsanto dans la conception de la variété génétiquement modifiée utilisée, et de la puissante Union nationale des producteurs du Burkina Faso (UNPCB), créée artificiellement en 1998 à l’initiative des autorités pour disposer d’un interlocuteur censé représenter les producteurs.
Depuis 2008, les producteurs sont donc fortement incités à opter pour des semences de coton GM, qu’on leur présente comme un moyen de réduire fortement leurs coûts de production (la production de pesticide par la plante devant leur permettre de faire des économies de main-d’oeuvre et de produits phytosanitaires en diminuant les traitements) et d’augmenter leur production. L’information sur les droits de propriété à payer pour ces semences est partielle, et, selon le Syntap, le coût de la semence fournie à crédit atteindrait 54 000 F CFA/ha (deux sacs de semences) contre 1 600 F CFA/ha les campagnes précédentes (deux sacs à 800 F CFA), et 10 500 F CFA cette campagne (le prix de la semence conventionnelle ayant été considérablement augmenté, sans doute pour réduire l’écart avec celui de la semence OGM).
Les arguments évoqués par les promoteurs du coton Bt sont contredits par l’expérience : d’après les paysans, les récoltes de coton Bt au Burkina ne montrent aucune différence significative de rendement (voire des rendements inférieurs en poids selon de nombreux témoignages : le coton Bt donnerait des fruits avec plus de fibres et des graines plus petites et moins nombreuses, donc un poids inférieur pour une quantité de fibre équivalente ou supérieure – or, les producteurs sont payés au poids !) et Monsanto a reconnu récemment l’apparition chez des chenilles de résistances au coton Bt utilisé en Inde.
En outre, les témoignages se multiplient sur la défiance des paysans vis-à-vis du coton Bt, qui, outre le prix des semences et ce problème de poids, évoquent des problèmes de santé et d’environnement (dont des intoxications du bétail après consommation de feuilles ou tiges).
Les alternatives et la liberté de choix sont maigres pour les cotonculteurs : la production de coton bio, 500 à 1000 tonnes par an au Burkina Faso, est cantonnée à des zones prédéterminées en dehors desquelles il leur est impossible de s’engager dans cette filière, la seule possibilité de refuser les OGM est donc de continuer à réclamer des semences conventionnelles ou d’abandonner cette production.
La production de coton Bt ne cesse de gagner du terrain, au point que l’Agence française de développement table pour cette saison sur un emblavement des 2/3 des surfaces cotonnières. Une telle progression, en seulement quatre campagnes, révèle une forte volonté politique de développer voire imposer cette culture, et laisse imaginer la propagande qui l’accompagne.
Si le coton passe pour une culture « non alimentaire » (la production principale, la fibre, étant destinée à l’industrie textile ; les graines sont cependant pressées pour produire de l’huile très consommée localement), qui peut favoriser le développement des OGM par une simple présentation optimiste sur le plan économique, les projets en cours sur les biotechnologies dans la région concernent également des cultures vivrières stratégiques.
Des expérimentations de niébé (un haricot) transgénique censé produire un pesticide contre un insecte ravageur sont ainsi en cours dans le pays. Cette culture est consommée par près de 200 millions de personnes sur le continent, et cultivée sur plus de 12,5 millions d’hectares de savanes sèches d’Afrique tropicale selon la Fondation africaine pour les technologies agricoles (AATF), un des nombreux lobbies africains pro-OGM qui ont vu le jour ces dernières années et qui s’impliquent sur le projet aux côtés de Monsanto et des autorités burkinabé.
Africa harvest biotech foundation international (AHBFI), une « ONG » dirigée par une ancienne cadre de Monsanto, coordonne quant à elle le projet « du sorgho biofortifié en Afrique » (ABS), financé par la fondation Bill et Melinda Gates. Ce projet vise à développer un sorgho génétiquement modifié, prétendument pour remédier au taux important d’anémie chez les populations pauvres. Le sorgho, aliment de base d’environ 300 millions de personnes en Afrique, est en effet jugé trop faible en certains minéraux, vitamines et autres éléments nutritifs : on nous vend donc encore une fois l’idée que le progrès technologique peut remédier à un problème d’ordre politique, celui de la malnutrition, liée à la misère, et donc au pillage.
Parmi les partenaires impliqués dans le projet, on retrouve des partenaires institutionnels publics comme l’Université de Californie (Berkeley, États-Unis) et l’Institut international de recherche sur les cultures pour les tropiques semi-arides (Icrisat), la coopération états-unienne avec l’Usaid et l’USDA, mais également des lobbies comme Crop Life International (qui représente les firmes de l’agrochimie comme Monsanto, Bayer, ou encore des financeurs privés et Syngenta..), Europabio et Africabio, ou encore des financeurs privés et prétendument philanthropes comme la fondation Rockfeller et la Fondation Gates.
On aurait donc tort de s’inquiéter.
Selon le Conseil Ouest et Centre africain pour la recherche et le développement agricole (CORAF/WECARD), la première phase d’expérimentation couvre la période 2007-2011, uniquement au Burkina Faso, et la seconde phase serait une « vulgarisation programmée au Mali, au Ghana, au Nigeria et au Togo ».
Le Burkina Faso, état docile, n’est en somme qu’une porte d’entrée des OGM en Afrique de l’Ouest.
Le projet de sorgho biofortifié d’Africa Harvest est financé par la fondation Bill et Melinda Gates dans le cadre des « Grand Challenges in Global Health », mais la coopération publique des États-Unis n’est pas en reste. En 2008, le Burkina Faso a en effet signé avec les Etats- Unis son « Compact », c’est-à-dire une convention sur cinq ans dans le cadre du Millenium Challenge Corporation (MCC), une structure privée voulue par le président Georges W. Bush pour gérer tout un pan de l’aide humanitaire américaine en dehors des cadres habituels de la coopération publique.
La très pertinente ONG Grain écrivait à son propos, en 2010 : « [Le MCC a] son propre président et un conseil d’administration lequel, tout en rendant des comptes au Congrès et en incluant le ministre des Affaires étrangères, le ministre de l’Économie et des Finances, le représentant américain au Commerce et l’administrateur de l’Usaid, [comprend] aussi quatre représentants du secteur privé. (...) La politique du MCC est sans complaisance et ressemble à un programme d’ajustement structurel. Le MCC dispose d’un large budget (que le Congrès a augmenté sous l’administration Obama : + 26 % en 2010). L’argent est versé sous forme de subventions, et non pas de prêts, à ceux des pays que le MCC considère comme des candidats acceptables : une belle carotte qu’on agite pour attirer les pays. Cependant même pour devenir candidat à ce financement, un pays doit d’abord passer un test MCC avec des points : ce test tient compte de critères tels que « pays encourageant le libéralisme économique » et est fondé sur des indices provenant d’institutions néo-libérales comme la Banque mondiale, la Fondation Héritage et le Front monétaire international (FMI). Si un pays marque suffisamment de points, il peut alors être promu par le MCC au stade “threshold” (pré-compact) qui lui donne accès à des sommes modiques, ce qui va lui permettre de mettre en place les réformes structurelles que le MCC estime nécessaires pour accéder à l’éligibilité complète. Une fois qu’il a passé tous les obstacles, un pays peut alors passer au stade suivant, c’est-à-dire mettre au point et signer avec le MCC un “Compact” qui spécifiera quatre ou cinq projets donnant droit au financement MCC. (...) Quand le Compact a été approuvé, l’argent commence à être versé. Toutefois la source peut se tarir rapidement, si le gouvernement prend une direction qui déplaît à Washington ».
Si le lien de causalité directe ne peut pas être établi entre l’ouverture générale du pays aux biotechnologies américaines, notamment le coton Bt de Monsanto, et la signature du Compact, les détracteurs des OGM s’interrogent néanmoins depuis 2008 sur la concomitance des deux, et sur les pressions qui ont pu accompagner l’octroi des aides états-uniennes...
La coopération française n’est pas nécessairement étrangère, ou tout du moins écartée de ce processus. Jusqu’en 2008, c’est la société publique française Dagris (ex-Compagnie française de développement des textiles, CFDT) qui détenait un tiers des parts de la principale société cotonnière du pays, la Sofitex, fer de lance du développement du coton Bt, et contrôlait à 90% la Socoma, l’autre société cotonnière engagée dans la culture de coton GM.
Bien que cette société ait été privatisée et rebaptisée Géocoton en 2008 (un consortium français détenu à 51% par le groupe Advens du franco-libano- sénégalais Abbas Jabber et à 49% par la CMA-CGM du Marseillais Jacques Saadé), l’Agence française de développement (AFD) continuait d’en détenir 14% jusqu’en février 2010 : les autorités françaises ont donc été largement impliquées dans le développement de la culture de coton Bt au Burkina Faso, comme décideur (à la Socoma) ou co- décideur (à la Sofitex) jusqu’en 2008, puis comme actionnaire minoritaire via l’AFD jusqu’en 2010.
A l’occasion de la venue en France d’Ousmane Tiendrébéogo, secrétaire général du Syntap (Syndicat national des travailleurs de l’agropastorale), petit syndicat paysan burkinabé farouchement opposé aux OGM, un rendez-vous a été demandé mi-juin auprès d’une demi-douzaine d’ingénieurs de l’AFD impliqués dans la filière coton ou sur le suivi du Burkina Faso, pour évoquer cette question sensible : à ce jour, l’AFD n’a même pas accusé réception de cette demande, se murant dans un silence méprisant.