Survie

Compaoré livre les paysans ouest-africains à Monsanto...

(mis en ligne le 11 juillet 2011) - Thomas Noirot

Avec le Burkina et son
industrie cotonnière
comme cheval de Troie, les
industries biotechs mènent
une offensive massive pour
imposer les OGM en Afrique
de l’Ouest. A terme, l’Europe
sera encore davantage
isolée dans son refus
des semences « made in
Monsanto
 ». Etat des lieux et
des complicités.

L’agriculture du Burkina Faso
représente environ 20% du PIB et
occupe plus de 80% de la population
active. Le coton y a une place primordiale :
avec 500 000 tonnes produites par plus
de 350 000 cotonculteurs et faisant
vivre directement près de 3 millions de
personnes, il contribuait pour 60% aux
recettes d’exportation du pays jusqu’au
boom minier récent sur l’or, matière
première qui vient de le détrôner dans les
statistiques nationales. Cela ne signifie pas
que les cotonculteurs burkinabé partagent
cette richesse : la baisse tendancielle et
les soubresauts des cours internationaux,
couplés aux aléas climatiques locaux et
aux scandales récurrents dans la filière
(insecticides fournis sans effet, engrais
inadaptés, récolte non collectée avant les
pluies suivantes, etc.) ont grandement
contribué à la paupérisation des paysans.

Depuis la vague de privatisation de la
plupart des sociétés publiques burkinabé,
la production cotonnière est structurée
autour de trois sociétés cotonnières du
pays (la Sofitex, la Socoma et Fasocoton),
qui maintiennent l’approche intégrée selon
laquelle cette culture a été développée :
elles fournissent ainsi intrants (semences,
traitements, engrais) et encadrement
technique à crédit, achètent la production
cotonnière et commercialisent graines et
fibre après la phase d’égrenage.

Après une phase d’expérimentation
officielle de cinq ans, la Sofitex et la
Socoma ont développé depuis 2008
la culture commerciale de coton Bt,
génétiquement modifié pour produire
lui-même un pesticide contre certains ravageurs (la toxine de la bactérie Bacillus thuringiensis). Ce développement est appuyé
par l’Institut national de l’environnement
et de la recherche agronomique (INERA),
partenaire de Monsanto dans la conception
de la variété génétiquement modifiée
utilisée, et de la puissante Union nationale
des producteurs du Burkina Faso (UNPCB),
créée artificiellement en 1998 à l’initiative
des autorités pour disposer d’un interlocuteur
censé représenter les producteurs.

Depuis 2008, les producteurs sont donc
fortement incités à opter pour des semences
de coton GM, qu’on leur présente comme
un moyen de réduire fortement leurs coûts
de production (la production de pesticide
par la plante devant leur permettre de
faire des économies de main-d’oeuvre et
de produits phytosanitaires en diminuant
les traitements) et d’augmenter leur
production. L’information sur les droits
de propriété à payer pour ces semences
est partielle, et, selon le Syntap, le coût
de la semence fournie à crédit atteindrait
54 000 F CFA/ha (deux sacs de semences)
contre 1 600 F CFA/ha les campagnes
précédentes (deux sacs à 800 F CFA), et
10 500 F CFA cette campagne (le prix
de la semence conventionnelle ayant été
considérablement augmenté, sans doute
pour réduire l’écart avec celui de la
semence OGM).

Les arguments évoqués par les promoteurs
du coton Bt sont contredits par l’expérience
 : d’après les paysans, les récoltes de
coton Bt au Burkina ne montrent aucune
différence significative de rendement
(voire des rendements inférieurs en poids
selon de nombreux témoignages : le
coton Bt donnerait des fruits avec plus de
fibres et des graines plus petites et moins
nombreuses, donc un poids inférieur
pour une quantité de fibre équivalente
ou supérieure – or, les producteurs sont
payés au poids !) et Monsanto a reconnu
récemment l’apparition chez des chenilles
de résistances au coton Bt utilisé en Inde.

En outre, les témoignages se multiplient
sur la défiance des paysans vis-à-vis du
coton Bt, qui, outre le prix des semences
et ce problème de poids, évoquent des
problèmes de santé et d’environnement
(dont des intoxications du bétail après
consommation de feuilles ou tiges).

Les alternatives et la liberté de choix
sont maigres pour les cotonculteurs : la production de coton bio, 500 à 1000
tonnes par an au Burkina Faso, est
cantonnée à des zones prédéterminées en
dehors desquelles il leur est impossible
de s’engager dans cette filière, la seule
possibilité de refuser les OGM est donc
de continuer à récla­mer des semences
conventionnelles ou d’abandonner cette
production.

Ousmane Tiendrébéogo, secrétaire général du Syndicat national des travailleurs de l’agro-pastorale, farouchement opposé aux OGM de passage à Paris.

La production de coton Bt ne cesse de
gagner du terrain, au point que l’Agence
française de développement table
pour cette saison sur un emblavement
des 2/3 des surfaces cotonnières. Une
telle progression, en seulement quatre
campagnes, révèle une forte volonté
politique de développer voire imposer
cette culture, et laisse imaginer la
propagande qui l’accompagne.

Les cultures vivrières et un déploiement régional en ligne de mire

Si le coton passe pour une culture « non
alimentaire
 » (la production principale,
la fibre, étant destinée à l’industrie
textile ; les graines sont cependant
pressées pour produire de l’huile très
consommée localement), qui peut
favoriser le développement des OGM
par une simple présentation optimiste
sur le plan économique, les projets en
cours sur les biotechnologies dans la
région concernent également des cultures
vivrières stratégiques.

Des expérimentations de niébé (un
haricot) transgénique censé produire un
pesticide contre un insecte ravageur sont
ainsi en cours dans le pays. Cette culture
est consommée par près de 200 millions
de personnes sur le continent, et cultivée
sur plus de 12,5 millions d’hectares
de savanes sèches d’Afrique tropicale
selon la Fondation africaine pour les
technologies agricoles (AATF), un des
nombreux lobbies africains pro-OGM qui
ont vu le jour ces dernières années et qui
s’impliquent sur le projet aux côtés de
Monsanto et des autorités burkinabé.

Africa harvest biotech foundation
international (AHBFI), une « ONG »
dirigée par une ancienne cadre de
Monsanto, coordonne quant à elle le
projet « du sorgho biofortifié en Afrique »
(ABS), financé par la fondation Bill
et Melinda Gates. Ce projet vise à développer un sorgho génétiquement
modifié, prétendument pour remédier
au taux important d’anémie chez
les populations pauvres. Le sorgho,
aliment de base d’environ 300 millions
de personnes en Afrique, est en effet
jugé trop faible en certains minéraux,
vitamines et autres éléments nutritifs : on
nous vend donc encore une fois l’idée que
le progrès technologique peut remédier à
un problème d’ordre politique, celui de la
malnutrition, liée à la misère, et donc au pillage.

Parmi les partenaires impliqués dans
le projet, on retrouve des partenaires
institutionnels publics comme l’Université
de Californie (Berkeley, États-Unis) et
l’Institut international de recherche sur
les cultures pour les tropiques semi-arides (Icrisat), la coopération états-unienne avec l’Usaid et l’USDA, mais également des lobbies comme Crop Life
International (qui représente les firmes de
l’agrochimie comme Monsanto, Bayer, ou encore des financeurs privés et
Syngenta..), Europabio et Africabio, ou encore des financeurs privés et
prétendument philanthropes comme la
fondation Rockfeller et la Fondation Gates.

On aurait donc tort de s’inquiéter.

Selon le Conseil Ouest et Centre africain
pour la recherche et le développement
agricole (CORAF/WECARD), la
première phase d’expérimentation
couvre la période 2007-2011,
uniquement au Burkina Faso,
et la seconde phase serait une
« vulgarisation programmée au Mali,
au Ghana, au Nigeria et au Togo
 ».

Le Burkina Faso, état docile, n’est
en somme qu’une porte d’entrée des
OGM en Afrique de l’Ouest.

Le soutien des bailleurs internationaux

Le projet de sorgho biofortifié
d’Africa Harvest est financé par la
fondation Bill et Melinda Gates dans
le cadre des « Grand Challenges in
Global Health
 », mais la coopération
publique des États-Unis n’est pas
en reste. En 2008, le Burkina Faso
a en effet signé avec les Etats-
Unis son « Compact », c’est-à-dire
une convention sur cinq ans dans
le cadre du Millenium Challenge
Corporation (MCC), une structure
privée voulue par le président
Georges W. Bush pour gérer tout un
pan de l’aide humanitaire américaine
en dehors des cadres habituels de
la coopération publique.

La très
pertinente ONG Grain écrivait à
son propos, en 2010 : « [Le MCC a]
son propre président et un conseil
d’administration lequel, tout en
rendant des comptes au Congrès et
en incluant le ministre des Affaires
étrangères, le ministre de l’Économie et
des Finances, le représentant américain
au Commerce et l’administrateur de
l’Usaid, [comprend] aussi quatre
représentants du secteur privé. (...) La
politique du MCC est sans complaisance et
ressemble à un programme d’ajustement
structurel. Le MCC dispose d’un large
budget (que le Congrès a augmenté sous
l’administration Obama : + 26 % en
2010). L’argent est versé sous forme de
subventions, et non pas de prêts, à ceux
des pays que le MCC considère comme
des candidats acceptables : une belle
carotte qu’on agite pour attirer les pays.
Cependant même pour devenir candidat
à ce financement, un pays doit d’abord
passer un test MCC avec des points : ce
test tient compte de critères tels que « pays
encourageant le libéralisme économique »
et est fondé sur des indices provenant
d’institutions néo-libérales comme la
Banque mondiale, la Fondation Héritage
et le Front monétaire international (FMI).
Si un pays marque suffisamment de points,
il peut alors être promu par le MCC au
stade “threshold” (pré-compact) qui lui
donne accès à des sommes modiques, ce
qui va lui permettre de mettre en place les
réformes structurelles que le MCC estime
nécessaires pour accéder à l’éligibilité
complète. Une fois qu’il a passé tous les
obstacles, un pays peut alors passer au
stade suivant, c’est-à-dire mettre au point
et signer avec le MCC un “Compact” qui
spécifiera quatre ou cinq projets donnant
droit au financement MCC. (...) Quand
le Compact a été approuvé, l’argent
commence à être versé. Toutefois la
source peut se tarir rapidement, si le
gouvernement prend une direction qui
déplaît à Washington
 ».

Si le lien de causalité directe ne peut pas
être établi entre l’ouverture générale du
pays aux biotechnologies américaines,
notamment le coton Bt de Monsanto, et
la signature du Compact, les détracteurs
des OGM s’interrogent néanmoins depuis
2008 sur la concomitance des deux, et sur
les pressions qui ont pu accompagner
l’octroi des aides états-uniennes...

La coopération française n’est pas
nécessairement étrangère, ou tout du
moins écartée de ce processus. Jusqu’en
2008, c’est la société publique française
Dagris (ex-Compagnie française de
développement des textiles, CFDT) qui
détenait un tiers des parts de la principale
société cotonnière du pays, la Sofitex, fer
de lance du développement du coton Bt,
et contrôlait à 90% la Socoma, l’autre
société cotonnière engagée dans la culture
de coton GM.

Bien que cette société ait été privatisée
et rebaptisée Géocoton en 2008 (un
consortium français détenu à 51% par
le groupe Advens du franco-libano-
sénégalais Abbas Jabber et à 49%
par la CMA-CGM du Marseillais
Jacques Saadé), l’Agence française de
développement (AFD) continuait d’en
détenir 14% jusqu’en février 2010 : les
autorités françaises ont donc été largement
impliquées dans le développement de
la culture de coton Bt au Burkina Faso,
comme décideur (à la Socoma) ou co-
décideur (à la Sofitex) jusqu’en 2008,
puis comme actionnaire minoritaire via
l’AFD jusqu’en 2010.

A l’occasion de la venue en France
d’Ousmane Tiendrébéogo, secrétaire
général du Syntap (Syndicat national
des travailleurs de l’agropastorale), petit
syndicat paysan burkinabé farouchement
opposé aux OGM, un rendez-vous
a été demandé mi-juin auprès d’une
demi-douzaine d’ingénieurs de l’AFD
impliqués dans la filière coton ou sur
le suivi du Burkina Faso, pour évoquer
cette question sensible : à ce jour, l’AFD
n’a même pas accusé réception de cette
demande, se murant dans un silence
méprisant.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 204 - Juillet Août 2011
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