La fermeture prochaine du Tribunal aux armées de Paris risque de ralentir l’instruction d’affaires sensibles concernant le Rwanda.
Le projet de loi (n°3373) visant, notamment, à supprimer le Tribunal Aux Armées de Paris (TAAP) a été déposé le 15 avril dernier à l’Assemblée nationale, après avoir été adopté par le Sénat le 14 avril. Ce projet relatif à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles fait l’objet d’une procédure accélérée suite à la décision en ce sens du gouvernement. Il doit donc être soumis au vote de l’Assemblée nationale avant l’été. Ce texte prévoit le transfert des compétences du TAAP, héritier des tribunaux d’exception, aux juridictions de droit commun spécialisées en matière militaire du tribunal de grande instance de Paris.
Si on peut recevoir favorablement cette réforme qui vise à normaliser la justice militaire, les conséquences de celle-ci peuvent allonger les délais d’instruction de certaines affaires. Il faut craindre tout particulièrement que ce transfert ne retarde encore davantage l’instruction de six plaintes pour lesquelles l’association Survie, la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) et la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) se sont constituées partie civile.
Il s’agit de plaintes contre X visant des militaires français, déposées par des rescapés du génocide des Tutsi au Rwanda. L’information judiciaire est ouverte pour complicité de génocide et complicité de crimes contre l’humanité. Les faits incriminés, d’une extrême gravité, se seraient déroulés pendant l’opération militaro-humanitaire Turquoise (juin à août 1994).
Ce dossier avait déjà connu un début difficile puisqu’il a fallu deux arrêts de la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris, le 29 mai et le 3 juillet 2006, pour que les plaintes, contestées partiellement par le parquet, puissent être déclarées recevables. Par la suite, pas moins de trois juges d’instruction se sont succédés au TAAP (avec parfois des périodes de vacance de poste), ce qui a été préjudiciable à l’avancement du dossier.
C’est ainsi que depuis près d’un an et demi, l’instruction n’a quasiment pas évolué. La plupart des responsables politiques et militaires français n’ont pas encore été auditionnés, tandis que de nombreux documents sont toujours protégés par le sceau du « secret défense », malgré la déclassification partielle de certains d’entre eux.
Avec la suppression annoncée du TAAP au 1er janvier 2012, il est à craindre de nouveaux retards dans la procédure du fait notamment de la nécessaire période de passation des dossiers entre le TAAP et la formation de jugement spécialisée du TGI de Paris compétente.
Au-delà de la suppression du TAAP, il serait nécéssaire qu’un pôle d’instruction spécialisé dans les crimes contre l’humanité, et donc également dans les crimes liés à un génocide, doté des moyens matériels et humains appropriés, soit mis en place. Ce pôle serait la solution la plus adapté pour accélérer la justice. Alors que le TAAP était déjà surchargé de dossiers, « le Tribunal de Grande Instance de Paris n’a prévu ni les locaux, ni le budget, ni les postes de travail », (Le Monde, 15 avril 2011) nécessaires à la bonne marche de l’instruction, il faut espérer que les parlementaires, dans le cadre des débats et du vote de cette loi, s’assurent que tous les moyens humains et matériels nécessaires à une bonne administration de la justice militaire par le TGI de Paris seront mis en œuvre dans les délais les plus courts. Notamment dans l’instruction des plaintes contre X visant des militaires français, déposées par des rescapés du génocide des Tutsi au Rwanda.
On n’en prend pas le chemin si on croit Jean Michel Clément, député socialiste de la Vienne et avocat de formation : « Contrairement à ce que les apparences pourraient laisser croire, les articles 23 et suivants du projet de loi ne concernent la justice militaire qu’à la marge mais ils ont tout à voir avec la révision générale des politiques publiques. En effet, la seule raison d’être de la suppression du tribunal aux armées de Paris est qu’il est localisé au sein de la caserne Reuilly, dans le 12e arrondissement de Paris, et que cette caserne doit être vendue. »
Ces affaires judiciaires sont pourtant capitales et nécessitent qu’elles fassent l’objet d’un traitement privilégié par l’institution judiciaire. Ces instructions doivent en effet permettre de faire la lumière sur l’implication de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda.