Survie

Double Bind

(mis en ligne le 11 juillet 2011) - Odile Tobner

Le ministre français de l’Intérieur Claude Guéant, après Charles Pasqua naguère, après François Baroin alors qu’il était ministre des DOM-TOM, ressent un prurit concernant le code de la nationalité. Cette fois il s’est attaqué à la double nationalité en vain pour l’instant puisqu’il n’a pas été suivi par la majorité des députés UMP, mais c’est un ballon d’essai destiné probablement à séduire l’électorat populiste, à droite comme à gauche.

En effet, les dernières déclarations du député communiste André Gérin à propos de l’immigration, qui ne serait pas une chance pour la France, sont inquiétantes. On est dans une atmosphère qui empeste les années trente, avec des Doriot, des Laval, quand le nationalisme, avec le pétainisme, menait directement à la soumission à la force allemande des nazis.

Certes, selon la célèbre boutade attribuée à Karl Marx, l’histoire ne se répète pas, elle bégaie : la première fois en tragédie, la seconde en farce. Et il est vrai que Guéant a un côté indéniablement farcesque, même s’il joue une très mauvaise farce, dans le comique de répétition de ses saillies xénophobes. Héraut dérisoire d’un fascisme sénile, il s’en prend aux nouvelles générations de Français, qui reflètent simplement l’histoire de la France. Il ne peut le faire qu’en faisant mentir grossièrement les chiffres, technique de base de la propagande totalitaire, pratiquée au niveau de notre Jdanov de Fouillis-les- Oies (lire page 5).

La mode est à l’épuration. Il faut chasser les Français pas bien de chez nous des écoles de foot, sinon ils iront défendre d’autres couleurs, du fait de cette fameuse double nationalité qu’ils sont censés posséder comme un affreux privilège, issu tout droit de l’histoire coloniale. Il faut laisser ce privilège à la Suisse, laquelle n’est pas près de récuser la double nationalité qui lui permet de donner asile à tant de malheureux milliardaires persécutés par le fisc de leur pays natal. Les Suisses n’ont pas de colonies mais ils sont pragmatiques. Dans le même temps, en effet, l’empire français entretient son emprise sur des portions de planète bien loin de la « Métropole », comme dit Juppé, qui se mélange les pinceaux entre anciennes toujours colonies et régions nouvellement dites ultrapériphériques, anciennement départements d’Outre-Mer.

Il faut dire qu’entre tous ces États qui ne sont pas des États, tout en étant tenus ou non pour des États, un énarque y perd son latin – et surtout son français hélas. Comment distinguer entre ceux qui sont Français tout en n’étant pas si Français que cela, depuis que Baroin a proposé de ne plus considérer leur sol comme conférant la nationalité française à ceux qui y naissent, et ceux qui ne sont pas Français tout en restant quand même Français par l’assujettissement à l’armée et au Trésor français !

La rage de Guéant contre la double nationalité vient du fait qu’elle permet d’échapper symboliquement à une double contrainte, le double bind théorisé par Gregory Bateson comme situation mentalement destructrice, imposée à quelqu’un que l’on soumet à deux obligations contraires, en l’occurrence, pour les immigrés venant des colonies, l’injonction de s’intégrer et l’interdiction pratique de le faire, c’est-à-dire une forme d’anéantissement auquel la double nationalité répond par un enrichissement d’existence.

Subir à la fois la mondialisation de l’exploitation et l’enfermement des personnes dans le réduit national, c’est ce qu’on impose toujours plus aux pauvres. Guéant demande-t-il à Bolloré de choisir entre la France et l’Afrique pour ses affaires ?

À lui l’essor multinational et la supranationalité de ses intérêts. Et en plus avec Guéant le double pour lui cirer les pompes.

a lire aussi