Survie

Gérard Longuet pour une plus grande impunité des militaires français ?

(mis en ligne le 11 juillet 2011) - Mathieu Lopes

Le 7 juin 2011, le site
d’information Rue89.com
publie la lettre de mission
confiée à l’avocat Gérard
Michel par le ministère français
de la Défense pour une étude
sur la « judiciarisation des
conflits
 »
. Cette mission
est inquiétante puisqu’elle
préfigure peut-être la création
d’un régime d’impunité pour
les militaires français.

Rue89 ainsi que Raphaël Vuitton,
qui révéla l’information en premier
sur son blog
, se concentrent sur la
proximité qu’il y aurait entre le ministre et cet
avocat médiatique, qui a eu à intervenir par le
passé dans plusieurs affaires embarrassantes
pour Gérard Longuet. Les deux articles
évacuent par contre assez vite le contenu de cette mission, l’étude est, d’après Raphaël
Vuitton « pour le moins indispensable »
et « son intérêt ne fait [...] aucun doute ».
Qu’il soit pourtant permis d’en douter.

La suppression du Tribunal aux armées de Paris ne crée pas un vide juridique

Pour Rue89, la disparition programmée
du Tribunal aux armées de Paris (TAAP)
crée un « vide juridique ». Pourtant,
si le TAAP a quelques spécificités, il
n’offre théoriquement pas de régime
particulier de responsabilité aux militaires
français. Les règles du droit des conflits
armés s’y appliquent, tout comme elles
s’appliqueront devant les juridictions qui
prendront le relais. La réforme prévue ne
concerne qu’à la marge ces règles.

Le passage aux tribunaux de droit commun
se fera même plutôt dans une continuité,
comme cela a déjà été relevé dans Billets
d’Afrique (n°189, mars 2010
). Cette
réforme semble avant tout cosmétique.

Certaines spécificités du TAAP sont même
renforcées. Notamment, la nécessité pour le procureur de solliciter un avis consultatif
du ministère de la Défense avant toute
poursuite est élargie et cet avis devra
désormais intervenir à d’autres moments,
notamment au cours de l’instruction. Pour
Alain Marly, rapporteur de la Commission
de la Défense nationale et des Forces
armées de l’Assemblée nationale
, « Il
s’agit d’une garantie heureuse qui devrait
maintenir une bonne prise en compte
des spécificités militaires
 ». Le même
rapporteur considérant par ailleurs, avec
une logique discutable, que le fort taux
de poursuite des déserteurs au TAAP
serait un signe de l’indépendance de ce
tribunal...

Le ministre de la Défense a manifestement
très bien intégré que cette réforme marquait
en fait une continuité : la lettre de mission
confiée à Gérard Michel ne mentionne pas
une seule fois ni la réforme ni le TAAP.
Ce qui semble plutôt inquiéter Gérard
Longuet, c’est la
« judiciarisation »,
« cette tendance à un recours accru au juge », face à laquelle il envisage une
« évolution de [la] législation » afin de
redéfinir « le champ de la responsabilité
pénale
 » des militaires.

Pour une armée française désinhibée !

Les cas de mise en cause de la hiérarchie
militaire sont plutôt rares. En 2010, le
général Poncet bénéficiait d’un non-
lieu, alors que quatre de ses subalternes
étaient renvoyés aux assises pour la mort
de Firmin Mahé en Côte-d’Ivoire en
2004. Pourtant, Gérard Longuet semble
hautement préoccupé : « On constate que
l’enquête judiciaire revêt un caractère
presque systématique dès lors qu’un
militaire français est blessé ou tué au
cours d’une action de combat. Si cette
enquête répond au souci compréhensible
des familles des victimes de connaître la
vérité des faits, elle conduit nécessairement
le magistrat à rechercher d’éventuelles
responsabilités pénales, et ce jusqu’au plus
haut échelon de la hiérarchie
 ». Notons
d’abord que, pudiquement, le ministre
n’évoque pas les cas où ce sont des militaires
français qui commettent des délits ou des
crimes. Surtout, c’est la volonté d’éviter à
la hiérarchie militaire une mise en cause qui
semble motiver cette demande d’étude.

D’autre part, Gérard Longuet s’inquiète du
« développement de ce genre de procédure
[qui] est de nature à créer une certaine
inquiétude au sein de nos forces armées dont
on peut craindre que leur comportement au
combat puisse être inhibé par la perspective
d’une possible mise en cause pénale
 ».

Il conviendrait de rappeler à ce ministre de la
République que c’est précisément la raison
d’être des lois que de créer une inhibition
afin d’empêcher la commission d’actes
criminels. Le droit des conflits armés fixe
les limites de l’usage de la violence. Il est de
la responsabilité du ministre de la Défense
que les militaires français se conforment
rigoureusement aux lois en vigueur.

Il ne s’agit pas ici d’un nouveau dérapage
verbal de la part d’un ministre en exercice.
Cette lettre de mission montre une volonté
inquiétante de créer un régime d’impunité
pour les militaires français et, en particulier,
leur hiérarchie.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 204 - Juillet Août 2011
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