Survie

Cameroun : la reine et le vilain

(mis en ligne le 3 octobre 2011) - Odile Tobner

La longévité de la reine
d’Angleterre, prétexte ultime
pour justifier le soutien
français au président
camerounais Paul Biya.

Le ministre français de la Coopération,
Henri de Raincourt, qui dit de lui-
même : « Je ne fais pas de gaffes »,
c’est-à-dire qu’il manie à merveille le robinet
d’eau tiède en soufflant à la fois le chaud
et le froid pour flatter tous les épidermes,
quitte à dire tout et son contraire, en fidèle
domestique.

Dans Jeune Afrique du 8 août 2011, interrogé
sur les vingt-trois années au pouvoir de
Blaise Compaoré au Burkina, qui médite une
réforme constitutionnelle pour être candidat
à sa succession, il glisse : « Si nous avons
un message à adresser, tout en sachant que
les autorités du Burkina sont libres, c’est
de dire que les périodes de tensions ne sont
pas les plus propices pour procéder à des
changements de Constitution...
 », « Encore
une fois, les temps ont changé. L’évolution
du monde a un impact sur la durée des
mandats, quels qu’ils soient. En France, par
exemple, on a bien limité à deux le nombre
de mandats présidentiels, soit dix ans.
 »

Au Cameroun, en revanche, le temps
apparemment ne compte pas. Interrogé sur
Biya, au pouvoir depuis 1982, Henri de
Raincourt noie le poisson : « Ce sont les
électeurs qui choisissent. La France n’a pas
de candidat au Cameroun
 ».

Lors de sa dernière visite, début juillet, au
Cameroun, Henri de Raincourt, interrogé
par Luc Deutchoua pour le quotidien Le
jour, qui lui fait remarquer que « Depuis
cinquante ans, il n’y a pas de véritable
alternance politique au Cameroun...
 »,
a dû se faire plus prolixe pour noyer plus
laborieusement le poisson : « Je sais qu’il
y a des élections qui se profilent à l’horizon
au Cameroun. La France souhaite que
ces élections, comme dans tous les autres
pays où il y a des élections, se déroulent
le mieux possible et dans la transparence
la plus totale. [...] Donc, la France, de la
manière la plus solennelle qui soit, affirme,
et personne ne peut prouver le contraire,
qu’elle n’a pas de candidat. La France fait
confiance à la démocratie, à la sagesse des
peuples, pour se choisir les représentants
qu’elles désirent, c’est-à-dire, le président,
la majorité au parlement, etc. La France, en
la matière, ne s’ingère pas dans la politique
intérieure des pays africains.
 »

Poussé dans ses retranchements par laquestion : « Quelle réflexion vous inspirent
les propos d’Hillary Clinton qui estime
que l’ère des chefs d’Etat inamovibles est
révolue en Afrique ?
 », Henri de Raincourt,
tout en développant les considérations sur
le temps et ses aléas, arrive à les enrober
dans une introduction et une conclusion
qui les neutralisent. Tant de souplesse
force l’admiration. « Je crois qu’il faut
de toute façon, d’une manière générale,
se garder d’avoir des idées définitives
qui s’appliqueraient partout de manière
uniforme. En revanche, ce qui est vrai,
c’est qu’on vit dans une société qui s’est
globalisée avec une évolution extrêmement
forte, extrêmement rapide, qui, d’ailleurs,
ne se fait pas sans difficultés, sans
secousses, sans inquiétude et sans heurts.
Ça, on le voit bien, et on le sait bien.

Donc,
si vous voulez, cette évolution extrêmement
vive et extrêmement rapide fait que cette
accélération du temps ne peut pas ne
pas avoir de répercussions sur le temps
politique. Beaucoup de pays considèrent
aujourd’hui qu’effectivement, il faut qu’il
y ait du sang nouveau. Il faut toujours
rechercher un équilibre entre l’accélération
du temps et le temps politique. La Reine
d’Angleterre est au pouvoir depuis 50 ans,
mais, ça ne va pas mal pour elle. Cela veut
dire qu’elle a pu coller à son temps. »

Ce
que traduit son interlocuteur en : « Donc, la
longévité au pouvoir du président Paul Biya
ne vous dérange pas
 ».

Outre que la reine
d’Angleterre, qui est montée sur le trône le
6 février 1952, est dans la soixantième année
de son règne, faut-il que Henri de Raincourt
ait une âme de « vilain », (celui qui est vil),
pour oser citer cet exemple ridicule pour
flatter Biya.

Faut-il aussi que les intérêts français au
Cameroun soient puissants ! Mais qu’a bien
pu faire Compaoré pour se faire tancer, lui ?

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 205 - septembre 2011
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